Lors de son départ vers l’exil en août 1830, le roi Charles X et sa famille prennent leur temps avant de gagner progressivement le port de Cherbourg. Ils font halte avec leur suite à L’Aigle en Normandie. Le souverain est sous le charme du château du vicomte de Caudecoste et décide au vu des espaces permettant d’accueillir la famille royale et sa suite de rétablir l’étiquette du grand couvert. Mais cela ne s’annonce pas si évident…
« Odilon Barrot remontait vers le château lorsque le vicomte Hocquart vint à sa rencontre pour l’entretenir d’une question dont l’examen ne pouvait être différé. Le dîner de Sa Majesté devait être servi à six heures du soir, il était déjà près de cinq heures et on ne trouvait pas de table. Le jeune avocat, rejoint par les autres commissaires inquiets de l’agitation marquée par le chambellan, fit part de son étonnement.
Un château aussi magnifique ne pouvait pas manquer d’un meuble aussi essentiel… Hocquart, que cette remarque bourgeoise exaspéra, répondit avec agacement que le château ne manquait évidemment pas de tables, mais la seule que le vicomte de Caudecoste était en mesure de mettre à disposition, était ronde. Or, les rois de France ne prenaient pas leur repas sur une table de cette forme. Odilon Barrot, le maréchal Maison et le baron Schonen restèrent un moment interdits. La route avait été péuisante, la chaleur insupportable et l’entrée du cortège dans la ville pleine de riques, aussi cette discussion à propos d’un meuble les laissait-elle sans voix.
Le chambellan finit par comprendre que l’étonnement de ses parvenus venait simplement de leur parfaite ignorance des usages de la Cour de France, et ne fut pas fâché de leur infliger une petite leçon d’étiquette. Le roi ayant pris la décision de dîner publiquement et donc en compagnie de sa famille, chacun devait être placé selon son rang. Comment distribuer alors les places d’honneur autour d’une table ronde qui n’avait ni côté droit, ni côté gauche ?
Jamais Sa Majesté ne consentirait à se rendre complice d’un tel désordre des rangs qui porterait l’atteinte la plus grave à la dignité royale depusi que l’on avait contraint son frère le roi Louis XVI à lever son verre à la santé de la nation.
Même dans les pires auberges de Courlande lorsqu’il avait été chassé par le tsar du château de Mitau et qu’il n’avait plus pour tout soutien que le bras de sa nièce la duchesse d’Angoulême, le roi Louis XVIII n’a jamais dîné en public sans respecter l’étiquette.
Charles X préférerait donc être servi par terre plutôt que de vivre une telle humiliation. Les commissaires se regardaient sans savoir quelle contenance ils devaient prendre devant ce qui pouvait être une simple provocation ou un coup de folie, mais l’extrême fébrilité du vicomte Hocquart ne plaidait pas pour la mauvaise plaisanterie, et l’heure avançait.
Or, si le roi n’était pas servi à l’heure fixée, il faudrait renoncer à obtenir de lui l’audience du soir nécessaire au choix des étapes du lendemain.
Odilon Barrot fit mine de réflechir puis, d’une voix qui se voulait conforme à la gravité de la situation, suggéra que l’on scie la table pour lui donner la forme carrée nécessaire au respect de l’étiquette.
Le vicomte de Caudecoste accepta, bien sûr, le sacrifice de son magnifique mobilier d’acajou, et l’on envoya chercher un menuisier pour que le roi puisse être servi comme il se devait. » (Extrait de « L’été des quatre rois », Camille Pascal, Plon, 2018, pp.533-534)
Anne-Cécile
7 février 2019 @ 05:21
Lorsque sur une route d’exil, le premier souci est de faire respecter sa dignité royale, qui n’est déjà plus, selon la pleine étiquette et faire spectacle de sa personne au cours d’un dîner chez le particulier qui vous accueille avec comme spectateurs une petite cour de vos fidèles, il apparaît aberrant de s’étonner que l’on fut congédié de sa fonction.
Il me revient d’avoir lu que la Cour en exil en Russie, en Allemagne etc… s’était rendue odieuse à plusieurs de ses hôtes par ses manières, ses soupirs et ses revendications de pensions toujours plus conséquentes.
Il est surprenant de voir, qu’en privé Charles X pouvait être charmant et plein de bonne volonté etc… alors qu’en Roi il fut obsédé par les principes absolutistes et le respect l’étiquette de Versailles version Louis XIV, mettant sa personne au centre de l’état et de la vie d’une Cour pléthorique avec des aristocrates réduits comme sous le roi soleil aux rangs de spectateurs quant ce ne fut pas de domestiques.
jul
7 février 2019 @ 17:10
Non Anne-Cécile
C’était un honneur pour le particulier de recevoir le roi avec tous les honneurs l’entourant. En respectant l’étiquette.
Les gens se donnaient du mal pour cela et en retiraient de la fierté. La fierté du travail bien fait, de l’application et de recevoir les remerciements du roi et des Enfants de France.
Pour ces personnes, nobles d’esprit, c’était un devoir de faire tout au mieux pour les Bourbons. Ce sont des personnes qui aspirent à un idéal élevé.
Anne-Cécile
9 février 2019 @ 12:36
Sauf que les rois ne sont pas des idéaux. Ils sont au service d’ idéaux comme le reste de leurs sujets.
Ne jamais placer un homme à la place d’un idéal ou pour représenter un idéal.
jul
10 février 2019 @ 16:53
Personne ne dit que le roi est un idéal.
L’idéal dont je parle est le respect du serment que ces personnes ont faites au roi. Un serment personnel.
Mais aussi le goût du meilleur. Très français.
Anne-Cécile
15 février 2019 @ 14:27
Le goût du meilleur. Pas du mauvais goût.
Or le format de la table n’est pas un signe d’esthétisme royal, puisque quelquefois les installations à Versailles étaient sommaires et cachées sous nappes et bouquets, mais celui d’un mouvement général pour sauver les apparences, servi comme servants, et le résultat d’un esprit de caste qui place son honneur uniquement dans le respect d’un protocole royal qui n’a plus lieu d’être puisqu’il s’agit d’un roi déchu.
jul
16 janvier 2020 @ 18:28
L’honneur commande de traiter le roi comme le roi qu’il est. C’est une question de serment, de fidélité, qui engage chaque personne.
racyma
7 février 2019 @ 07:42
j ai apprecie ce recit
Baboula
7 février 2019 @ 08:19
Le vicomte a-t-il pu recoller les morceaux de sa table ? Pour les Orléans la colle ne tint pas longtemps.
Francois
7 février 2019 @ 09:56
De la faculté d’adaptation !!!!!!
On comprend vraiment tres bien pourquoi Charles X ne se put
maintenir sur son trône
La Reine Elisabeth2 dont on sait qu’elle sut parfois faire preuve
d’adaptation de façon très étonnante appartient à une dynastie
toujours sur le trône
Terrible que de ne savoir tenir compte des circonstances
Mais en France et l’actualité nous en donne un témoignage prégnant
on se refuse de voir la forêt
Et de ne voir que l’arbre qui cache celle ci
jul
7 février 2019 @ 17:16
D’autres passages du livre vous permettront de réviser votre jugement hâtif et sévère François.
Charles X savait très bien s’adapter, chez un riche particulier comme dans un auberge campagnarde au milieu de villageois.
Francois
9 février 2019 @ 09:52
Cher Jul
Ne croyez pas que je ne connaisse la vie de Charles X
J’ai étudié sa vie comme celle des autres monarques
J’étais étudié celle de Louis XVIII disant que son frère
au pouvoir ne resterait guère
Si j’éprouve beaucoup de tendresse pour lui , etant le dernier Roi de France
Et de plus une personne tres gentille ( ce qui n’était pas le cas de Louis XVIII )
Si j’apprécie son côté douceur de vivre sous l’ancien régime en privé
Je ne puis en revanche qu’être désolé de son comportement politique
Savoir demeurer , et l’époque actuelle nous en donne la leçon cruelle, demande
de savoir changer afin que tout continue
Et ne vous en déplaise sûrement Charles X ne sut absolument pas faire
son possible pour maintenir la monarchie
Avoir de la tendresse pour une personne ne signifie pas pour moi lui
trouver toutes les excuses au ciel sur la terre en tous lieux
La faculté d’adaptation est le signe de l’intelligence
Avoir du panache ne veut pas dire se ridiculiser
jul
9 février 2019 @ 11:34
Cher François,
Il n’empêche que Charles X savait très bien s’adapter aux personnes comme le montrent beaucoup d’exemples, notamment dans ce livre.
Je crois que si, Charles X a fait tout son possible.
Vous savez qu’un homme et ses fidèles ne peuvent maintenir la royauté s’ils ont contre eux des ennemis déterminés. Croire que tout dépend de la volonté d’un homme est illusoire.
Il était impossible de conserver un roi sacré alors que la déchristianisation était de plus en plus forte, que le matérialisme avançait dans les esprits.
A quoi bon être roi si c’est pour seulement pour « continuer » au prix de « changer » ce qui est juste et bon.
L’exemple de Louis Philippe d’Orléans et de Napoléon III montrent que la pente du « changer » pour que tout « continue » conduit non pas au maintien de la monarchie mais à l’avènement inéluctable du régime qui convient le mieux à un peuple majoritairement déchristianisé : la république. Toutes les formes intermédiaires sont condamnées car trop monarchiques. Et les gens ont raison, qu’ils soient pour la forme séculière ou la forme chrétienne, de préférer le modèle maximal aux hybrides. Surtout pour une Nation aussi intelligente que les Français qui raffolent des concepts et des idées (et même trop aux dires de certains).
Voilà pourquoi les deux régimes les plus longs, qui ont le mieux convenu aux Français, sont la royauté sacrée et la république. Tout le reste je le pense est condamné à l’échec.
Francois
10 février 2019 @ 10:49
Bien de votre avis quant à la déchristianisation
C’est terrible
Et de votre avis aussi pour affirmer que la royauté est le
meilleur des régimes
Mais cela reste tres personnel
Brigitte - Anne
7 février 2019 @ 10:06
Hallucinant….quel orgueil alors Qu il prenait le chemin de l exil.
Jakob van Rijsel
7 février 2019 @ 13:03
De la vanité plus que de l’orgueil
jul
7 février 2019 @ 17:06
Je vois plutôt l’étiquette comme une protection.
Quand les personnes connaissent leur place et y restent, cela évite qu’elles ne s’abandonnent à la familiarité ou aux facilités de notre espèce (le relâchement, la médisance ou pire l’irrespect ou la provocation envers les supérieurs ou les camarades, les égaux). Cela permet d’éviter de blesser l’amour-propre d’autrui.
Cela met en relief les qualités qui permettent de conserver l’Etat (l’obéissance, la précision etc…)
Cela permet de distinguer les valeurs du cœur chez autrui
Karabakh
8 février 2019 @ 15:30
Emmanuel, sortez de ce corps. 😄
(c’est une boutade, rien de méchant)
jul
9 février 2019 @ 11:38
Quel Emmanuel ? :)
Cosmo
9 février 2019 @ 18:21
Comme cela, les valets restent à leur place, Jul !
jul
10 février 2019 @ 16:58
Comme cela, les remerciements, les récompenses et les promotions ont de la valeur, Cosmo !
Stéphane G.
7 février 2019 @ 10:11
on croit rêver, quelle bande de « bras cassés », pardon…on n’a vraiment pas perdu au change, la moitié de leur vie en exil et ils n’ont toujours rien appris
Laurent F
7 février 2019 @ 10:17
Des détails qui montrent bien que Charles X et les siens avaient beaucoup évolué depuis 1789 !!
Menthe
7 février 2019 @ 10:34
Surréaliste!
Antoine
7 février 2019 @ 10:34
Amusant mais affligeant. La preuve que les dirigeants, quel que soit le régime, vivent déconnectés des réalités. De plus, aucun sens pratique chez tous ces gens. On aurait certainement trouvé facilement des tréteaux et un grand plateau qui, recouvert d’une nappe, eût contenté la vanité royale.
Muscate-Valeska de Lisabé
7 février 2019 @ 15:29
Bien vu, Antoine! ;-))
jul
7 février 2019 @ 17:13
Antoine, je suis étonné de votre commentaire.
C’est l’honneur des personnes ayant un idéal élevé de donner ce qu’il y a de meilleur au roi.
Si vous lisez le livre, vous verrez qu’il se contentait très bien de ce que les gens lui donnaient, en d’autres situations.
Antoine
8 février 2019 @ 22:55
Jul, vous n’êtes pas sans ignorer qu’à Versailles les salles à manger n’existaient pas. C’est une invention du bourgeois XIXe. Louis XIV prenait ses repas sur un plateau posé sur des tréteaux recouverts de nappes jusqu’au sol et ne s’en est jamais formalisé. Même chose chez les particuliers aisés où l’on dressait la table indifféremment dans l’un ou l’autre des salons.
jul
9 février 2019 @ 11:39
Oui Antoine, mais pourquoi parlez-vous de Versailles alors qu’on est au temps des Tuileries ?
Antoine
11 février 2019 @ 00:23
Parce que je pense, cher Jul, que ce qui était bon pour Louis XIV l’aurait été pour son arrière-arrière-arrière petit-fils.
Leonor
7 février 2019 @ 10:59
On reste coi devant tant de sottise. Sottise qu’on peut tenter de justifier par toutes sortes d’arguments, mais qui n’en reste pas moins sottise.
luc Martin
7 février 2019 @ 13:42
Il s’agit sans doute d’une exigence des services du protocole plus que de la famille royale elle même
les entours peuvent avoir la tentation d' »être plus royaliste que le Roi » sur ce type de questions mineures
jul
7 février 2019 @ 17:20
Quand des particuliers font de considérables efforts pour recevoir leur roi selon son rang, en lui donnant ce qu’ils ont de mieux, moi je suis admiratif.
Que ce soient des nobles ou des paysans, tous voulaient montrer qu’ils étaient des hôtes parfaits. Le roi ne pouvait empêcher les Français fidèles de bien faire et savait les remercier.
Pierre-Yves
7 février 2019 @ 11:17
Anecdote assez édifiante, de la part d’un roi qui s’accrochait obstinément et bêtement à la notion d’étiquette alors qu’il n’était plus grand-chose. On aurait dû le faire dîner par terre, façon pique-nique, puisqu’il préférait encore cela à une table ronde.
jul
7 février 2019 @ 17:28
Pierre-Yves,
La table ronde aurait blessé des personnes. La bienveillance commande de ne pas prendre cela à la légère. Il en va de la considération qu’on doit à des personnes fidèles.
C’est un devoir humain que de tout faire pour ne blesser personne et récompenser ceux qui doivent l’être parmi ses subordonnés. Devoir encore plus lourd pour le roi vis à vis des membres de sa famille et des personnes à son service.
Baboula
8 février 2019 @ 13:11
Était-il encore roi ?
jul
9 février 2019 @ 11:41
Bien sûr Baboula
Au moins pour tout son entourage et les Français fidèles, ce qui est considérable.
COLETTE C.
7 février 2019 @ 11:44
Même en fuite, le protocole prime !
Philippe Gain d'Enquin
7 février 2019 @ 12:04
Quand les Lys se flétrirent et fanèrent, las, l’Aigle s’était déjà envolé…
Actarus
7 février 2019 @ 13:38
Je connaissais cette anecdote amusante, déjà relatée dans d’autres biographies de Charles X. A ceux qui trouvent que la situation est hallucinante, je dirais simplement qu’il faut replacer les choses dans leur contexte : la scène se passe en août 1830 et non en février 2019 voire, si l’on veut faire à la fois plus ancien et récent, en septembre 1980.
L’étiquette était en vigueur dans tous les royaumes et principautés, chacun ayant bien sûr ses propres spécificités, et pas seulement à la cour de France.
Ce qui fait sourire, c’est la volonté de prendre prétexte sur un château somme toute cossu pour la rétablir le temps d’un souper. Je comprends aussi que, pour les exilés, c’était l’occasion de remonter vers des sommets virtuels pour oublier leur déchéance récente. Ils ont oublié que la province n’était pas Paris, et qu’en l’occurrence les salamecs des salons de la capitale n’y avaient point… cours. ;-)
Il est évident que nous ne verrions plus cela de nos jours, car les temps ont changé, en bien comme en mal. Les princes voyagent davantage et ne sont plus prisonniers (de tout ce que vous voulez : de leurs peuples, de leurs petites habitudes, de leur confort…) dans leur palais, ils sont beaucoup plus « relax » et moins « hors du monde ».
Lors de mes premiers « banquets » royaux à la fin des années 80, je les ai vus présider (^^) des tables rondes sans que cela les dérange outre mesure. ;-)
Elsi
7 février 2019 @ 14:27
Pourquoi ne pas avoir organise un pique-nique sur une grande couverture carree dans le parc…plus sympathique…et la belle table ronde aurait survecu ….
Gérard
7 février 2019 @ 14:45
Quand tout s’écroule fors la vie et … l’honneur.
Le roi avait l’habitude de l’exil et du devoir. À défaut d’être il y avait le paraître.
Cosmo
7 février 2019 @ 15:12
Cette anecdote montre le degré d’intelligence de Charles X. Il avoisinait le zéro absolu. Pas étonnant qu’il ait perdu sa couronne. Les Orléans n’avaient rien d’autre à faire qu’attendre. Pas besoin de complot !
Philippe Gain d'Enquin
8 février 2019 @ 17:08
Bravo !
Karabakh
7 février 2019 @ 15:13
Affligeant de vanité, et dire que 189 ans plus tard, ceux qui se prétendent héritiers n’ont toujours pas compris le message et la leçon associée.
Quel avenir pour de pareils déconnectés ?
Je retiens néanmoins que , 1830 ou 2019, les Bourbon (in extenso) sont toujours entourés de guignols.
Mayg
7 février 2019 @ 16:47
Compte tenu du contexte de l’époque, c’est l’étiquette la seule préoccupation du roi ???!
Jean Pierre
7 février 2019 @ 19:04
Je pense à contre courant de tout le monde.
Ce n’est pas parce qu’on est dans la dèche la plus crasse qu’il faut tout laisser aller. Pas de mollesse ni de relâchement.
Bravo Charles X.
Bien sûr tout cela a un côté pathétique, on se croirait chez Ionesco.
Je ne comprends d’aileurs pas que la duchesse d’Angouleme qui avait connu pire n’ait pas pris tout ça en main.
Thierry LE HETE
7 février 2019 @ 19:12
On ne peut pas être étonné après cela qu’il ait perdu sa couronne. En 25 ans d’exil Charles d’Artois n’a rien appris ni compris. Quelle étroitesse d’esprit !
Kardaillac
7 février 2019 @ 19:31
Demander le « grand couvert » lors d’une soirée-étape signale un parfaite déconnexion des réalités et des embarras causés à son hôte.
Si les ordonnances de Saint-Cloud n’étaient qu’une application de la loi constitutionnelle, il aurait fallu, avant de prendre pareilles décisions, un certain feeling de la société ambiante de la part du roi et de sa cour. Aucune empathie.
Pour la troisième fois en moins de quarante ans, la dynastie des aînés était battue par son propre peuple, mais on voulait dîner en grand apparat sur la route de l’exil. Décidément, c’était bien la fin.
Gérard
8 février 2019 @ 15:10
Le départ des Tuileries de Louis-Philippe et de sa famille s’accomplit dans des conditions épouvantables et le roi ne cessait de répéter : « Pire que Charles X ! Cent fois pire que Charles X… ». C’était aussi un hommage rendu au vieux roi qu’il aimait bien. Car Louis-Philippe partait en proscrit par la république tandis que Charles X était parti en souverain. En 1830 Louis-Philippe avait voulu que son cousin reçût toutes les marques de respect dues à sa qualité de roi et avait pris à sa charge les frais inhérents à cet exil, mais lui était contraint de fuir car l’ordre avait été donné de l’arrêter ainsi que ses ministres comme s’ils eussent été des malfaiteurs.
Odon
9 février 2019 @ 19:49
Quel orgueuil et quel manque de souplesse fasse aux événements… il aura fallu que le même « arrierisme » frappe le comte de Chambord pour que ce dernier refuse le trône pour des raisons aussi dépassées et déconnectées des réalités.
Mary
9 février 2019 @ 21:45
Quel parfait crétin ce Charles X !
J’aurais gardé intacte ma belle table en acajou et je je l’aurais fait dîner sur des planches soutenues par des tréteaux , le tout, recouvert de nappes…
Et non, je n’aurais pas été honorée de recevoir une pareille bourrique à ma table !!!
Gérard
9 février 2019 @ 23:05
Il n’est pas certain que Charles X ait été au courant de l’incident de la table d’acajou. Dans sa biographie du roi Jean-Paul Garnier évoque le séjour du roi le 6 août 1830 chez le vicomte et la vicomtesse de Caudecoste et ce parc magnifique qui descend jusqu’à la Rille. Et il présente semble-t-il l’épisode de la menuiserie comme une initiative des officiers de la bouche ajoutant : Presque toujours calme, Charles X, a-t-on pu dire « portait avec courage l’ensemble de son infortune mais n’en pouvait patiemment supporter les détails… ».
Dans sa récente biographie de Louis XIX duc d’Angoulême François de Coustin écrit :
« Parti à la sauvette en juillet 1789, dans une pitoyable cohue sur des routes détrempées en mars 1814, Charles X ne veut pas perdre une once de dignité dans ce dernier voyage royal. »
Georges Poisson dans sa biographie du Comte de Chambord faisait également observer que la France n’ayant pas accepté la double abdication du roi et du dauphin, le roi était encore roi et le manifestait aux yeux du monde.
Gérard
11 février 2019 @ 01:15
Un événement très particulier se produisit au cours de cette lente progression du roi Charles X vers Cherbourg. Cet événement eut lieu le 6 août ou le 7 août 1830 et si l’événement a eu lieu le 6 au château de l’Aigle on peut imaginer que le roi avait d’autres soucis qu’une table ronde. En fait l’événement eut lieu dans la soirée du 6 au 7 août ou dans la soirée du 7 au 8.
Pierre de Luz et Pierre de La Gorce situent l’épisode au 6 mais la plupart des historiens ou des témoins le situent au soir du 7 : Frédéric Delebecque, Achille de Vaulabelle, Odilon Barrot, Alexandre Mazas, le baron de Damas, le baron Jules Angot des Rotours, le baron Auguste de Schonen.
C’est également cette deuxième date qui est donnée par le Journal de Saint-Cloud à Cherbourg (soit du 26 juillet au 16 août) de Théodore Anne, ancien garde du corps de la compagnie de Noailles, écrit en 1830.
Le fait même a été par la suite confirmé par la publication de la correspondance entre le duc de Wellington et lord Aberdeen en 1878 et en 1880 par plusieurs diplomates européens. Lorsque sous la Monarchie de Juillet fut créée la pièce Les Enfants d’Édouard de Casimir Delavigne en mars 1833 qui évoque la disparition des neveux du futur Richard III d’Angleterre Thiers voulut la faire interdire, il était ministre de l’Intérieur, et il expliqua aux Tuileries en présence de l’auteur que cette pièce pouvait représenter une allusion fâcheuse. Louis-Philippe l’interrompit et lui dit : « Cette allusion blessante, Monsieur, c’est vous qui la faites le premier […]. Ai-je jamais cherché à faire disparaître le fils de la duchesse de Berry pour m’assurer la couronne ? Si elle eût consenti à me le confier, comme je lui ai fait demander, je serais encore aujourd’hui le duc d’Orléans et le duc de Bordeaux serait roi de France. »
Le soir du 7 août 1830 le roi était au Merlerault dans l’Orne et occupait la petite maison de Monsieur de La Roque, ancien garde du corps. Le roi avait sa chambre au rez-de-chaussée où l’on avait servi le dîner. Au premier étage les trois chambres étaient occupées la première par le dauphin et la dauphine, la deuxième par la duchesse de Berry et Mademoiselle et la troisième par le duc de Bordeaux et son gouverneur le baron de Damas.
Après le dîner le roi se couche. Arrive alors le colonel Caradoc secrétaire de l’ambassade d’Angleterre qui a marché deux heures dans une chaleur étouffante après avoir brûlé la poste. L’ambassadeur l’a autorisé à porter un billet au roi que Louis-Philippe lui a remis quelques jours avant au Palais-Royal. Il a cousu le billet dans la doublure de son habit et le remet au roi. Le roi reconnaît l’écriture du duc d’Orléans. Le billet dit : « Croyez, Sire, tout ce que le colonel Caradoc vous dira de ma part. »
Le colonel dit au roi que le lieutenant général demande que le duc de Bordeaux soit ramené à Paris où le duc d’Orléans fera valoir ses droits à la couronne.
Le roi hésite et demande si la famille royale peut accompagner le jeune prince. Le colonel répond que non. Le roi insiste en vain pour la duchesse de Berry. Le roi consulte la duchesse qui refuse de laisser son fils, elle craint pour la vie de celui-ci si elle n’est pas là pour veiller sur lui et dans ces conditions après des discussions familiales le roi refuse aussi.
L’entrevue ne fut pas connue de la police qui surveillait le cortège royal mais fut connue de Chateaubriand, de Metternich, de Marmont.
Charles X appréciait Caradoc et il aimait bien l’ambassadeur britannique lord Stuart de Rothesay.
Caradoc rentre à Paris et va voir Louis-Philippe qui lui dit : « Eh bien ! Puisqu’il le faut, je me dévoue. » Chacun est conscient que cette situation provisoire doit cesser. Le lieutenant général reçoit les ambassadeurs, Stuart pour l’Angleterre, Pozzo di Borgo pour la Russie, le baron de Werther pour la Prusse, le comte Apponyi pour l’Autriche, tous craignent le retour à une situation analogue à la révolution de 1688 en Angleterre et ils pressent Louis-Philippe d’accepter le trône.
Jusqu’alors Charles X n’avait pas accéléré sa route vers l’Angleterre car il espérait être rappelé.
La démarche de Caradoc avait provoqué la mauvaise humeur du premier ministre britannique le duc de Wellington qui la reprocha à son ambassadeur lord Stuart de Rothesay, il lui rappela que l’Angleterre se devait d’être neutre dans cette affaire et il venait de recevoir une lettre de lord Aberdeen, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, et le rapport de Caradoc après sa démarche et après avoir été reçu par Louis-Philippe au Palais-Royal. Pour Wellington il était trop tard pour effectuer une démarche de cette nature auprès de Charles X et Stuart aurait dû demander à Louis-Philippe de faire cette démarche au moment de l’abdication du roi et qu’il fallait maintenant en tout cas éviter la guerre civile. Wellington avait appris la démarche trop tard pour l’empêcher mais il était confiant dans le bon sens de Charles X et dans son affection pour son petit-fils, cependant il avait la crainte que la démarche britannique soit connue par la police française et il décida de rappeler Stuart au mois de novembre 1830. L’Angleterre avait été le plus ferme soutien de la branche aînée.
Toutefois il ressort de la correspondance diplomatique que le soir du 2 août dès que l’abdication fut connue par Louis-Philippe, celui-ci convoqua au Palais-Royal l’ambassadeur britannique en lui demandant d’envoyer un collaborateur au roi et Caradoc ne quitta Paris que le 5 août sans qu’on sache ce qui avait retardé son départ.
Celui qu’on appelait Caradoc était l’honorable John Herbert Caradoc ou Cradock qui serait un jour sir John et général et qui fut en 1839 le deuxième baron Howden. Il était né en 1799 et mourut en 1873. Il mourut à Bayonne où il s’était fait reconstruire une belle maison dans un beau parc qu’on appelait le château Caradoc et qui est aujourd’hui une maison de retraite. Il avait été ministre plénipotentiaire à Madrid de 1850 à 1858.
Le 18 janvier de cette année 1830 il avait épousé à Paris la princesse Catherine Pavlovna Bagration (1783-1897), née comtesse Skavronskaya et qui était veuve du général prince Pyotr Ivanovitch Bagration Grassion (1765-1812) mort des suites des blessures reçues à la bataille de Borodino.
Après ces événements Charles X en exil voulut emprunter pour faire face à ses dépenses 600 000 francs. Louis-Philippe fit avancer par le baron Louis ministre des Finances la somme que le roi des Français remboursa lui-même sur sa cassette. Il acheta aussi au duc d’Angoulême le haras de Meudon pour la somme de 100 000 francs soit le double du prix demandé.
Puis Louis-Philippe paya un créancier qui poursuivait depuis de nombreuses années avec un jugement écossais Charles X, le comte de Pfaffenhoffen, il lui paya 100 000 francs et une rente viagère de 10 000 francs.
Le roi s’opposa également à la confiscation du domaine de Chambord que le gouvernement réclamait ainsi que le rapportait le marquis de Flers dans sa biographie de 1891.
Gérard
11 février 2019 @ 19:32
Lire : Pyotr Ivanovitch Bagration (1765-1812).