C’est en 1627 que commence l’histoire de cette illustre demeure, lorsque Joseph Deydé, procureur général de la Cour des Aides, achète une première maison.
Mais son décès ne lui permet pas de mener à bien la construction d’une maison digne de son rang. Sa veuve, Anne de Rignac, poursuit le
projet et fait appel à l’architecte le plus connu en cette première moitié du XVIIe siècle, Simon Levesville, qui est en train de travailler à l’hôtel de Fizes.
Cette première campagne de travaux voit l’édification du bâtiment principal et d’une aile perpendiculaire, lui donnant un plan en forme de L. La mort de Simon de Levesville marque un coup d’arrêt au projet. Pour quelques année seulement…
En effet, le petit-fils de Joseph et Anne Deydé, héritant tout à la fois du prénom, de la demeure, de la charge de son grand-père comme Conseiller à la Cour des Comptes, Aides et Finances, reprend les travaux de l’hôtel en embauchant un architecte qui vient d’arriver de la capitale : Augustin Charles d’Aviler. Cet élève de Jules-Hardouin Mansart vient à Montpellier en 1791 pour superviser le chantier de construction de la porte royale du Peyrou.
Il intervient en parallèle, dans l’édification de nombreux hôtels particuliers et met en application les nouvelles règles de régularité, de symétrie et de sobriété décorative acquises à Paris.
C’est ainsi qu’il dote la demeure des Deydé d’une seconde aile, identique à la première, lui donnant une forme en U.
Daviler relie les deux ailes par un petit bâtiment donnant sur la rue, couvert d’un toit-terrasse délimité de part et d’autre, par une balustrade.
Il est occupé en son centre par un portail monumental surmonté d’un fronton triangulaire, suivant ainsi l’exemple des hôtels parisiens.
Le portail s’ouvre au fond d’une coquille dont l’ornementation principale occupe l’espace entre le portail et le fronton. Daviler a fait appel au sculpteur Philippe Bertrand qui a réalisé les quatre basreliefs
des médaillons de la porte du Peyrou et qui reprend ici un personnage mythologique qu’il a déjà utilisé : Hercule.
Philippe Bertrand l’a coiffé de la tête du lion de Némée, ses pattes nouées sous le menton, sa fourrure s’étirant de part et d’autre à la manière d’une draperie. Deux massues complètent la composition, semblables aux armes d’un trophée antique. Une paire de double consoles soutiennent l’entablement du fronton et complète cette oeuvre de grande qualité.
Le portail franchi, on admire l’élégance du passage qui relie à la fois les deux ailes de l’hôtel et sépare la cour de la rue. Côté cour, il présente deux tracés symétriques, en quart de cercle, facilitant la manoeuvre des carrosses. Une porte à fronton triangulaire est aménagée dans chacune de ces concavités.
Au centre du porche, la clé de voûte est ornée d’une tête de Bacchus reconnaissable à sa couronne de feuilles de vigne et de raisins.
Le bâtiment principal au centre de la cour comporte une fontaine margelle, encadrée de pilastres à refends supportant un fronton triangulaire dont le tympan est orné d’une grande coquille et de guirlandes.
Une tête d’animal, aujourd’hui envahie par la végétation, distribuait autrefois l’eau nécessaire aux habitants de la demeure.
Une double porte donne accès à l’oeuvre de Charles Augustin Daviler : le grand escalier. Aménagé dans l’aile ouest, il dessert, de manière majestueuse, les deux étages de l’hôtel.
Celui-ci est formé de quatre noyaux et ses volées de marches reposent sur des piliers et arcs en anse de panier.
Pour chaque volée, l’appui est constitué par six balustres et deux demi-balustres engagés, tous rampants, de profil symétrique et de section carrée.
En plus du chef-d’oeuvre de Daviler, un autre escalier dessert le bâtiment central en déployant ses volées dans une tour hexagonale aménagée dans un angle.
Voulu comme un hôtel « à la française », c’est-à-dire entre cour et jardin, l’hôtel Deydé possède toujours un îlot de verdure au coeur de l’écusson.
Dominant les toits de plus de 30 mètres, son cèdre serait vieux de plus de 200 ans et a été classé arbre remarquable en 2021.
Le marquis Bernard Daniel Deydé, petit-fils de Joseph (2e du nom), est guillotiné au au cours de la Révolution. L’hôtel est alors confisqué et quitte définitivement la famille.
L’importance acquise par les Deydé se lit à travers l’aménagement de leur hôtel particulier, sans cesse agrandi et embelli. Mais elle se retrouve également dans la cathédrale Saint-Pierre de Montpellier où ils aménagèrent une chapelle funéraire pour leur repos éternel.
La chapelle Deydé était reconnue comme un chef d’oeuvre de la sculpture, avec son décor baroque de la fin du 17ème siècle.
Ce décor témoigne de la volonté de l’affirmation de cette famille, une des plus puissantes de Montpellier durant les XVIIe et XVIIIe siècles.
L’histoire, comme bien souvent, n’a pas voulu nous en transmettre la beauté, la Révolution ayant détruit son unité, éparpillé ses joyaux. Seuls quelques vestiges sont parvenus jusqu’à nous.
Le marquis Jean Deydé (1617-1687), fils de Joseph et d’Anne de Rignac, fit achever la chapelle en y plaçant son buste avec celui de son épouse, Catherine d’Ortholan.
Ils furent réalisés par Christophe Veyrier, gendre du grand sculpteur et architecte Pierre Puget. Ces deux bustes superbes participaient au décor de leur chapelle funéraire, avec les peintures de Nicolas Mignard.
Le buste en marbre de Constance Deydé (1674-1679) a été réalisé par un sculpteur appartenant à l’entourage d’Antoine Coysevox vers 1680.
Il présente un travail de ciselure purement exceptionnel
avec une délicatesse des drapés et un superbe rendu des broderies et des tissus et surtout un visage aux traits sublimes faisant de cette jeunesse trop tôt ravie, une beauté éternelle, presque divine.
En 2019, le musée Fabre réalisa une très belle exposition sous la direction de Pierre Stepanoff qui avait pour objectif de rappeler la richesse de leur chapelle par sa polychromie de marbres et la qualité décorative de l’ensemble.
Grâce aux vestiges de cette chapelle aujourd’hui consacrée à saint Roch, à la réunion de quelques éléments majeurs de son ornementation comme les bustes et des éléments de décor éparpillés dans la cathédrale, Jean-Christophe Donnadieu en a délivré une reconstitution en 3D et a su rendre l’éclat de son luxe évanoui dans les aléas de l’histoire.
Aujourd’hui demeure, symbole de la grandeur des Deydé et de leur puissance, leur hôtel particulier que vous venez de découvrir. (Merci à Francky pour ce reportage – Photos : Francky et Midi Libre)
Léa 33
17 novembre 2023 @ 10:38
Bonjour
Merci pour ces superbes visites des hôtels particuliers et leur histoire. L’architecture porte témoignage des temps passés ou présents, c’est intéressant de suivre les évolutions et d’en savoir un peu plus sur les différentes générations ayant habitées ces lieux. Je ne poste pas à chaque fois mais je tiens à vous féliciter pour vos articles sur le sujet.
Francky
17 novembre 2023 @ 19:58
Merci beaucoup Léa pour votre message.
C’est vrai qu’il faut préserver les héritages du passé, mais c’est parfois compliqué de l’entretenir comme dans cet hôtel particulier où les copropriétaires n’arrivent pas à s’entendre pour réaliser la rénovation de la façade…
Baboula.
17 novembre 2023 @ 11:41
En septembre cinq reportages étaient annoncés, nous en sommes à seize et l’intérêt ne faiblit pas. Très grand merci à vous Franky
Vivier
17 novembre 2023 @ 22:16
Il faudrait rassembler ces magnifiques reportages en un livre dédié !
tristan
17 novembre 2023 @ 13:20
Toujours magnifique, merci Francky. J’admire l’idée de l’escalier dans la tour. Pas aussi spectaculaire que le scala del Bovolo à Venise, mais moins exposé au vent. Incroyable la richesse architecturale de cette ville !
Francky
18 novembre 2023 @ 10:53
Cher Tristan,
Je n’ai pas osé le noter dans l’article car cela me fend le cœur… Mais je vous le confie ici (entre nous…): l’escalier dans la tour hexagonale a laissé place à… un ascenseur… :-(
Moins exposé au vent comme vous dites, mais aussi certainement plus pratique pour des personnes âgées… Et dans tous les cas, moins glorieux pour le patrimoine…
Perlaine
17 novembre 2023 @ 14:19
Quel patrimoine ! Je vous sais gré de me l’avoir fait découvrir . Merci vraiment Francky.
neoclassique
17 novembre 2023 @ 15:31
Franky
c’est un plaisir chaque fois renouvelé que de vous lire à la fois par la précision de vos récits que la qualité et la pluralité de vos photos. Et cela me plait d’autant plus que ma famille possède un hôtel dans l’écusson, non loin des hôtels que vous évoquez chaque fois avec brio.
Savez-vous qu’Henri de Colbert possède à Flaugergues des souvenirs des Deydé même si, hélas, nombre d’entre eux furent dispersés par Sotheby’s il y a une vingtaine d’années pour financer des travaux de restauration du château.
Mais surtout continuez à nous régaler en nous faisant découvrir tous ces trésors cachés du marais montpelliérain. Et pourquoi ne feriez-vous pas une série sur les nombreuses folies qui entourent la ville?….
Francky
18 novembre 2023 @ 10:48
Merci Néoclassique,
Je ne sais pas quel hôtel possède votre famille dans l’écusson… Si jamais je ne le connais pas, cela me ferait grand plaisir de le découvrir… si c’est possible bien sûr…
Vous aviez mon adresse mail et pouvez la demander à nouveau à Régine si vous souhaitez me contacter.
Concernant les Folies montpelliéraines, j’avais réalisé une dizaine d’articles sur elles en 2014. Je pensais que vous étiez déjà des nôtres et les aviez lus… Vous pouvez les retrouver dans l’onglet de recherche avec les mots clés « folies montpellier ». Je viens de vérifier: elles y sont toujours !
Et concernant la famille de Colbert, je connais bien entendu la demeure et aussi la famille que j’ai eu l’occasion de rencontrer. Et vous trouverez également un article sur Flaugergue…
Opaline de Castries
17 novembre 2023 @ 18:54
Tour à fait. On adore!😁
Francky
17 novembre 2023 @ 20:00
Baboula,
Je suis heureux de voir que ces articles vous intéressent autant…
Et qui sait, il y en aura peut-être une autre série pour le mois de décembre… ;-)
Charlotte (de Brie)
18 novembre 2023 @ 08:51
Alors ça, Francky ce serait un excellent calendrier de l’Avent, qui nous changerait des bûches !
Bon week-end !
Baboula.
18 novembre 2023 @ 10:31
Franky Citoyen d’Honneur de Montpellier. 😉
Hervé J. VOLTO
17 novembre 2023 @ 21:00
Oui, un grand merci pour ces visites des hôtels particuliers et leur histoire !
Vivier
17 novembre 2023 @ 22:16
Il faudrait rassembler ces magnifiques reportages en un livre dédié !
Francky
18 novembre 2023 @ 11:01
Vivier,
L’idée est en effet fort intéressante… et me plairait beaucoup. Il existe un très beau livre consacré aux hôtels particuliers montpelliérains écrit par Claude Huver.
Mais il ne présente que les façades extérieures et les détails architecturaux visibles de la rue. Je pense que pour éditer un livre commercialisé comprenant des photos des parties intérieures, il faudrait obtenir les autorisations des différents propriétaires ce qui ne serait pas évident du tout…
Liam
18 novembre 2023 @ 05:46
Tous ces reportages sur Montpellier me laisse rêveuse.
Ici j’aime particulièrement le passage qui relie à la fois les deux ailes de l’hôtel.
Il en émane de la paix, la quiétude.
Philippe
18 novembre 2023 @ 10:59
J’ai grandi à Celleneuve, et à 20 ans déménagement pour Pérols, maintenant c’est Paris depuis 45 ans. Mais c’est un plaisir chaque fois que je viens à Montpellier de déambuler dans la ville et d’admirer tous ces anciens hôtels, et donc ces reportages sont à faire connaître. Continuez comme ça !