Voici un article proposé sous la plume de Damien Dauphin. Avant de devenir l’inoubliable princesse de Monaco, Grace Kelly eut une brève carrière au cinéma – elle ne tourna que onze films – mais connut une ascension fulgurante qui fut couronnée, le 30 mars 1955, par l’oscar de la meilleure actrice. Quelques-uns de ses films sont pratiquement inconnus du grand public et ne sont guère diffusés à la télévision, y compris sur les chaînes thématiques.

D’autres, comme ceux qu’elle tourna sous la direction d’Alfred Hitchcock qui fit d’elle sa muse, sont au contraire devenus des classiques passés à la postérité. Cet article se donne pour objectif de voir de quelle façon ces 11 films ont été considérés par l’Académie des arts et des sciences du cinéma ainsi que les autres institutions, et quelles furent les récompenses de Grace Kelly, que l’on ne saurait résumer à un seul Oscar.

Quatorze heures (Fourteen Hours), réalisé par Henry Hathaway, sorti le 6 mars 1951, distribué par 20th Century-Fox. Largement oublié de nos jours, ce film noir ne présente d’intérêt que parce qu’il marque les débuts de Grace Kelly à l’écran. De nos jours, il n’en existe plus qu’une seule pellicule. Kelly n’y joue qu’un petit rôle que les critiques de l’époque n’ont pas remarqué. Le principal rôle féminin est tenu par Barbara Bel Geddes (future Miss Ellie Ewing dans le feuilleton « Dallas ») et le second rôle par Debra Paget. Aux Oscars de 1951 (cérémonie du 20 mars 1952), le film n’a récolté qu’une seule nomination, dans la catégorie « Direction artistique – décor de plateau, films en noir et blanc » (certains oscars techniques étant alors décernés deux fois, une pour le noir et blanc et l’autre pour les films en couleurs). C’est « Un tramway nommé Désir » qui obtint la récompense. Premier rôle masculin, Richard Basehart fut sacré meilleur acteur par le National Board of Review of Motion Pictures. A l’étranger, le film reçu une nomination aux BAFTA (British Academy of Film and Television Arts) dans la catégorie meilleur film de toute origine, et le réalisateur Henry Hathaway fut en compétition pour un Lion d’or à la Mostra de Venise.

Le train sifflera trois fois (High Noon), réalisé par Fred Zinnemann, sorti le 24 juillet 1952, distribué par les Artistes Associés (United Artists). Ce western peu commun, dans lequel Grace Kelly tient son premier rôle important au cinéma, a reçu une pluie de récompenses et de nominations. Il a concouru aux Oscars de 1952 dans sept catégories, dont meilleur film (vainqueur : « Sous le plus grand chapiteau du monde »), meilleur réalisateur (vainqueur : John Ford pour « L’homme tranquille »), meilleur scénario (vainqueur : Charles Schnee pour « Les ensorcelés »), et y récolta 4 fois la statuette. Le film fut récompensé par les oscars du meilleur montage, de la meilleure chanson (Do Not Forsake Me, Oh My Darlin’, en version française « Si toi aussi tu m’abandonnes », paroles de Ned Washington et musique de Dimitri Tiomkin), de la meilleure musique pour une comédie ou un film dramatique, et surtout du meilleur acteur pour Gary Cooper (son deuxième, onze ans après « Sergent York »). Cette année-là, Katy Jurado reçut aussi le Golden Globe de la meilleure actrice dans un second rôle.

Mogambo, réalisé par John Ford, sorti le 9 octobre 1953, distribué par la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM). Remake africain de « La belle de Saigon » (1932), dans lequel jouait déjà Clark Gable, le premier film en couleurs de Grace Kelly fut tourné en partie en extérieurs, dans plusieurs pays d’Afrique crédités au générique, fin 1952, quelques mois avant la cérémonie des oscars qui fut bonne pour « Le train sifflera trois fois ». Aux Oscars de 1953 (cérémonie du 25 mars 1954), Ava Gardner reçut la seule nomination de sa carrière dans la catégorie meilleure actrice (vainqueur : Audrey Hepburn dans « Vacances romaines »). Grace Kelly fut en compétition pour l’oscar de la meilleure actrice dans un second rôle (vainqueur : Donna Reed dans « Tant qu’il y aura des hommes »). La future princesse de Monaco gagna toutefois le Golden Globe de la meilleure actrice dans un second rôle, et le film fut nominé aux BAFTA.

 

Le crime était presque parfait (Dial M for Murder), réalisé par Alfred Hitchcock, sorti le 29 mai 1954, distribué par Warner Bros. Quatrième film de Grace Kelly et premier dans lequel elle tient le principal rôle féminin. Curieusement, le film ne reçut aucune nomination. A titre de consolation, on peut dire que la première collaboration de l’actrice avec le maître du suspense est devenue un classique du genre.

Fenêtre sur cour (Rear Window), réalisé par Alfred Hitchcock, sorti le 1er septembre 1954, distribué par Paramount. Deuxième collaboration avec Hitchcock, et deuxième classique qui surclasse d’ailleurs le premier ci-dessus. Aux Oscars de 1954 (cérémonie du 30 mars 1955, voir ci-dessous), le film reçut quatre nominations mais ne gagna aucune récompense. Les catégories furent : meilleur réalisateur (vainqueur : Elia Kazan pour « Sur les quais »), meilleur scénario d’adaptation (vainqueur : George Seaton pour « Une fille de la province » cf. infra.), meilleure photographie pour un film en couleurs (vainqueur : Milton Krasner pour « Three Coins in the Fountain ») et enfin meilleure prise de son (vainqueur : Leslie I. Carey pour « Romance inachevée »). Aux Etats-Unis, Grace Kelly reçut deux prix de la meilleure actrice, l’un décerné par le National Board of Review of Motion Pictures, l’autre par le New York Film Critics Circle. A l’étranger, le film fut présenté à la Mostra de Venise de 1954 où il fut en lice pour obtenir le Lion d’or, qui fut gagné par « Roméo et Juliette » de Renato Castellani.

Une fille de la province (The Country Girl), réalisé par George Seaton, sorti le 15 décembre 1954, distribué par Paramount. C’est le rôle qui donna le « coup de Grace » à la malheureuse Judy Garland, dont la carrière au cinéma amorça son déclin irréversible après un come-back somme toute fracassant et qui lui ouvrait bien des espoirs. Grace Kelly obtint l’oscar de la meilleure actrice, un an après avoir concouru dans la catégorie du second rôle pour « Mogambo ». Lors de la cérémonie des Oscars, le film fut en compétition dans six autres catégories : meilleur film (vainqueur : « Sur les quais », produit par Sam Spiegel), meilleur réalisateur (vainqueur : Elia Kazan pour « Sur les quais »), meilleur acteur pour Bing Crosby (vainqueur : Marlon Brando dans « Sur les quais »), meilleure direction artistique d’un film en noir et blanc (vainqueur : Richard Day pour « Sur les quais »), meilleure photographie d’un film en noir et blanc (vainqueur : Boris Kaufman pour « Sur les quais ») et enfin le meilleur scénario d’adaptation que son réalisateur, George Seaton, gagna (cf. supra).

L’émeraude tragique (Green Fire), réalisé par Andrew Marton, sorti le 29 décembre 1954, distribué par la MGM. Ce film mineur dans la carrière de Grace Kelly, tout comme dans celle du premier rôle masculin, Stewart Granger, est à ranger dans la catégorie des films alimentaires produits par les studios de l’époque. Grace Kelly fut obligée de le tourner pour satisfaire à ses obligations contractuelles envers le studio qui l’employait. Le film ne reçut aucune nomination, a fortiori aucun prix. Éclipsé par les autres rôles de Grace, il est aujourd’hui largement oublié et n’a été diffusé à la télévision qu’à la fin de l’année 1982.

Les ponts de Toko-Ri (The Bridges at Toko-Ri), réalisé par Mark Robson, sorti en décembre 1954, distribué par Paramount. On imagine difficilement Grace Kelly dans un film de guerre. De fait, la distribution de celui-ci est essentiellement masculine, les rôles principaux étant dévolus à William Holden (déjà partenaire de Grace dans « The Country Girl »), Fredric March et Mickey Rooney. Premier rôle féminin, celui de Grace n’y tient cependant qu’une place secondaire. Aux Oscars de 1955 (cérémonie du 21 mars 1956), le film nominé dans deux catégories, celle des effets spéciaux qu’il remporta, et celle du meilleur montage (vainqueurs : Charles Nelson et William A. Lyon pour « Picnic ».)

La main au collet (To Catch a Thief), réalisé par Alfred Hitchcock, sorti le 5 août 1955, distribué par Paramount. Bien que sorti en 1995, ce film fut tourné l’année précédente. La troisième et dernière collaboration de l’actrice avec Hitchcock est, sinon la plus célèbre, du moins la plus emblématique, dès lors qu’elle met en scène des visions du futur de Grace Kelly alors même qu’elle n’a pas encore rencontré le prince Rainier III de Monaco. Grace apparaît véritablement royale dans la scène du bal masqué et costumé, la principauté de Monaco figure en arrière-plan de quelques séquences, et la scène de la voiture, qui donna de véritables sueurs froides à Cary Grant, fut tournée sur la route de la corniche qui, vingt-huit plus tard, sera le cadre de son accident fatal. Aux Oscars de 1955, qui récompensèrent « Les ponts de Toko-Ri » (cf. supra), le film fut présenté dans trois catégories : la meilleure direction artistique d’un film en couleurs (vainqueur : « Picnic »), les meilleurs costumes (vainqueur : Helen Rose pour « Une femme en enfer »), et la meilleure photographie d’un film en couleurs, qu’il remporta (vainqueur : Robert Burks).

Le cygne (The Swan), réalisé par Charles Vidor, sorti le 26 avril 1956, distribué par la MGM. L’avant-dernier film de Grace Kelly est lui aussi emblématique, dans la mesure où elle y joue le rôle d’une princesse. La MGM réalisa un beau coup publicitaire en le sortant quelques jours après le mariage princier à Monaco. Toutefois il ne rencontra pas au box-office un succès suffisant pour lui permettre de compenser les coûts élevés du tournage. Ainsi, même si les recettes étaient supérieures au budget, le film affichait une perte de 798.000 $. Il ne reçut aucune récompense ni la moindre nomination mais, après tout, l’avant-dernier film de Grace Kelly, dans un rôle de princesse, n’a pas de prix.

La haute société (High Society), réalisé par Charles Walters, sorti le 17 juillet 1956, distribué par la MGM. Avec Bing Crosby et Frank Sinatra qui reprenaient respectivement les rôles tenus en 1940 par Cary Grant et James Stewart (qui, étrangement, devinrent par la suite deux partenaires majeurs de Grace Kelly dans l’univers hitchockien), le film fut une comédie musicale. Grace Kelly y pousse même la chansonnette dans un duo avec son ancien partenaire de « Country Girl ». Sorti trois mois après son mariage, le dernier film de Grace Kelly fut un succès au box-office, et l’un des des dix films les plus rentables de l’année 1956. Aux Oscars de 1956 (cérémonie du 27 mars 1957), où aucune œuvre ne domina réellement les autres, il concourut dans la catégorie meilleure musique d’un film musical (vainqueurs : Alfred Newman et Ken Darby pour « Le roi et moi »). Preuve qu’elle n’est pas infaillible, l’Académie le confondit avec un autre film intitulé « High Society », mais sorti en 1955, dont les co-auteurs furent ainsi nommés par erreur dans une catégorie scénaristique (Writing : Original Story), avant d’en être retirés au moment du vote…

Ce film est un remake de « The Philadelphia Story » (Indiscrétions, en VF), pièce de Broadway dont Katharine Hepburn détenait les droits d’adaptation au cinéma, qu’elle fit astucieusement valoir pour effectuer un éblouissant come-back après une brève éclipse. Ce fut le chant du cygne cinématographique de Grace Kelly, fille de bonne famille de la haute société de Philadelphie, qui faisait son entrée dans le Gotha européen. (merci à Damien Dauphin)