Le carnage dans le sous-sol de la maison Ipatiev est indicible. Une mare de sang macule le sol, l’odeur âcre de la poudre imprègne l’air et les murs sont criblés de plus de 150 trous de balles (photo 16).
La sauvagerie des gardes-rouges n’épargne pas non plus les chiens des enfants impériaux : Ortino, le bouledogue français de Tatiana est achevé à coup de crosse, Jemmy, le King Charles d’Anastasia est tué à la baïonnette. Seul Joy, l’épagneul adoré par Alexis, réussira à s’échapper (après avoir été recueilli par un garde rouge, il sera adopté par l’un des officiers de la mission britannique à Ekaterinbourg et terminera paisiblement ses jours dans un cottage en Angleterre).
Aussitôt l’exécution terminée, les onze corps sont chargés dans le camion stationnant devant la maison et emmenés dans la forêt de Koptiaki, avant d’être jetés dans un puits de mine désaffecté nommé la Mine des 4 frères après avoir été dépouillés de leurs vêtements qui sont brûlés. Mais, s’avisant après coup que les Blancs ne tarderaient pas à les retrouver, la nuit suivante, aidé de ses hommes de main, Yourovski revient récupérer les cadavres et les emmène plus loin dans la forêt où il décide de les enterrer dans une fosse commune après les avoir aspergés d’acide sulfurique espérant ainsi les détruire entièrement (photo 17). Pressé par le temps et pour brouiller les pistes, il enterre deux corps à part.
Le 25 juillet, à peine 8 jours après l’assassinat, les armées blanches libèrent Ekaterinbourg et s’installent aussitôt dans la maison Ipatiev, quittée précipitamment par les rouges.
Aussitôt une commission d’enquête est mise en place pour essayer de reconstituer les conditions d’assassinat de la famille impériale et de retrouver ce que les blancs appellent « les dépouilles sacrées ».
Elle et confiée à Nicolas Sokolov (photo 18) qui commence d’abord par découvrir dans le bureau abandonné en toute hâte par Yourovski tous les bijoux qu’il avait confisqués aux grandes-duchesses (photo 19).
Après des interrogatoires nombreux et précis, Sokolov parvient en quelques mois à retrouver l’endroit où les corps ont été ensevelis.
Faisant des fouilles, il découvre alors quelque unes des pierres précieuses que les grandes duchesses avaient dissimulé dans leurs vêtements (brûlés par Yourovski) et qui, en les protégeant des coups de feu, n’avaient fait que prolonger leur agonie (photo 20).
Mais il en conclut que les corps ayant été brulés, il n’en reste plus que des cendres et les recherches s’arrêtent avant d’avoir été achevées en raison de l’arrivée des rouges reprennent Ekaterinbourg au cours de l’été 1919.
En 1927, pour commémorer le dixième anniversaire de la Révolution d’octobre, sur ordre de Staline qui vient d’être nommé secrétaire général du Parti Communiste de la nouvelle URSS, la ville d’Ekaterinbourg est rebaptisée du nom de Sverdlovsk, pour rappeler le nom du commanditaire de l’assassinat des Romanoff et la maison Ipatiev, considérée comme « le symbole de la fin du despotisme sanguinaire des Romanoff », devient un musée (photo 21).
L’intérieur est transformé à « la gloire de la révolution prolétarienne » et de Staline dont le culte de la personnalité commence à poindre (photo 22).
Nombreux sont les communistes zélés qui viennent alors s’y faire photographier en groupe (photo 23).
Certains vont même jusqu’à le faire dans la pièce même du supplice des Romanoff (photo 24).
Mais avec le temps, la grande dévotion révolutionnaire voulue par le régime s’essouffle et au bout de quelques années, le musée est fermé et la maison Ipatiev tombe ensuite dans l’oubli et sous la chape de plomb du stalinisme qui écrase alors l’ancien empire des Romanoff (photo 25).
Le lieu du massacre devient un symbole encombrant pour le pouvoir car un lieu où se manifeste de plus en plus ostensiblement la nostalgie et le recueillement des russes. Nombreux, en effet, sont ceux qui se signent en passant devant elle et, chaque 17 juillet, des bouquets de fleurs et des icônes y sont déposés par des mains anonymes.
C’est pour mettre fin àce culte du souvenir qui commence à incommoder les soviétiques, qu’en 1977, le chef du KGB qu’est alors Youri Andropov ordonne la destruction de la maison Ipatiev, le motif opposé étant qu’elle gêne la circulation. C’est le secrétaire du parti de la ville de Sverdlovsk (nom soviétique d’Ekaterinbourg) qu’est alors un certain Boris Eltsine (photo 26)qui est chargé d’exécuter cet ordre de Moscou.
En quelques jours, la maison Ipatiev est discrètement rasée (photo 27).
Mais cela ne met pas pour autant un terme à la curiosité mêlée de commisération qu’éprouvent les russes quant au tragique destin de leur ancienne famille impériale. Quelques mois après, sur l’immense terre-plein sur lequel s’élevait la maison, une grande croix orthodoxe de bois est dressée dans la nuit (photo 28). Supprimée par les autorités, elle réapparait rapidement et est ensuite régulièrement fleurie par des mains anonymes. Et progressivement un culte visible du souvenir s’installe.
Avec le temps, l’envie des russes de connaître la véritable histoire de leur ancienne famille impériale que 80 ans de communisme avaient soigneusement occultée en déguisant Nicolas II sous les traits de Nicolas le Sanguinaire, ne fait que s’accroître. Et pour nombre d’entre eux, cette curiosité va se muer en nostalgie et compassion dès lors que seront connues l’histoire d’amour de leurs derniers souverains et les conditions tragiques de leur exécution.
En 1978, deux russes passionnés par le destin des Romanoff, Gueli Riabov et Alexandre Avdonine entreprennent des premières fouilles clandestines sur le lieu de l’exécution des Romanoff appelé Ganina Yama dans la forêt de Koptiaki. Elles permettent rapidement d’exhumer les premiers ossements humains et quelques effets personnels des victimes.
Mais c’est avec la Pereistroika mise en place par Mikhaïl Gorbatchev à partir de 1985 que les fouilles officielles vont se développer avec méthode, patience et d’importants moyens (photo 29).
En 1991, le même Boris Elstine, devenu chef du nouvel état qu’est la Fédération de Russie, fait officiellement exhumer les quelques 700 ossements retrouvés qui permettent de reconstituer 9 des 11 corps des assassinés de la maison Ipatiev, puis procéder en 1993 à une identification par une rigoureuse analyse ADN. Pour éviter toute controverse, celle-ci est menée simultanément par trois laboratoires scientifiques différents, un russe, un américain et un autrichien en comparant l’ADN prélevé sur les ossements retrouvés à ceux de plusieurs proches parents dont l’empereur Alexandre III, père de Nicolas II et le prince Philippe d’Edimbourg, petit neveu, lui, de l’impératrice Alexandra.
Après 3 ans d’études, tous concluront formellement à l’authenticité des restes comme étant ceux de l’empereur Nicolas II, de l’impératrice Alexandra, des grandes duchesses Olga, Tatiana et Anastasia, du valet de chambre Trupp, du cuisinier Kharitonov et de la femme de chambre Olga Demidova.Seuls deux corps manquent à l’appel : celui du grand-duc héritier Alexis et de sa sœur la grande duchesse Marie.
Dès lors, le président Eltsine décide d’organiser solennellement, en réparation du crime commis par les soviétiques, le 17 juillet 1998, jour du 80e anniversaire du massacre d’Ekaterinbourg, le transfert solennel des ossements de la famille impériale dans la nécropole des empereurs de Russie à St Pétersbourg (photo 30). (Merci à Néoclassique pour cette 2ème partie)
Francois
6 juillet 2018 @ 05:34
Un régime politique qui commence par de telles
ignominies finit comme il a fini
Les révolutionnaires se mangent entre eux
Mais en attendant il faut en passer par leur cruauté
marianne
6 juillet 2018 @ 06:10
Cet épisode de la révolution russe est parfaitement abject .
Et tant d’ autres choses …
andré
6 juillet 2018 @ 21:12
chère Marianne, vous oubliez l’échafaud, c’était mieux ?
PierreP
19 mars 2024 @ 22:57
La guillotine était affreuse, mais c’était tout de même mieux, la chose était assumée, d’abord un procès et ensuite une exécution officielle, souvent en place publique. C’était affreux mais c’était un peu plus digne, et assumé par les révolutionnaires. En Russie les Bolcheviques se comportaient comme des assassins chevronnés, ce qu’ils étaient souvent, donc rien de surprenant. Plus tard, les opposants politiques étaient exécutés dans les sous-sols de la Loubianka, et les familles n’étaient pas informées, on leur signifiait seulement qu’elles n’avaient pas le droit d’envoyer de courrier. Assassinats dissimulés encore une fois. Maintenant comparaison n’est pas raison, et cette époque de la révolution russe était vraiment trouble, vie et mort se cotoyaient intimement. Mais ce n’est pas parce que les Nazis par exemple étaient de grands criminels que cela exonère les Bolcheviques de leurs crimes. Donc cher André, vous êtes hors sujet. Mais ce qui est plus inquiétant c’est que l’association Mémorial est maintenant combattue par le pouvoir russe, et la lumière sur les crimes Bolcheviques et Soviétiques vient de s’éteindre.
J21
6 juillet 2018 @ 07:17
Je n’ai entendu aucun journaliste et commentateur sportifs évoquer le drame d’Ekaterinbourg lorsque l’équipe de France de foot a joué dans cette ville. J’en ai été étonnée d’autant plus que cette triste exécution a eu lieu il y a 100 ans tout juste.
Laurent F
6 juillet 2018 @ 12:44
Ça vous étonne ? c’est le foot !
framboiz 07
6 juillet 2018 @ 13:53
Peu de renseignements sur les autres villes non plus !
Ni sur le manque de démocratie actuelle …
La Manche Libre raconte l’anecdote des supporters d’un club local , qui n’ont pu sortir leur banderole-drapeau avec le nom de leur club AS Trucmuche qu’au 3ème match , les stadiers ayant peur d’une affiche politique .
A méditer et vive la démocratie , qui nous permet de nous exprimer, ne serait-ce qu’ici …
Lidia
7 juillet 2018 @ 13:50
Madame, la démocratie russe est bien réelle, ne vous en déplaise. Une chaîne de TV d’opposition, de nombreux journaux d’opposition, des sites d’opposition qui ne sont pas persécutés, traînés en justice, suivez mon regard.
Au fait, sur une des photos, une inscription en russe : la délégation de la jeunesse belge, – dans la pièce du massacre.
Charlotte AL
6 juillet 2018 @ 19:57
Merci J21, j’avais eu l’occasion de m’interroger sur cela, lors d’un sujet sur le « Mundial à Moscou » de notre amie Agnès.
Il y a eu un article sur Ekaterinbourg dans un quotidien à la page sport, de Vladimir Fedorovski, à l’occasion d’un match de l’équipe de France effectivement.
Cet article rappelait les faits.
Apparemment cela n’a pas eu d’écho dans la mémoire ou dans le simple désir d’information des amoureux du ballon rond.
Charlotte AL
6 juillet 2018 @ 20:09
Je reviens, pardonnez moi, mais un petit bonhomme de bientôt 4 ans avait un truc « super important » à me faire partager…
Je n’ai rien contre la coupe du monde de football, encore que… mais bon, mais je regrette que aucun commentateur ne parle des sites et de leur histoire.
Rien, nada, juste le foot…
Le Tour de France commence prochainement, demain, je crois, eh bien là outre les exploits sportifs des coureurs, un commentateur, Frank Ferrand, décrit les sites parcourus, les monuments, l’histoire.
Est ce si difficile d’inclure un peu de culture lors de manifestations sportives ?
La tête et les jambes en quelque sorte.
framboiz 07
8 juillet 2018 @ 00:28
Effectivement, Charlotte, cela aiderait à cultiver les footeux et les autres …
Pierre-Yves
6 juillet 2018 @ 09:01
Merci à Néoclassique pour ce récit saisissant, qui décrit bien la façon dont les autorités soviétiques, puis russes, ont géré au fil du temps la relation au souvenir impérial, de la vengeance (considérée comme juste par ceux qui la commettent) à l’occultation puis à une forme de réhabilitation.
IANKAL21
6 juillet 2018 @ 09:35
C’est avec tristesse et horreur que je lis vos articles Néoclassique, qui concernent le massacre d’ Ekaterinbourg.
Pourtant je ne peux que de vous féliciter de leur construction. Le positionnement des textes et des photos rend vôtre récit étonnant de vivacité et permet l’ identification des protagonistes méconnus. Les informations des événements sur place sont liées aux événements dans le sence plus large au niveau national et international apportant un éclairage global. Enfin en lisant vos articles j’ai l’ impression de m’ entretenir pour la première fois de ce sinistre sujet.
Encore une fois merci !
clement
6 juillet 2018 @ 09:39
C’est une histoire tragique au même titre que l’histoire de notre famille royale ,la haine des peuples n’a pas de limite ; ces événements marquent les esprits pour toujours !
Voir ces vestiges de la tragédie en photos est saisissant ,bouleversant .
Laurent
6 juillet 2018 @ 15:20
Ce n’est pas la haine des peuples c’est la haine de quelques uns
Dommage qu’en France certains sont encore en admiration devant ce salopard de Robespierre comme Melenchô
Laurent
6 juillet 2018 @ 15:21
Melenchon désolé
framboiz 07
8 juillet 2018 @ 00:29
Robespierre , Laurent , n’était pas communiste …
framboiz 07
6 juillet 2018 @ 10:07
De la persistance de la mémoire , malgré tout !
Lidia
7 juillet 2018 @ 13:54
Oui, vous avez raison. Au temps de l’URSS, c’était très courageux d’installer une croix à la barbe de la milice. Comme quoi, le peuple soviétique était plein de ressources et sans peur contre le pouvoir s’il estimait la cause juste.
Trianon
6 juillet 2018 @ 10:33
Merci infiniment pour la suite de ce récit, vraiment émouvant, et bien documenté.
Patricio
6 juillet 2018 @ 11:55
Quelle barbarie !
Merci Néoclassique, comme toujours sest toujours intéressant de vous lire.
Amitiés Patricio
Mayg
6 juillet 2018 @ 13:32
Merci à Néoclassique pour ce récit. A croire que chez certains, l’horreur n’a pas de limite.
JAY
6 juillet 2018 @ 13:48
Que sont devenus les bijoux et pierres précieuses trouvées sur place ?
COLETTE C.
6 juillet 2018 @ 15:50
Horrible de se faire photographier dans la pièce du supplice.
Dommage que ce beau bâtiment ait été détruit.
Celia72
6 juillet 2018 @ 18:35
Merci a Neo Classique. Je connaissais tout cela. Et votre article est fort bien ecrit et documenté
Teresa 2424
6 juillet 2018 @ 19:02
Muchas gracias « Neoclásico »:siempre aportes excelentes!!!! —-Los errores y horrores que somos capaces los seres humanos cuando nos dejamos llevar por nuestras exacerbadas pasiones
Michel Maillet
6 juillet 2018 @ 21:03
Il y a maintenant une église bâtie sur l’emplacement de la maison du massacre.
mimi
7 juillet 2018 @ 17:16
Merci pour ce récit intéressant. Pauvre famille. Ils ne pouvaient pas avoir la paix en eux, tous ces assassins.
Betty Grabowski
28 juillet 2021 @ 21:44
Un massacre horrible exécuté par des gens cruels Et qui détient la vraie vérité ? Où sont passés les bijoux retrouvés ? Les tests ADN sont ils vraiment fiables ? Je crois que toute la vérité n’est pas faite et n est pas dite par mesure de sauvegarde Merci pour cette étude