Il parait probable qu’un orgue fut construit à Saint Denis à la même époque qu’à Notre-Dame de Paris. La première trace d’un instrument est certifiée, grâce aux archives, dès 1506. Cet orgue était déjà placé en tribune.
Entre 1517 et 1523, l’abbé Aimar de Gouffier décrit des « orgues nouvelles placées au bas de la nef sur une tribune de bois qui s’avançait devant la grande baie ouvrant au dessus du narthex« . Les dimensions en étaient importantes et l’on citait encore un siècle plus tard « les tuyaux les plus gros qu’on ne saurait guère voir« .
En 1540, il fallut faire réparer la soufflerie. Pierre Godefroy fit deux soufflets neufs et répara les porte-vents et les soupapes. Nouvelle restauration de la soufflerie en 1562, précédant les temps troublés des guerre de « la ligue » qui laissèrent en 1590 un orgue quelque peu pillé par les soldats « cherchant le plomb partout« . L’argent manquant, on fit venir l’épinettier Parisien Jean Jacquet pour seulement « le raccommoder et nettoyer« .
En 1604, il fut remplacé par un nouvel instrument construit par Jean Carlier de Laon. L’expertise en fut faite par Jehan Titelouze et par l’organiste de la Sainte-Chapelle, Fleurant Bienvenu.. En 1650, une révision fut demandée à Pierre Thierry, représentant à Paris l’école de Carlier.. Parmi les organistes qui se succédèrent, notons, en 1693, Nicolas de Grigny mais la modestie des gages le hâta d’abandonner l’orgue de Saint-Denis pour celui de Reims, son pays natal.
Pendant ce temps l’orgue était peu entretenu et accusait son âge. Les supérieurs de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés – dont dépendait alors celle de Saint-Denis – envoyèrent le frère commis Jean Brocard afin d’effectuer une réfection à moindre frais.
Entre 1690 et 1700, un troisième orgue plus important est édifié destiné à surpasser en splendeur ceux qui l’avaient précédé. Sculpté par Bordelot et présentant entre autres un roi David et une sainte Cécile, le buffet aurait pu être dessiné par Robert de Cotte, architecte de la chapelle de Versailles et chargé de reconstruire, vers la même époque, le bâtiment de l’abbaye de Saint-Denis. Cet instrument était très vaste puisque le Positif comprenait cinq tourelles. Il aurait compté cinquante jeux répartis sur quatre claviers et pédalier..
Préservé au début de la Révolution, alors que les religieux étaient chassés, les tombeaux profanés et l’église vidée de tout ornement, l’orgue fut démonté pour être conservé au futur Conservatoire des Arts et Métiers fondé par l’Abbé Grégoire. Malheureusement, l’ensemble disparut et ne fut jamais retrouvé.
En 1806, alors que Napoléon décidait de restaurer la basilique, on envisagea de reconstruire un orgue.
En 1836, l’Architecte en Chef de la basilique, François Debret (1777-1850) dessina le buffet actuel. La structure du buffet est réalisée par le maître-menuisier André Bouxin et sculptée par Blois et Brun. De dimension importante, Il comporte une tourelle centrale très élevée, et deux tourelles carrées surmontées de clochetons dont les galeries et les pignons portent des statues d’anges musiciens.
Adolphe Thiers invite l’Institut à former une commission chargée de choisir entre les divers projets proposés par Erard, John Abbey, Dallery et Callinet. Peu de jours avant la clôture du concours, le jeune Aristide Cavaillé-Coll (il a alors vingt-quatre ans) débarquait à Paris de son Midi natal. La légende rapporte que, connaissant l’urgence des délais, il se rendit directement à Saint-Denis et que, deux jours plus tard, il présenta les plans et le projet d’un orgue qui furent immédiatement choisis de préférence aux projets des autres concurrents. Selon le contrat, l’orgue devait être complété dans un délai de 30 mois.. C’est en famille, (son père et son frère le rejoignent) qu’il va travailler à la réalisation d’un instrument exceptionnel.
La famille Cavaillé-Coll installe un atelier à Paris, mais s’établit surtout dans la base des tours de la basilique où se construira l’essentiel de l’orgue. André Bouxin, maître menuisier et Antoine Sauvage, facteur d’orgue réaliseront les quatorze sommiers et les tuyaux en bois.
Dans un « état général des travaux » du 29 mars 1837, Aristide Cavaillé-Coll précise que « l’orgue comporte cinq claviers et que 1394 tuyaux, sur les 5206 qui le composent, restent à monter jusqu’à la pose du buffet de l’instrument et de ses tuyaux de façade ».
Trois années s’écoulent depuis la commande et l’instrument n’est pas en état de jeu car le montage des parties mécaniques et transmission des notes vers les sommiers aux nombreuses soupapes ne donnent pas satisfaction. Un incident climatique affecta la tour nord et la priorité devient la préservation-reconstruction de la flèche.
Cette période sera utilisée à résoudre les complexités de l’orgue et de l’ornementation du buffet. Cavaillé-Coll profitera de ce temps pour démarcher vers les chantiers extérieurs à la capitale (Lorient, Pontivy, Dinan) ou à Paris pour les églises Notre Dame-de-Lorette et Saint- Roch ainsi que de participer à l’Exposition Universelle de 1839.
C’est à cette période que Charles Spackmann Baker (1804-1879), facteur d’orgues anglais vient au secours avec son invention non encore brevetée du levier pneumatique qui sera utilisé pour la première fois à Saint-Denis.
Inauguré le 21 Septembre 1841, de dimensions gigantesques, cet orgue est doté de 69 jeux et plus de 4200 tuyaux. Il contient en son sein un véritable catalogue de nouveautés : la Machine Baker, qui permet de soulager le jeu de l’organiste en évitant la dureté des claviers, la construction d’une boîte expressive et la confection de tuyaux dits “harmoniques”.
C’est un succès foudroyant et l’orgue attirera, entre autres visites, celle du célèbre organiste de Breslau, Adolphe Hesse, accompagné de Frédéric Chopin et fera l’objet d’une remarquable critique de presse, signée d’Hector Berlioz. Ainsi, après 1841, aucun instrument ne pourra sérieusement être conçu comme avant. Ce fut le point de départ de la célébrité d’Aristide Cavaillé-Coll.
En 1857, Aristide Cavaillé-Coll modifie légèrement la composition et la soufflerie est dotée de pompes à pied. En 1901, des travaux de restauration de l’orgue sont confiés à Charles Mutin qui augmente légèrement le nombre de jeux pour le porter à 69. Une restauration est effectuée entre 1983 et 1987, par les établissements Danion-Dargassies (pour la mécanique) et par les établissements Boisseau-Cattiaux (harmonie et accord).
Les jeux ajoutés par Charles Mutin sont supprimés et le pédalier au Do conservé. Préservé presque intégralement dans son état d’origine, l’orgue de la basilique de Saint-Denis est sans doute l’un des plus beaux instruments de France.
La disposition interne adoptée par le facteur est liée au dessin de l’architecte. La tribune est très exiguë et permet juste l’accès à la console. Il n’y a pas de Positif de dos mais, de part et d’autre de la fenêtre de la console s’étendent les sommiers du Positif encadrés par les tuyaux de la Pédale.
Au niveau supérieur, s’ouvrant à la fois vers le bas et vers le haut, ce qui autorise des coups d’œil impressionnants, une passerelle, au centre de l’orgue, dessert les deux parties des claviers du Grand-Orgue et de Bombarde (tous deux étant joués au deuxième clavier). Enfin, un passage acrobatique le long du revers de la façade permet d’atteindre les tuyaux du Récit, contenus dans la boîte expressive. Parvenu à ce niveau, on aperçoit en dessous les tuyauteries des claviers précédents, cependant que jaillissent les extrémités des éléments des jeux de Pédale, dont certains ont plus de dix mètres de long. Attention au vertige !
Enfin, et le fait est assez exceptionnel pour être noté, la boiserie est si grande qu’elle enferme tout l’instrument, y compris les tuyaux de la Pédale. Le buffet est entièrement clos et surmonté d’un toit de bois praticable d’où la vue sur les voûtes et sur la nef est spectaculaire.
L’orgue de la basilique Saint-Denis a été dégradé dans la nuit du 2 au 3 mars. Selon Le Parisien, c’est l’organiste qui a découvert les détériorations dimanche matin, avant la messe. Il a constaté que les deux portes du buffet avaient été fracturées. La soufflerie de l’instrument a également été endommagée.
Un ou plusieurs intrus auraient pénétré dans la basilique en escaladant un échafaudage lié aux travaux de restauration à l’extérieur de l’édifice, et en brisant deux vitraux. Les portes de l’orgue ont été fracturées et le moteur endommagé.
La conservatrice de la basilique, Saadia Tamelikecht, évoquait le 5 mars dernier l’hypothèse d’une intrusion à l’intérieur même de la machine. Les poids permettant aux soufflets de fonctionner ont en partie disparu. Certaines de ces lourdes plaques de métal ont été retrouvées, abandonnées sur place. ‘orgue de la basilique de Saint-Denis a été réparé un mois après sa dégradation.
Pierre Pincemaille était l’organiste titulaire des grandes orgues de la basilique-cathédrale de Saint-Denis de 1987 à janvier 2018. Le nouvel organiste, titularisé en juin 2018, est Quentin Guérillot.
Des concerts gratuits sont proposés les dimanches à la Basilique St-Denis. Ces récitals sur l’orgue Cavaillé-Coll sont dirigés Quentin Guérillot, (Merci à Guizmo – visite guidée effectuée avec « Explore Paris »)
Abricote
13 septembre 2021 @ 09:14
Aller visiter la Basilique de St Denis aujourd’hui est un challenge…dangereux !
Claudia
13 septembre 2021 @ 11:43
n’exagérons rien non plus, il n’y a aucun danger à visiter la Basilique, et elle vaut très largement le détour ! j’habite Saint Denis, pas très loin, même s’il y a beaucoup de choses à redire sur cette ville (notamment la saleté…) on est très loin du coupe gorge que beaucoup se plaisent à imaginer ! Sinon depuis vingt ans il y a longtemps que j’en serais partie….
Abricote
13 septembre 2021 @ 12:45
L’une de mes cousines s’y est rendue (avec sa voiture) il y a 3 ans avec sa fille de18 ans, toutes deux correctement vêtues…mais à la française…
elles n’ont pu accéder à la basilique… (insultes, jets de pierres…)
Ma cousine y est retournée seule mais en taxi..celui ci lui a dit : »je vous dépose tout près et ensuite, vous m’appellerez de l’intérieur surtout…) même lui a dit que cela craignait beaucoup, pour les visiteurs…
Maintenant si cette atmosphère vous convient, c’est votre choix…
Cosmo
14 septembre 2021 @ 21:57
J’ai eu une expérience moins dramatique que celle de votre cousine mais le parcours entre la gare et la basilique est édifiant . Où est-on ? Difficile de répondre sans se faire agresser.
Claudia
15 septembre 2021 @ 11:26
Je ne mets pas en doute vos témoignages, mais tout de même ça me parait bizarre. Oui, il y a une drôle de faune à St Denis c’est vrai (surtout du côté de la gare…), mais on exagère beaucoup le côté « insécurité ». Je n’ai jamais rencontré le moindre problème, j’y ai travaillé depuis 1980 et y vis depuis plus de vingt ans. Ce serait dommage que des personnes renoncent à visiter la Basilique par peur d’y aller.
Abricote
15 septembre 2021 @ 21:14
Moi je renonce. Heureusement j’y suis allée il y a de nombreuses années, plus de 30 ans et déjà…mais comme aujourd’hui, ce n’est plus possible. Dernièrement, on m’a envoyé un documentaire concernant la visite de la Basilique que j’ai beaucoup apprécié, je m’en contenterai…c’est tout de même dommage d’en arriver là, que cette ville est aux mains d’individus qui empêchent les autres d’accéder dans des conditions normales aux sites religieux et autres également.
St Denis n’est pas la seule ville puisque ce département est sinistré dans bien des domaines. Je me demande comment les politiques vont faire évoluer les choses.
Je vais regarder ce soir Marie Drucker et ses toujours exceptionnels reportages sur le sujet…
Antoine
13 septembre 2021 @ 09:50
Merci pour cet intéressant article. La machine Barker (et non Baker) a constitué une grande avancée dans la facture d’orgue. Dans ma paroisse cathédrale, le grand orgue a été doté d’un combinateur électronique qui se révèle très pratique. Il permet de sélectionner à l’avance tous les jeux qui seront utilisés. Il répond instantanément ce qui évite les coupures plus ou moins longues qui intervenaient dans le jeu de l’organiste lorsqu’il fallait changer les registrations.
Claudia
13 septembre 2021 @ 10:04
Je voulais m’inscrire à cette visite malheureusement tout est complet pour le moment… Donc ce reportage compensera, même si ce n’est pas « en vrai »..Et merci Guizmo de mettre en avant « Explore Paris » que j’ai découvert depuis un an environ et qui propose un tas de visites tout aussi variées que passionnantes.
Antoine
13 septembre 2021 @ 10:14
Sourions un peu avec cet extrait du « Jargonnier catholique de poche » d’Edmond Prochain : « l’orgue est l’instrument liturgique par excellence, même si celle-ci (l’excellence) a tendance à se faire rare chez les organistes… Régulièrement, l’orgue est utilisé pour fédérer la paroisse autour d’un grand projet de souscription dit « pour la rénovation de l’orgue »… Sur le rythme, l’harmonie ou le volume sonore, le pouvoir de nuisance d’un(e) organiste (contrarié(e)) est sans égal.
Pour le choix du rythme ou de la tonalité, le chantre entre en concurrence directe avec son ennemi héréditaire : l’organiste. A noter : quand le chantre massacre les chants (le cas n’est pas rare) on parle plutôt d’animateur ».
Dans ma paroisse l’organiste (à poigne… mais prix d’harmonie, de fugue, de contrepoint, premier prix d’orgue et grand prix d’honneur du conservatoire de Lyon) exigeait que le chauffage soit coupé dès le début de la messe car il désaccordait l’orgue. L’église étant très vaste et naturellement glaciale les paroissiens habitués faisaient songer en hiver à un rassemblement d’inuits. Depuis son décès, le chauffage n’est plus coupé. Mais les prestations ont beaucoup perdu en virtuosité…
Leonor
13 septembre 2021 @ 10:33
Allez, il y faut au moins de la musique, ici !
Une improvisation de l’organiste titulaire :
https://www.youtube.com/watch?v=-7U8zXvZBwY&ab_channel=VincentHildebrandt
La vidéo est intéressante entre autres parce qu’elle permet de voir le jeu des pieds de l’organiste sur le pédalier , ce qui est peu connu et peu montré.
A savoir aussi : l’improvisation fait partie de la formation des organistes, et des épreuves d’orgue aux examens et prix des Conservatoires.
Antoine
13 septembre 2021 @ 13:40
Merci pour le lien, Leonor. Pierre Pincemaille était un grand ! J’en profite pour dire que les organistes titulaires ont souvent une fâcheuse tendance à improviser à tout-va en négligeant totalement les pièces du répertoire. A croire qu’ils sont incapables de jouer Bach, Clérambault ou Buxtehude et s’imaginent tous bien supérieurs. C’est particulièrement vrai pour les organistes de N.D. de Paris (qu’on entend à la messe sur KTO le dimanche soir à St-Germain-l’Auxerrois lorsque le grand-orgue n’est pas en relevage). Cependant, il est rare que leurs improvisations cassent trois pattes à un canard…
Leonor
14 septembre 2021 @ 13:49
Tout à fait d’accord avec vous, Antoine .
Et puis, j’aime tant Clérambault ( sans exclure tous les autres !).
Faisons-nous plaisir :
https://www.youtube.com/watch?v=mc_06reIaNk&ab_channel=BrunoBelli
ou encore Cl.-L. Daquin :
https://www.youtube.com/watch?v=4zyMt64ezT8&ab_channel=Ch%C3%A2teaudeVersailles