Troisième volet de la saga des Wendel sous la plume de Patrick Germain. A sa mort, Charles II de Wendel laisse une veuve, Jeanne-Marthe de Guitaut et trois enfants, Paul François Henri I de Wendel, né le 24 mars 1844, Adrien Charles Joseph Robert, né le 9 mai 1847, et Marie Louise Caroline, née le 19 octobre 1851.
La veuve de Charles II se remarie avec le comte O’Donell. Elle mourra en 1908.
Robert (ci-dessus en 1870) épouse le 8 juillet 1869 Marie Antoinette, Elisabeth, Carmen, Consuelo Manuel, fille du comte de Gramedo.
Henri I de Wendel épouse le 4 juillet 1872 Berthe de Corbeau de Vaulserre, d’une ancienne famille noble du Dauphiné.
Henri de Wendel par Carolus Duran
Berthe de Vaulserre et ses trois enfants François, Maurice et Humbert
Marie Louise épouse le 30 janvier 1872, Pierre Austin marquis de Montaigu qui fera une belle carrière politique.
Pierre de Montaigu et Caroline de Wendel
Les deux garçons, bien que jeunes, ont déjà travaillé avec leur père. Henri I est ingénieur des mines.
Il y a aussi la branche issue de Théodore de Gargan, soit quatre enfants, une fille Marie-Joséphine de Gargan, mariée au baron Jean-François de l’Espée, et trois garçons François-Marie, Charles-Joseph et Marie-Paul de Gargan.
Théodore l’aîné, né le 11 avril 1827, élève de Polytechnique et des Mines. A la mort de son père, en 1853, il partage la gérance des forges d’Hayange avec son oncle Charles II de Wendel. A la mort de ce dernier, seul à la tête de l’empire industriel, il provoque la constitution de la société des héritiers de François de Wendel, dont la veuve Joséphine de Dicourt, est encore en vie, sous la raison sociale de “MM. les Petits-Fils de François de Wendel et Cie”.
Baron François Marie Théodore de Gargan (1827-1889)
Son frère Charles-Joseph de Gargan, né le 20 mars 1831, a fait des études de droit et ne s’intéresse pas aux affaires métallurgiques de la famille. Il s’occupa de ses terres. Devenu luxembourgeois en 1877, il échappa ainsi au choix imposé aux Wendel par le vainqueur en 1871, soit allemand, soit français. Il a toutefois fondé “Les Chemins de fer secondaires, luxembourgeois.
Et il y a les Curel. Victor François de Wendel (1807-1850), frère de Charles II, qui vient de mourir, a eu cinq enfants de son mariage, dont Marie Joséphine Charlotte de Wendel (1832-1915). Cette dernière a épousé en 1853 Albert vicomte de Curel (1827-1908) officier de cavalerie. Le couple a eu un fils François (1854-1928). Il fut ingénieur des Arts et Manufactures, romancier et dramaturge, enfin membre de l’Académie Française.
François de Curel
Leur second enfant fut Albert Marie de Curel (1857-1936), officier de cavalerie. La troisième fut Marie Octavie (1859-1912) épouse du comte Edouard de Moustier, avocat à la cour d’appel de Paris, membre du Conseil Général de la Seine et Marne. Et le dernier fut Paul de Curel (1860-1932). La descendance Curel est toujours bien présente avec plus de cent membres.
Il y a enfin, la descendance d’Anne Caroline de Wendel, une autre soeur de Charles II, qui a épousé le baron Jean Baptiste de Coëtlosquet. Morte en 1837, elle avait laissé un garçon, Joseph Charles Maurice de Coëtlosquet (1836-1904). Il n’y a pas de descendance.
Joséphine de Wendel, à l’âge de 86 ans, est l’instigatrice de ce montage entre ses petits-enfants.
Acte de décès de Joséphine de Wendel-Dicourt
Les petits-fils et les petites-filles de François de Wendel sont donc : Henri I et Robert de Wendel, leur soeur la marquise de Montaigu, Théodore, Charles et Paul de Gargan et leur soeur la baronne de l’Espée, et enfin le vicomte Maurice de Coëtlosquet. Soit neuf personnes en tout. L’actif représente près de 30 millions de francs en 1870.
La première règle régissant “Les Petits-fils de François de Wendel” est que les biens hérités restent en indivision entre les neuf. La deuxième est que l’on ne peut détenir des parts de la société que si l’on descend d’un des neuf. Ces parts ne sont pas transmissibles entre époux. Cette règle est encore d’actualité.
La branche des Coëtlosquet s’éteint, sans descendance en 1911. Il y a donc trois branches : Wendel, Gargan et Curel.
Aujourd’hui encore dans les réunions de leurs descendants pour prendre des décisions relatives à la gestion de l’entreprise familiale, chacun arbore un ruban d’une couleur différente, fort utile quand on est près de mille et que l’on ne se voit pas tous les jours. Rouge pour la branche d’origine Wendel, jaune pour la branche d’origine Gargan et bleu pour les Curel.
Joséphine avait écrit à ses descendants pour “exprimer un encore une fois de plus, à tous, la confiance qu’elle ressent que ni de son vivant, ni après sa mort la paix de la famille ne sera pas troublée…et que l’idée d’avoir assuré la bonne harmonie entre ses petits-enfants sera la consolation de ses dernières années.” Encore aujourd’hui, cette paix est rarement troublée.
1871 ayant vu la constitution de l’Empire allemand et l’occupation de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine est l’année du déchirement pour les Wendel.
Le Traité de Francfort, signé le 10 mai 1871, met fin à la guerre franco-prussienne et place les Forges de Wendel en territoire allemand. Pire encore, pour pouvoir conserver leurs usines, les Wendel doivent opter pour la nouvelle nationalité allemande.
Profitant de la situation, un groupe de banques allemandes font une proposition d’achat de leur empire industriel. Mais Henri I et Robert de Wendel, Théodore de Gargan refusent : “ Pouvons-nous d’ailleurs nous résoudre à voir passer en des mains étrangères toutes ces propriétés qui depuis si longtemps appartiennent à notre famille ?” Devenir allemands, rester français, garder le patrimoine, tels sont les termes de la problématique.
Carte des usines Wendel en Lorraine annexée
Hayange, Moyeuvres, Stiring-Wendel sont en territoire allemand. Henri I de Wendel pour pouvoir continuer à gérer les biens de la famille opte pour la nationalité allemande. Il est le seul. Son geste n’a rien à voir avec une idée de collaboration avec ceux qu’ils considèrent comme l’ennemi. Leur céder l’entreprise aurait été un acte de trahison bien plus grand. Théodore de Gargan et Robert de Wendel, restés français, peuvent venir à Hayange, mais pas trop souvent et pas trop longtemps. Le nouveau gouvernement impérial sait leur rappeler que leur présence, en tant que français, n’est que tolérée.
L’aciérie avec le château d’Hayange au premier plan
S’ils veulent résider en Lorraine annexée, ils doivent devenir allemands. Le prince de Hohenlohe, ambassadeur d’Allemagne à Paris est clair : “On refuse l’autorisation de séjourner en Alsace-Lorraine à tous ceux qui, ayant opté pour la nationalité française, n’ont pas atteint l’âge auxquels ils sont exempts du service militaire…”
Henri I de Wendel sera de 1881 à 1890 député au Reichstag, siégeant en qualité de protestataire. Il tente de se battre pour permettre à la Lorraine de redevenir française. C’était une cause largement perdue d’avance.
Bulletin de vote en faveur d’Henri de Wendel
Mais les affaires étant ce qu’elles sont, les Wendel savent faire avec la nouvelle situation. Non seulement ils s’agrandissent par de nouveaux achats de forges et de mines, mais ils se modernisent. Ils achètent des brevets à prix d’or et en sont largement récompensés.
Rien ne les empêche de s’agrandir du côté français. Il leur suffit de créer une nouvelle société, le 13 février 1880, “Wendel et Cie”.
Joeuf, à deux pas d’Hayange, mais en France, est leur nouvelle forge. Une nouvelle ville voit le jour. Les ouvriers sont présents au nouveau rendez-vous, Lorrains annexés qui traversent facilement la frontière, mais aussi de nouveaux venus italiens. Le choix de Joeuf est un heureux hasard, car tout près à Briey existe un gisement de fer, plus accessible et plus riche en minerai qu’à Hayange. Nul le savait. A cette nouvelle aventure s’associent les ennemis et concurrents d’hier, les Schneider, du Creusot, mais aussi les vieux complices comme les Banques Seillière et Demachy.
L’usine de Jœuf en France
Le développement des affaires est tel que “Les Petits-Fils de François de Wendel” devient la quatrième entreprise sidérurgique d’Allemagne. Il siègeront au Comité des Forges allemand en 1904. Mais Robert de Wendel, resté français, siègera dès 1898 au Comité des Forges français, grâce à Joeuf, ses mines et ses entreprises annexes. Extension en Allemagne extension en France, extension en Hollande, c’est l’âge d’or. 20000 ouvriers travaillent de part et d’autre de la frontière pour produire en 1900 671 000 tonnes de fonte et 476 000 tonnes d’acier. En 1914, ces productions auront doublé.
François I de Wendel, le grand-père, avait été économe, Charles II de Wendel et Théodore de Gargan avaient su conserver une certaine discrétion dans leur façon de vivre. Il n’en fut pas de même pour Henri I et Robert de Wendel.
Aux alliances prestigieuses, La Rochefoucauld, Maillé, Radziwill – on n’est plus dans la noblesse lorraine mais dans les grands noms de France et de l’étranger – il faut ajouter des vies de châtelains. C’est la grande période d’achat et de construction de demeures extravagantes, hôtels particuliers et châteaux. Charles II avait commencé avec l’hôtel de la rue de Clichy, mais qui restait dans ce que l’on attendait d’un industriel très riche.
Château d’Hayange au XIXe
Le château d’Hayange, de la charmante demeure du XVIIIe, siècle était devenu une énorme bâtisse, bien trop marquée par le style de la fin du XIXe et adossée à l’usine.
Château vu de l’aciérie
L’usine d’Hayange en Lorraine annexée
Henri I ajoute au patrimoine en 1897, le château de Vaugien, dans la région parisienne, à St Rémy-les-Chevreuses, élégante demeure du XVIIIe, qui échappe à toute transformation et n’est pas sans rappeler le Petit Trianon.
Château de Vaugien
Robert de Wendel, époux de Consuelo, suit les idées de grandeur de sa femme avec le château de l’Orfrasière, en Touraine, avec 1200 hectares de terre. D’une ravissante demeure, ils font un énorme pastiche dans le genre château de la Loire, à coût de 6 millions de francs. Ils ajoutent à leur résidence un bel hôtel particulier à Paris.
Château de l’Orfraisière
Et ajoutons Guy de Wendel (1878-1955) fils aîné de Robert, qui achète et fait agrandir le château de Tournebride, près d’Hayange.
Château de Tournebride
Ledit Hayange, étant en territoire allemand, l’oncle Henri se doit d’avoir quelque chose en territoire français et fait construire le château de la Brouchetière, toujours proche du château familial.
Château de la Brouchetière
Les Gargan ne sont pas en reste avec le château de Bétange, à Florange, et le château de Preisch, à la frontière du Luxembourg.
Château de Bétange
Château de Preisch
Caroline de Montaigu suit l’exemple de ses frères. Elle achète le château de la Bretesche, en Loire-Atlantique,
Château de la Bretesche
et un hôtel particulier de 3000 m2, l’ancien hôtel de Vogüe, 18 rue de Martignac, une des plus exclusives de Paris, construit en 1882,
Hôtel de Vogüe – Montaigu
et une villa à La Baule. Ces résidences existent toujours, avec des destinations différentes, hôtel, golf et administration publique.
La Villa Caroline à La Baule
En 1910, Maurice de Wendel achètera l’hôtel de Sourdeval-Demachy, d’une superficie de 2750 m2, au 28 avenue de New-York.
Hôtel de Sourdeval-Demachy
Le grand salon fut décoré par José-Maria Sert en 1922. Il est actuellement exposé au Musée Carnavalet.
Décoration de José-Maria Sert
Malgré trois siècles d’ancienneté de noblesse reconnue, malgré de belles alliances aristocratiques, les Wendel au début du XXème siècle affichent des goûts de parvenus dans leurs choix architecturaux.
Le grand bouleversement approche. Le 28 juin 1914, un archiduc est assassiné à Sarajevo, le 2 août 1914, l’Europe est en feu. Elle sera bientôt à sang. Mais les guerres n’ont-elle pas fait jusque là la fortune des Wendel ? (A suivre – Merci à Patrick Germain)
Robespierre
22 juillet 2020 @ 07:42
Tous ces gens ont leur château, leur hôtel particulier, mais ils ne sont pas oisifs et se tirent de toutes les situations épineuses politiques. Cette famille est étonnante. Ils sont prolifiques, mais personne ne tombe dans la ruine et la décadence. Sans doute parce qu’ils ont le sens du travail chevillé au corps. J’ai bien aimé l’iconographie.
Martine
22 juillet 2020 @ 08:00
Lors des journées du patrimoine, nous avons pu visiter le très joli petit château de Vaugien, qui est sur St Rémy et GIF/Yvette.
Le propriétaire et son fils guident la visite.
Le parc est superbe.
Très près, le château de Beauregard appartient toujours à la famille Curel. Deux fois par an il s y déroule des journées des plantes et de l artisanat
Cosmo
23 juillet 2020 @ 15:41
Comme il me semble qu’il appartient toujours à la famille, vos guides ont dû être François et Jean Martin de Wendel.
Stella NK
22 juillet 2020 @ 08:12
Votre récit Patrick Germain est vraiment fascinant. Merci pour cette lecture. J’ai hâte de découvrir demain la suite.
Jean Pierre
22 juillet 2020 @ 09:07
François de Wendel était un drôle de personnage. Il était présent à Bruxelles et à Francfort pour les négociations du traité de paix.
Il essaya de rouler Bismarck sur le tracé de la frontière. Le chancelier comprit le coup et ne céda pas.
Du coup, les Wendel ont en effet créé qui allait devenir la “petite Italie” : Jœuf. Sans eux nous n’aurions pas eu, bien plus tard, Michel Platini.
Caroline
22 juillet 2020 @ 11:14
Extrêmement intéressant et abondamment illustré !
Toujours des problèmes avec leur nationalité en Alsace comme c’était le cas de mes quatre grand- parents et de leurs parents, il fallait refaire des papiers pour la réintégration dans la nationalité française par décret !!!
ciboulette
23 juillet 2020 @ 13:21
Merci , Cosmo , vous faites revivre une région que j’ai très bien connue .
A l’immigration italienne ( coucou , Platini !) se sont joints des Polonais .
A noter : le très beau Festival du Cinéma Italien à Villerupt ( Meurthe et Moselle ) .
Les sidérurgies françaises sont dans le département de la Meurthe et Moselle ( chef-lieu NANCY), mais comme cette bande de terre file vers le Nord , on l’appelle » le pays- haut » .
Les usines allemandes redevenues françaises sont dans la département de la Moselle ( chef-lieu METZ ) où j’ai longtemps habité .
Il est exact que les personnes nées en territoire allemand ( après les 3 guerres ) et qui souhaitaient redevenir françaises ont bénéficié d’un certificat de réintégration dans la nationalité française .