L’histoire de l’un des plus beaux hôtels Montpelliérains commence le 5 janvier 1608, lorsque Gabriel de Cussonnel achète la maison de Jean Creyssel pour la somme de 3750 livres.
Les parties observent qu’elle est « ruinée en plusieurs endroits et doit être réparée ou démolie ». Le parti est pris de la reconstruire.
Après quelques propriétaires différents, René Gaspard, comte de Castries, devient le nouvel occupant des lieux en 1642.
René Gaspard de Castries est seigneur et gouverneur du château de Sommières puis de la citadelle de Montpellier. Il est aussi le jeune époux de la ravissante Isabeau de Bonzi, sa bien aimée florentine de 17 ans.
Isabeau est la fille de François de Bonzi, ambassadeur du roi de France auprès du duc de Mantoue. Elle est également la soeur de Pierre de Bonzi, évêque de Béziers qui deviendra cardinal et archevêque de Narbonne (nous l’avons déjà rencontré lors de notre visite de l’hôtel de la comtesse de Ganges).
Sa brillante carrière militaire au service de Louis XIII permet à René Gaspard de Castries d’ériger ses terres en marquisat quelques années plus tard.
Pour offrir à sa jeune épouse un cadre digne de son rang, Gaspard de Castries engage Simon Levesville, architecte connu et recherché par l’élite sociale de l’époque.
Il lui fait ajouter les deux travées de droite qui sont bâties en englobant une auberge médiévale dont il subsiste un mur
toujours visibles nos jours. Il acquiert aussi plusieurs parcelles voisines et poursuit l’agrandissement de la demeure à l’arrière.
Simon Levesville remodèle l’hôtel et donne à la façade principale son aspect actuel, tout à fait remarquable. Ainsi, sur un rez-de-chaussée élevé, se dresse l’étage noble avec ses fenêtres entourées de pilastres ioniques portant un entablement complet. Il s’inspire largement de la composition mise en place quelques années plus tôt à l’hôtel de Roquemaure, le 7e des hôtels particuliers traités dans cette rubrique.
Simon Levesville est issu d’une grande famille de bâtisseurs. On doit à son père le choeur de la cathédrale d’Orléans et à son oncle Pierre Levesville diverses améliorations apportées à la cathédrale de Mende, à celles de Toulouse et d’Auch, au château de Laverdens…
C’est d’ailleurs surtout Pierre qui restera dans les mémoires.
Mais Simon est néanmoins l’architecte à la mode à Montpellier. Les grandes familles de la place se disputent son talent.
A l’étage des combles, celui des domestiques d’ordinaire peu valorisé, il réalise de fausses lucarnes qui achèvent une élévation ordonnancée à pilastres. Les fenêtres sont couronnées de frontons à enroulements et bordées de pilastres corinthiens.
Le porche d’entrée d’origine était également copié sur celui de l’hôtel de Roquemaure mais il a été remplacé au XVIIIe siècle. Les pilastres de ce nouveau portail à l’antique soutiennent un magnifique entablement dorique avec une frise de triglyphes et de métopes.
Une tête de Neptune accueille le visiteur au centre de son arcade en anse de panier. Il est reconnaissable aux roseaux qui émergent de sa chevelure.
La voûte d’entrée, légèrement décalée, conduit vers la lumière de la cour d’honneur de style « rustique français », à la mode sous le règne d’Henri IV.
La partie haute reprend le principe de la régularité des travées et des fausses lucarnes de la façade sur rue, tandis qu’au rez-de-chaussée l’emplacement des ouvertures semble libre.
Le « rustique français », style dominant de l’ouvrage donne à cette cour d’honneur un cachet unique. La vigueur des angles, des droites et des bossons des murs forment un étonnant contraste avec les volutes de l’étage supérieur.
L’hôtel de Castries connaît son heure de gloire en 1660, lorsque Louis XIV et la Cour s’arrêtent à Montpellier.
Le roi est en route pour le Pays-Basque où doit être signé le traité des Pyrénées et le mariage du roi avec l’infante Marie-Thérèse d’Espagne. Il profite de ce déplacement pour visiter le Midi et la Cour s’arrête à Montpellier à deux reprise : le 5 janvier 1660 pour trois jours et le 2 avril pour cinq jours.
Les personnages de haut rang sont logés dans les hôtels particuliers les plus prestigieux de la ville.
Louis XIV est reçu à l’hôtel de Robin, aujourd’hui disparu. La reine mère Anne d’Autriche est hébergée à l’hôtel de Castries.
Simon Levesville pare l’entrée du grand escalier de pointes de diamant et d’un ingénieux système d’éclairage par la lumière du jour.
Le pavillon d’escalier avec ses plafonds de palier parquetés et l’escalier lui-même, rampe sur rampe avec un mur central évidé, donne sur la galerie qui relie la partie avant à l’arrière où se trouve un magnifique salon à l’italienne.
Chacune des portes fait l’objet d’une décoration à bossages très raffinée, avec des motifs différents.
L’étage noble ouvre sur une série de salons qui donnent une idée de l’opulence des propriétaires. La grande salle des gardes, salon à l’italienne embrassant deux niveaux (plus de 7 mètres de haut !) et couronnée par une fresque de Jean de Troy, trouve sans doute son origine du coté de la salle des Géants du palais Doria de Gênes.
La famille de Bonzi aurait, en effet, fréquenté ce palais italien. Les spectaculaires gypseries qui ornent le salon monumental, sont l’oeuvre de Jean Sabatier, sculpteur « en plâtre » renommé dans tout le Bas-Languedoc dans la seconde moitié du XVIIe siècle.
L’ensemble est, à lui tout seul, un véritable catalogue de l’art du sculpteur.
Il donne une idée des salons d’honneur des autres hôtels particuliers dans lesquels il a travaillé comme les hôtels du Manse, de Deydié, de Mirman, de Bocaud, Richer de Belleval…
Les dispositions du décor du plafond s’inspirent d’une gravure de Jean Cotelle publiée en 1647. On y retrouve, disposés dans les voussures, les mêmes aigles et les mêmes putti et, dans les angles, les mêmes urnes.
Mais le plus remarquable est la cheminée monumentale en tombeau, décorée d’un buste de César sur fond de trophées militaires.
C’est dans ce salon qu’est donnée la première représentation d’opéra à Montpellier en 1678. C’est le cardinal de Bonzi, beau-frère de feu René Gaspard de Castries, qui organise cette soirée dans l’hôtel
de sa soeur. L’opéra est chanté en l’honneur de la paix de Nimègue sur des paroles composées par l’abbé David Augustin de Brueys.
La famille de Castries conservera cet hôtel jusqu’en 1711.
Par la suite, la maison fut vendue aux frères Gilly, banquiers en relation étroite avec John Law, écossais bien connu. Elle passe ensuite à Pierre Fizes, baron de Sauve.
Sa famille la conservera jusqu’en 1849. Entre
temps, le 28 mai 1814, pour fêter le retour du roi Louis XVIII, le « retour des lys », une grande fête sera donnée dans la cour. Près 700 personnes y ont dansé jusqu’à l’aube.
La crise économique ayant eu raison des plus belles fortunes de la place, l’hôtel est cédé au comte de Forton qui n’y résidera jamais et le vendra en 1917 à un négociant en vins de Sète qui le revendra à son tour à la famille Fitte. Cette dernière le divisera en lots, tout en conservant un appartement jusqu’en 2000. (Merci à Francky pour ce reportage – Photos : Francky et V. Rivéra (photos du grand salon))
Bastide
28 décembre 2023 @ 05:53
Oh, quel salon.
Quel ensemble de sculptures..
Francky
28 décembre 2023 @ 11:18
Bastide,
Ce salon ne laisse personne indiffèrent…
Songez que d’autres hôtels, déjà évoqués, en possèdent d’aussi beaux….: les hôtels de Mirman et de Beaulac par exemple…
Vous aurez ainsi une idée des splendeurs qui échappent à nos yeux….
Bastide
29 décembre 2023 @ 16:45
Cher Franky, merci. J’ai beaucoup aimé Montpellier du temps où j’y avais un ou 2 membres de ma famille, et nous aimions bien imaginer ce qui était derrière les portes. Voilà, grâce à vous, j’en ai une idée plus précise!
Je n’en ai vu qu’un seul, celui qui est devenu la maison de Heidelberg.
Benoite
28 décembre 2023 @ 07:14
Toujours Francky nous propose une jolie visite des lieux d’Histoire, qui fait sensation. Ces belles demeures si décorées, et bien meublées ont vécu avec leurs familles, et souvent, transmises ou vendues . Il faut pouvoir les conserver, ce qui on le voit, n’est pas si évident. J’aime lire les termes d’Architecture, et voir les photos magnifiques des détails, des lumières naturelles, et leurs origines. Merci de tout.
opaline
28 décembre 2023 @ 08:20
Superbe. Le château de Castries est également magnifique. Un grand merci.
Francky
28 décembre 2023 @ 12:08
Vous avez raison, Opaline.
Le château de Castries est surnommé le « Versailles » du Languedoc…
Ceci dit, chaque région de France veut avoir son Versailles…
milou
28 décembre 2023 @ 09:35
Quel plaisir ces matins-ci de lire et regarder les beaux reportages de Francky!
Aldona
28 décembre 2023 @ 09:54
Une leçon pour moi sur l’histoire, avec de belles photos, et quelle belle cheminée
Menthe
28 décembre 2023 @ 10:57
Et pour moi une leçon de termes architecturaux.
Merci Francky, vraiment, vraiment , pour l’ensemble de vos reportages.
« Un peu de douceur dans ce monde souvent brutal » qu’est devenu NR, et aussi beaucoup d’instruction.
Liam
28 décembre 2023 @ 10:24
Présentation très, très fouillée -riche en infos- de l’hôtel de Castries.
Là de suite j’avoue ne pas savoir où dans Montpellier.
Ce grand salon…. de toute beauté!!
Encore un fois….merci Francky et aussi à Riveira!
Francky
28 décembre 2023 @ 11:15
Liam
Un petit indice: il se trouve dans l’une des rues piétonnes les plus commerçantes du centre historique… Vous le trouverez facilement je pense… mais on passe parfois devant sans le voir… perdu au milieu des autres bâtiments…
Mais le grand salon ne donne pas sur cette rue : il est à l’arrière….
Parfois, j’aimerais être une mouche pour m’incruster dans les autres salons qui doivent être tout aussi beaux… 😇
Gatsby
28 décembre 2023 @ 14:39
Merci infiniment pour cette rubrique qui donne envie de visiter Montpellier.
Passiflore
28 décembre 2023 @ 20:36
Je pense comme vous, Gatsby, comment après ces reportages ne pas vouloir visiter Montpellier. Merci, Francky !
DEB
28 décembre 2023 @ 15:22
Celui-ci est particulièrement beau.
Merci.
Caroline
28 décembre 2023 @ 23:47
Toujours intéressant !
Merci à Francky !
carmina burana
29 décembre 2023 @ 07:43
J ai passe de nombreuses semaines pendant des annees a Montpellier,un de mes fils y habitant,jamais je n aurais imagine autant de beaute et de raffinement,c est splendide,pas d autres mots.
Je devine ou se situe cet hotel,rue pietonne la plus connue,facile et merci,car la prochaine visite a Montpellier je vais bien le trouver.
Danielle
29 décembre 2023 @ 18:22
Ces sculptures sont époustouflantes, quel travail !! et la décoration des portes superbe.
Philippe H.
30 décembre 2023 @ 23:09
Merci,Franky, pour ces reportages fort documentés qui nous font découvrir des richesses architecturales insoupçonnées…et merci de prendre le temps de
nous faire partager votre intérêt pour ces demeures …
Liam
1 janvier 2024 @ 08:56
Francky,
Grand merci pour l’indice.
Tous mes voeux de santé, bonheur pour toi, tous les participants, les lecteurs de N&R et Régine.
Francky
1 janvier 2024 @ 11:24
Très belle et heureuse année à vous aussi Liam, avec de belles découvertes en perspective à Montpellier ou ailleurs ! ;)