A l’emplacement actuel de cet hôtel, la cour du bayle, représentant du seigneur de Montpellier, siégea jusqu’en 1551.
Les protestants élevèrent ensuite un temple à cet endroit, que Louis XIV fit raser en 1682 suite à la Révocation de l’édit de Nantes.
En 1686, le cardinal Pierre de Bonzi, archevêque de Narbonne et principal agent du pouvoir royal dans la province puisqu’il était aussi Président des Etats du Languedoc, mène un train de vie à la hauteur de son rang. Il fait bâtir un hôtel particulier pour Jeanne de Gévaudan, comtesse de Ganges, avec laquelle il entretient une relation intime. Il ne fait pas grand mystère de cette liaison avec cette femme de douze ans sa cadette et, dit-on, d’une grande beauté.
Pour cette construction, il fallut empiéter sur la place qui avait été dégagée par la destruction du temple et on dut même déplacer une croix qui s’y trouvait.
Ainsi, quelques contemporains n’hésitaient à se moquer ouvertement des bâtisseurs en chantant à tue-tête dans le voisinage ceci : « O croix quitte ce lieu, Vénus va l’habiter et la croix et Vénus ne peuvent s’accorder »,
avant de surenchérir, à l’adresse du cardinal avec cette sentence :
« Puisque l’amour est son unique Dieu, il ne veut honorer que lui seul en ce lieu ».
L’hôtel de Ganges, conçu comme un hôtel à la française, c’est-à-dire composé en C sur une cour fermée par corps bas de passage, aurait été conçu par Charles Daviler, dessinateur à l’agence des bâtiments du roi établi en Montpellier en 1691 et auteur comme nous l’avons vu, de la porte royale du Peyrou et de nombre d’hôtels particuliers dans la cité.
La façade est ornée de colonnes et de pilastres doriques jumelés soutenant un balcon où les connaisseurs reconnaîtront la même ferronnerie que celle de l’escalier de l’hôtel de Beaulac.
Les mêmes artisans ont donc travaillé sur cette demeure construite quelques années plus tard.
La façade fut surélevée au XVIIIe siècle et des pilastres ont été ajoutés pour unifier les deux niveaux.
Leurs chapiteaux corinthiens portent un large entablement d’où émergent des têtes de gargouilles.
Le porche franchi, on pénètre dans la cour d’honneur dont la façade axiale reproduit le même ordonnancement : quatre grands pilastres se terminent par des chapiteaux corinthiens identiques à ceux de la façade extérieure.
Délimitant les deux niveaux de l’hôtel, un bel entablement à décrochement est organisé à la manière antique. Une alternance de feuilles d’acanthes et de rosaces particulièrement soignées y agrémente la face inférieure tournée vers le visiteur prêt à entrer dans cette illustre demeure.
De la même manière, le porche d’entrée est gardé, comme côté rue, par de belles colonnes doriques.
On retrouve ces mêmes colonnes à l’intérieur de l’aile latérale, soutenant l’un des escaliers qui desservent l’étage noble. Bien que profondément remanié au gré de ses affectations, il montre la belle homogénéité
antiquisante voulu par les architectes.
A la mort de la comtesse de Ganges en 1717, l’édifice est acquis par le conseil de la ville pour abriter le logement et les services de l’intendant de la province, Louis de Bernage de Saint-Maurice.
L’intendance du Languedoc est donc transférée dans le bâtiment en 1718 où elle siégera jusqu’à la révolution. Avec la suppression de l’Intendance à la Révolution, l’hôtel de Ganges devient Maison Commune.
C’est ici que Jean-Jacques Durand, le premier maire élu de Montpellier, exerce son mandat avant de finir sur l’échafaud.
En 1800, Napoléon Bonaparte crée les administrations préfectorales et le premier préfet, Joseph de Nogaret, prend possession des lieux le 25 mars 1800.
De cette époque date très certainement la décoration de la galerie surmontant le porche d’entrée de l’hôtel.
Surplombant la place de l’Intendance d’un côté et la cour d’honneur de l’autre, un alignement de fenêtres se font face, délimitées par des pilastres cannelés surmontés de chapiteaux ioniques, eux-mêmes séparés par des miroirs se faisant face également.
Le raffinement de cette petite « Galerie des Glaces » se prolonge dans sa voûte entièrement peinte
et témoigne du retour à l’Antique dans les aménagements et décors intérieurs.
Un déploiement de frises, de guirlandes florales, de lianes, de feuillages et de perles, de cygnes encadrant des vases d’abondances, des flambeaux et scènes d’offrandes antiques se succèdent dans une harmonie parfaite.
Les portes-fenêtres s’ouvrent sur le balcon surplombant ce qui était naguère la place de l’Intendance, aujourd’hui la place Chabaneau.
Au centre se trouve la fontaine de l’Intendance, édifiée en 1776. Elle représente la statue d’une femme tenant les armes de Montpellier dans sa main gauche et dans sa main droite un vase déversant l’eau.
Préfecture et mairie vont cohabiter pendant 6 ans jusqu’au départ définitif en 1806, des services municipaux pour l’hôtel Richer de Belleval, place de la Canourgue.
La préfecture impériale conserve, dans un premier temps, les dispositions générales de l’immeuble de l’Intendance.
Dès la Restauration néanmoins, les besoins des services de l’État et du département nécessitent un premier agrandissement à l’Est, par la construction d’un bâtiment donnant sur la place du marché aux Fleurs.
C’est ainsi que la surface de l’hôtel est doublée avec la création d’un nouvel ensemble de bâtiments entourant une nouvelle cour.
En 1862, à l’apogée du Second Empire, il est décidé d’agrandir à nouveau la préfecture par la construction d’une aile principale donnant sur la nouvelle grande artère en cours de création : la « rue Impériale » (actuelle rue Foch).
L’architecte Henri Bésiné est chargé de réaliser la nouvelle préfecture bâtie de 1867 à 1870 afin de loger de nouveaux services. La réception du chantier a lieu le 18 août 1870 pendant la guerre franco-prussienne, 15 jours avant l’effondrement du régime impérial lors de la défaite de Sedan.
Avec ce nouvel agrandissement, la façade principale de la Préfecture se situe à présent au Sud et donne sur l’actuelle place des martyrs de la Résistance.
L’entrée principale de l‘hôtel de la comtesse de Ganges qui s’ouvre à l’Ouest (actuelle place Chabaneau), est donc reléguée au rang d’entrée secondaire.
Le nouveau porche d’entrée, aménagé au XIXe siècle, reprend malgré tout des éléments de son prédécesseur. Il est bordé, de part et d’autres, par un bel ensemble de colonnes doriques.
On y découvre les allégories de l’Hérault, de l’Orb et de la Mosson qui sont dues au sculpteur biterrois Jean Antoine Injalbert. Cet artiste biterrois fit une brillante carrière et réalisé notamment les sculptures qui ornent le pont Mirabeau à Paris.
Le grand escalier d’honneur s’envole vers l’étage noble où se déploient les salles de réception. Sa la belle ferronnerie a été réalisée dans un style fin d’ancien régime.
Au mur, un tableau de Napoléon III rappelle la fin du Second Empire, période pendant laquelle fut réalisée la nouvelle aile du bâtiment. Il fut offert par l’empereur lui-même.
Le vaste palier de l’escalier d’honneur sert d’antichambre aux appartements de réception du Préfet.
Le salon gris, avec ses moulures de style Louis XV, est le lieu de réception des autorités officielles en visite à Montpellier. Il accueille également des conférences de presse lors des prises de fonction des membres du corps électoral.
Il est habillé de boiseries de style Louis XV auxquelles répondent des coquilles et guirlandes de fleurs en stuc au plafond.
Le salon doré est la salle à manger du préfet. Il y reçoit des personnalités, des ministres, des élus. La table a été dressée pour la réception de monsieur Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion, le 20 janvier 2022.
Les grands salons occupent la plus grande partie de la longueur de la façade construite entre 1867 et 1870. Leurs fenêtres ouvrent sur la place des Martyrs de la Résistance, dont le balcon surplombe le
porche d’entrée.
Appelés à l’époque « appartement de fêtes », les grands salons sont divisés en trois espaces distincts, la tribune centrale étant destinée à l’origine, aux musiciens à l’occasion des bals et des dîners d’apparat.
La décoration est confiée à plusieurs artistes. Louis Leconte de Roujoux, peintre et décorateur parisien, collaborateur de Charles Garnier à l’opéra de Paris, est chargé de la peinture ornementale des salles de réception. Il s’agit des dessus de porte ornementaux sur le thème des vases de fleurs.
Les bustes en marbre blanc représentent des personnages célèbres de l’Hérault comme Sébastien Bourdon, Pierre-Paul Riquet ou l’archichancelier d’Empire Jean-Jacques Régis de Cambacérès.
En 1879, sous la IIIe République, le paysagiste Eugène Baudouin (1842-1893), originaire de Montpellier, peint une série des vues des villes du département. Les deux panneaux du grand salon représentant Agde et Sète sont datées de 1888.
Edouard Lefèvre, sculpteur de Nîmes installé quelques années plus tard à Montpellier, taille dans le marbre de Carrare les cheminées. Il exécute en plâtre et carton-pierre les moulures et motifs divers
du grand salon.
De nombreux événements se déroulent dans les grands salons de la préfecture comme les cérémonies de naturalisation et de déclaration de nationalité française, les voeux pour la nouvelle année, les soirées électorales…
Depuis la Comtesse de Ganges jusqu’aux Préfets de la Ve République, ce vaste hôtel a subi bien des transformations mais reste, encore aujourd’hui, l’un des plus emblématiques de la cité languedocienne. (Merci à Francky pour ce reportage – Photos et textes de Francky)
Opaline
15 novembre 2023 @ 06:12
Superbe reportage. Merci.
Benoite
15 novembre 2023 @ 06:19
je me suis laissée « absorber » par la beauté des peintures des plafonds. Superbes. quel beau voyage encore avec cet article. Merci beaucoup.
Francky
15 novembre 2023 @ 13:25
Vous avez raison Benoite,
Les plafonds, et particulièrement ceux de la petite galerie des glaces, sont particulièrement beaux et bien restaurés.
JAusten
15 novembre 2023 @ 07:20
Merci Francky ! Je ne suis jamais rentré dans la préfecture par côté. Je ne connais que celui très années 70 que tout le monde connait pour les passeports, visas, etc.
Je n’ai jamais imaginé que cela pouvait être aussi beau !
Francky
15 novembre 2023 @ 13:31
JAusten,
On connaît souvent cette aile moderne de la Préfecture et sa façade Second Empire sur la place des martyrs de la Résistance. Beaucoup moins la partie la plus ancienne qui s’ouvre sur la place Chabaneau.
Vous avez la possibilité de visiter les salons de la Préfecture lors des Journées du Patrimoine ou bien lors d’une invitation par le Préfet… ;)
Charlotte (de Brie)
15 novembre 2023 @ 08:07
Vous nous comblez Francky, ayant survolé votre reportage, je me réserve de lire et admirer attentivement dans la journée, comme dit à l’occasion du sujet précédent.
Lors de ce « survol » j’ai noté le nom « Nogaret » y a t il un rapport avec Guillaume de Nogaret, garde des sceaux de Philippe le Bel et je crois languedocien ?
Francky
15 novembre 2023 @ 13:53
Charlotte
Je ne sais pas s’il y a un lien de parenté entre les deux.
Benoite
15 novembre 2023 @ 13:59
moi aussi Charlotte, J’ai vu le même nom de Nogaret ici mentionné.
LORIN Marie
15 novembre 2023 @ 09:18
Ganges, jolie ville des Cevennes et mon meilleur souvenir à Antoine Fabre d’Olivet qui participa à la renaissance du félibrige.
Passiflore
15 novembre 2023 @ 09:23
Magnifique reportage, merci Francky.
Pierre de Bonzi appartient à l’une des plus puissantes familles originaires d’Italie arrivée en France dans l’orbite des Médicis. Il est évêque de Béziers en 1659, accède au siège de Narbonne, en 1673, après avoir été archevêque de Toulouse, en 1669. Comme archevêque de Narbonne, il préside les États de Languedoc. Il est nommé Grand aumônier de la Reine Marie-Thérèse, en 1670, et devient cardinal en 1672. À ces fonctions ecclésiales s’ajoute une intense participation aux activités diplomatiques de Louis XIV. Bonzi est ambassadeur à Venise (1662-1665), puis en Pologne (1665-1668) et enfin à Madrid (1670-1671).
Passiflore
15 novembre 2023 @ 09:26
Saint-Simon écrit à propos du Cardinal : « Le bon cardinal, quoique en âge où les passions sont ordinairement amorties, étoit éperdument amoureux d’une Mme de Gange (…) Cet amour étoit fort utile au mari ; il ne voulut donc jamais rien voir (…) Le scandale étoit en effet très réel, et sans l’affection générale que toute la province portoit au cardinal, cela auroit fait beaucoup plus de bruit (…) Bonzi alla à la cour, espérant tout de sa présence : il y fut trompé ; il trouva le roi bien instruit, qui lui parla fort franchement, et qui, par son expérience, ne se paya point de l’aveuglement volontaire du mari. Bonzi, rappelé à Montpellier pour les états, ne put se contenir (…) Bâville [l’intendant du Languedoc] fit des parties contre le cardinal, qui s’attira des dégoûts sur ce qu’il ne changeoit point de conduite avec sa belle. Il était accusé de ne lui rien refuser, et comme il disposoit dans les états, et hors leur tenue, de beaucoup de choses pécuniaires et de bien des emplois de toutes les sortes, Mme de Gange étoit accusée de s’y enrichir, et il y en avoit bien quelque chose (…) Enfin le cardinal eut l’affront et la douleur de voir arriver une lettre de cachet à Mme de Gange, qui l’exiloit fort loin. Son cœur et sa réputation en souffrirent également ».
Iris Iris
15 novembre 2023 @ 09:42
Waouw, Francky, quel ravissement! Ce type d’ architecture me plaît particulièrement parce qu’ elle ne s’ offre pas au passant: elle se mérite.
J’ ai découvert récemment, dans un quartier populaire de Bruxelles, un hôtel particulier en intérieur d’ îlot – la maison des arts de Schaerbeek: cela dira quelque chose à celle qui avait, en son temps, rédigé un article fort intéressant sur cette commune remarquable.
Francky
15 novembre 2023 @ 13:35
Merci Iris,
Les hôtels montpelliérains cachent en effet bien des trésors derrière leurs austères façades. Ce qui décuple l’émerveillement lorsqu’on y pénètre !
Mais ce doit être le cas dans beaucoup de centres historiques en France ou en Belgique.
Baboula.
15 novembre 2023 @ 09:42
L’acquisition par les Services d’Etat a sans doute protégé ce bel hôtel qui a évité d’être morcelé.
Perlaine
15 novembre 2023 @ 09:59
Wouah ! quel reportage
Jean Pierre
15 novembre 2023 @ 10:05
L’archevêque devait avoir de belles rentes.
Quant au préfet, j’espère que chaque jour il apprécie la chance d’être logé dans ce magnifique bâtiment.
Francky
15 novembre 2023 @ 13:39
Bonjour Jean-Pierre,
Le Préfet apprécie plus particulièrement les arts asiatiques et collectionne les armures de samouraï…
Quand à son logement et son bureau, ils se trouvent dans une aile aménagée dans les années 70, plus fonctionnelle, mais avec néanmoins des jardins suspendus donnant sur l’une des plus jolies places de la ville.
Les salons présentés ici sont ceux utilisés uniquement pour les réceptions officielles (et plus pour les bals…).
Antoine1
15 novembre 2023 @ 10:50
Mais comment faites-vous donc pour nous régaler de deux reportages d’une telle qualité en deux jours ? Texte et photos sont de haute volée. Un régal dont on ne se lasse pas sans oser en redemander…
Damien B.
15 novembre 2023 @ 11:59
Excellent travail richement illustré, merci pour vos articles Francky.
michelle
15 novembre 2023 @ 13:23
Austère
Danielle
15 novembre 2023 @ 13:35
Très très bel hôtel où absolument tout me plait, que j’aimerais le visiter…
Un grand merci Francky.
Caroline
16 novembre 2023 @ 00:15
Ma- gni- fique !
Je suis étonnée de voir les ampoules ordinaires sous le plafond dans la huitième photo !
Liam
16 novembre 2023 @ 06:57
Ah ces plafonds sont de toute beauté!
Superbe reportage, je me régale grâce à vous dès le matin.
Je suis passée maintes fois devant sans savoir qu’il y avait là un tel trésor.
Mon fils habite 2 rues plus bas.