Après la restauration, le fort, redevenu royal, abrita en 1816 et 1817 les « Mamelucks et des négresses de la Garde impériale » : une centaine de ces cavaliers égyptiens magnifiques, que Napoléon avait vaincus en Egypte, et dont il avait composé un escadron de sa garde.
Rescapés des massacres de la Terreur blanche, ils arrivèrent avec leurs femmes, et le registre de l’église Sainte-Marguerite enregistra par la suite quatre mariages, contractés après conversion à la religion romaine.
Les Mamelucks de l’empereur constituaient une sorte d’avant-garde d’une longue occupation musulmane.
En 1841, le commandant du fort reçut l’ordre d’organiser un « camp de concentration » pour plusieurs centaines de rebelles algériens, avec leur famille.
Peu après la conquête de l’Algérie en 1830, certaines tribus kabyles avaient refusé les « bienfaits de la civilisation européenne » et repris les armes.
L’autorité militaire déporta les plus turbulents, et notamment un petit marabout inconnu, nommé Abd el-Kader. Libéré peu après, ce personnage, qui entrera bientôt dans l’histoire, fut « fabriqué » par nos soins et l’unité morale algérienne n’a pas d’autre source.
Il organisa l’Algérie en califat, unifiant les tribus que commandèrent caïds et cheiks. Après les durs combats de 1833, la France le laissa en paix organiser une armée de 10000 hommes et, en 1839, il proclama la guerre sainte.
Le duc d’Aumale l’attaqua par surprise le 16 mai 1843 et la dispersa : c’est la bataille de la Smala ou de Taguine.
Mais l’émir s’échappa, poursuivit ses raids meurtriers en faisant égorger ses prisonniers. Il ne se rendit qu’en 1847, sur la promesse du général Lamoricière d’être autorisé à se retirer en Egypte. Mais, sur décision du gouvernement français, il fut interné à Toulon et ses compagnons rejoignirent les premiers rebelles capturés à Sainte-Marguerite.
Les prisonniers appartenant à la smala de l’émir choisirent les prisons du Masque de Fer parce que leurs femmes étaient « maraboutes », c’est-à dire liées par la religion musulmane, et ne pouvaient sortir de leur chambre dans la crainte de regards indiscrets. Mais les six cellules avaient été construites pour dix à vingt prisonniers, et non pour 60 personnes : l’hygiène devint vite déplorable.
Finalement, le nombre des femmes atteignant 53 avec 30 enfants, on autorisa le commandant à les transférer au premier étage du château. Au 2è étage, on avait refoulé les célibataires.
A noter que la situation des soldats français préposés à la garde des prisonniers n’était pas meilleure : ils avaient pour demeure les magasins du château (44 soldats) et le local du concierge (18 soldats), locaux où l’air ne circulait pas et qui ne contenaient pas l’espace voulu par les règlements
Après de nombreuses tergiversation, négociations… entre l’administration et les prisonniers, la vie s’organisait plus ou moins. Malgré la bonne volonté du commandant qui s’efforçait de rendre supportable un séjour qui ne l’était pas, il est à la fois triste et amusant de suivre les vains efforts des braves bureaucrates de l’armée pour les forcer à vivre « règlementairement », comme des soldats, à 10 par chambre et pas un de plus.
Mais eux préféraient sacrifier un très relatif confort physique pour conserver leurs habitudes ancestrales et s’entasser jusqu’à 15 par chambre de 6m sur 5 !
Cet aspect psychologique de la détention se révéla d’une manière étonnante en 1847, lorsque le fort, étant saturé, les maladies se multiplièrent. Bien qu’aussi bien soignés que les Français, les Arabes mouraient presque tous.
On demeure surpris par le fatalisme et la soumission dont ils firent preuve, car pour de tels combattants ne craignant pas la mort, il eût été possible d’organiser une révolte, d’écraser la petite garnison dont le nombre de soldats ne dépassa jamais 180, et d’embarquer à bord de quelque chébec complice qui les eût conduits en Egypte.
Mais ils vivaient dans l’obéissance aveugle à leurs chefs, et, ceux-ci s’étant soumis, ils demeurèrent fidèles à leur parole, à l’exemple de leur émir, Abd el-Kader.
Cimetière musulman de Sainte-Marguerite
En mars 1859, tous les prisonniers arabes étaient libérés et renvoyés en Algérie, mais à la suite de l’insurrection des tribus sahariennes en 1864, 150 furent envoyés à Sainte-Marguerite puis 42 Kabyles en 1868.
Après la guerre de 1870, les prisons se vidèrent et le calme revint sur l’île… c’est alors qu’on annonça l’arrivée d’un prisonnier extraodinaire.
Le 28 octobre 1870, le Maréchal François Achille Bazaine fut jugé coupable d’avoir signé la capitulation avec l’ennemi allemand… et, le 26 décembre 1873, il arriva à la forteresse de Sainte-Marguerite.
Il n’y restera que sept mois et quatre jours… il va réaliser ce que personne ou presque n’avait fait avant lui : s’évader de la forteresse la plus inexpugnable de France, dans la nuit du 9 au 10 août 1875. Evasion avec sa part de mystère, par la porte ou la corde… les deux théories ont leurs partisans !
Jusqu’en 1940, les soldats occupèrent le fort Sainte-Marguerite, mais l’heure des militaires s’achevait et celle des loisirs commençait, avec l’apparition des premiers touristes en 1936.
La guerre de 1939 redonna vie à la garnison, mais en 1940 quatre cents soldats italiens prenaient la place des Français, relayés en 1943 par les Allemands.
Le 15 août, les Alliés débarquèrent en Provence et une escadre franco-américaine bombarda l’île sans conviction. Les Allemands revinrent, mais comme prisonniers… et pendant des mois on leur fit retourner tous les coins de l’île pour enlever les mines., et il y en avait des milliers
Le 12 septembre 1948, le Général de Gaulle, en vacances à Juan-les-Pins, vint incognito visiter la forteresse.
En 1971, l’Armée remit le fort à la ville de Cannes avec un bail de 18 ans, à charge par la ville de le restaurer, le « réarmer », mais à des fins strictement culturelles.Maintenant, les Îles de Lérins sont tout simplement un des 10 quartiers administratifs de la ville de Cannes.(Merci à Pistounette)
DEB
1 octobre 2021 @ 05:33
Merci Pistounette.
J’ignorais cet épisode .
framboiz07
1 octobre 2021 @ 05:40
Passionnant, merci beaucoup , amie, Cannes me manque !
Aldona
1 octobre 2021 @ 09:15
Merci Pistounette, quelle histoire passionnante !
Jean Pierre
1 octobre 2021 @ 09:41
Merci Pistounette.
Bazaine a été jugé pour avoir capitulé avec l’ennemi, en rendant la place de Metz pendant son siège et dont il avait le commandement.
Beque
1 octobre 2021 @ 10:12
En ce qui concerne Bazaine, d’après ce que j’ai lu, son évasion se fit par la porte et la corde ! Le Maréchal Bazaine, devenu veuf durant la campagne du Mexique, s’était remarié, à 54 ans, à la jeune Josefa de la Peña, 17 ans. Arrivée, le 22 février 1874, à Cannes, « la petite maréchale » avait rejoint l’île Sainte Marguerite. D’après le dictionnaire des parlementaires français,
« huit mois après, Mme Bazaine faisait évader son mari de l’île de Sainte-Marguerite, à l’aide d’une corde à nœuds, et le recevait dans une barque, au bas de la terrasse ».
Le prisonnier, averti par la flamme de la bougie allumée en mer par sa femme, est tout bonnement sorti par la porte de la poterne donnant sur les fossés du côté du bois et est descendu par une corde de 73 mètres (faite avec des ficelles des colis reçus). Malgré son poids et son âge, il réussit à nager et à monter dans la barque qui l’attendait.
Pistounette, savez-vous que le maréchal Bazaine était le fils du polytechnicien et ingénieur des ponts et chaussées Pierre-Dominique Bazaine (1786-1838), qui a effectué toute sa carrière à Saint-Petersbourg (construction des ponts) dans le cadre d’une accord entre Napoléon et Alexandre 1er ? »
HRC
1 octobre 2021 @ 12:05
Le tableau » la prise de la smala d’abd el Kaber » était dans beaucoup de livres d’histoire.