L’émigration n’est qu’une solution aux problèmes des populations opprimées et son approche n’est pas toujours bien perçue, tant s’en faut. Mais pour Maurice de Hirsch, comme pour tous les Hirsch auf Gereuth qui quittèrent leur Bavière d’origine pour la France, l’Angleterre, la Belgique, les Etats-Unis voire l’Australie, migrants dans l’âme et internationaux dans l’esprit, elle est la seule solution aux misères du peuples juif en Russie en Europe orientale.
De ce fait, il créera deux oeuvres majeures : la “Baron de Hirsch Fund »de New York, chargée de faciliter l’intégration et la formation professionnelle des immigrants sur le sol américain et la “Jewish Colonisation Association”, JCA, ayant comme mission de créer et gérer des colonies agricoles en Amérique du Sud.
“Je pense que la pire des choses qui puisse encore arriver à ce peuple infortuné c’est de continuer pour une période indéterminée de mener cette existence misérable…De continuer à végéter sans espoir et sans avenir, réduits à une condition incompatible avec la dignité d’un être humain. Le seul moyen d’améliorer leur situation est de les retirer du sol où ils sont enracinés et de les transporter dans d’autres pays où ils profiteront des mêmes droits de citoyenneté que les gens parmi lequel ils vivront et où ils cessent d’être des parias pour devenir des citoyens.” écrit Maurice de Hirsch en août 1891 pour la revue américaine, The Forum.
Tout est posé en quelques mots. Hirsch avait avec lui un certain nombre de partisans pour le suivre dans cette voie. Mais il avait en face de lui des opposants à cette solution, des adversaires de l’émigration, parmi eux Samuel de Poliakoff, le beau-père de James de Hirsch, frère de Maurice, mais aussi les plus éminents représentants de la communauté juive en Russie. Pour eux, l’émigration au Nouveau Monde conduirait rapidement à l’extinction des communauté juives d’Europe, compromettrait les luttes en cours pour leur émancipation et surtout donnerait au gouvernement russe un excellent prétexte pour expulser tous les juifs.
Famille Juive aisée en Bukovine
En réalité, les projets de Maurice de Hirsch suscitent beaucoup plus de réticence que d’adhésion au sein de la partie supérieure et conservatrice de la communauté juive. Il faut dire que certains d’entre eux étaient en voie d’assimilation, voire assimilés, ce qui n’était pas le cas des populations plus jeunes qui souhaitaient un avenir meilleur.
Rue de New York vers 1900
En 1881-1882, le gouvernement américain indigné par l’attitude du gouvernement russe propose une aide à l’immigration exceptionnelle en ordonnant à la police de l’immigration de réduire les contrôles sanitaires à une simple formalité et fait construire de bâtiments pour les loger à New York, donc de favoriser leur accueil.
Ces populations misérables trouvent aussi du secours, vêtements, nourritures auprès des organisations caritatives chrétiennes. Mais les notables juifs, effrayés par cette arrivée massive de pauvres, mal formés et en mauvaise santé, sont beaucoup moins favorables. Ils demandent aux institutions juives européennes de n’envoyer que des candidats à l’immigration, jeunes, vigoureux, célibataires mais aussi dotés d’une formation adaptée au marché du travail américain.
En 1882, l’Alliance de Paris reçut d’une organisation juive américaine, le câble suivant : “N’envoyez plus d’émigrants, notre notre comité les renverra.” “L’Amérique n’est pas la maison des pauvres…” En 1886, différente associations israélites de New York et de Chicago adoptèrent une résolution qu’ils firent publier dans différents journaux : “Nous condamnons le transport des pauvres dans notre pays et au Canada par les Comités européens. Dorénavant tous ceux qui sont incapables de se prendre en charge seront renvoyés dès leur arrivée.” Ils écrivirent même au Ministère des Affaire étrangères et aux services de l’immigration pour se désolidariser de ce qui se passait.
Juif aisé de Chisinau en Moldavie
Les juifs américains, environs 60 000, ne voyaient pas ou refusaient de voir le drame qui se vivait au quotidien dans les shtetl, où seul l’espoir du départ était désormais la condition de survie de ses population misérables. Ils ne pouvaient pas prévoir que ce seraient plus de deux millions de juifs pauvres qui arriveraient aux USA de 1889 à 1917.
Esther street dans le quartier juif de New York en 1900
Il faut dire que les juifs américains ne se comportaient pas différemment des juifs de France, d’Allemagne, d’Angleterre ou d’Autriche, qui ayant atteint un niveau certain d’éducation ne voulaient pas de ces masses incultes, religieuses, aux familles nombreuses et ne parlant que le yiddish.
Librairie Juive à New York
Il y avait d’un côté le confort et une position chèrement acquis et que l’on ne voulait pas voir remis en cause et de l’autre des malheureux voués à une mort certaine, de misère, ou sous les coups lors de pogroms.
Maurice de Hirsch croyait en la régénérescence du peuple juif par le travail de la terre. Cela fait d’ailleurs commencé dans certains états des Etats-Unis, Oregon, Colorado, Kansas, Dakota et New Jersey, sous l’impulsion de Myer S. Isaacs, un juge de New York et Michael Heilprinn, un intellectuel, juifs. Mais ces colonies avaient périclité faute de ressources et seul un généreux mécène pourrait les relancer.
Myers Samuel Isaacs (1841-1904)
Hirsch proposa alors son aide à travers une fondation pour l’intégration des immigrants aux Etats-Unis. Mais l’offre du baron fut refusée par un comité réuni pour la circonstance à New York, à l’initiative du juge Isaacs, car trop ambitieuse et en risque de concurrence avec les autorités américaines officiellement en charge de l’émigration. Il répondit que son intention était “d’aider un nombre limité d’israélites russes et roumains…à trouver au-delà des mers une nouvelle patrie et une nouvelle existence…” Il propose de créer le comité principal au Royaume-Uni avec des sous-comités aux Etats-Unis, au Canada et en Argentine. Un sous-comité semble toujours moins dangereux qu’un comité…
Craignant l’opinion internationale, s’il persistait dans son refus, le Comité provisoire de New York accepta la proposition du baron. Ils tombèrent d’accord sur les conditions suivantes : une aide modeste pour les nouveaux arrivants et une aide plus conséquente pour ceux qui étaient déjà installés mais encore en difficulté, la création d’écoles afin de facilités aux nouveaux arrivants et à leurs enfants la compréhension et l’usage de l’anglais, des centres de formations techniques et commerciales en cours du soir.
Magasin Juif à New York
Après de nouvelles tractations, ils arrivèrent, Maurice de Hirsch et les divers comités, à l’accord suivant sur les objectifs de la fondation :
- Accueil des immigrants
- enseignement de l’anglais
- formation technique et professionnelles aux métiers du bâtiment et de l’industrie
- soutien technique pour le développement et le financement des activités agricoles et industrielles.
Marché juif à New York
Un service financier était mis en place pour consentir des prêts à faible taux d’intérêt pour permettre aux colons d’acquérir du bétail et du matériel. Les statuts définitifs furent déposés le 19 mars 1890. Le “Baron de Hirsch Fund », tel était son nom, disposait d’un capital de 2 500 000 dollars, avec un revenu annuel de 100 000 dollars. Elle était présidée par Narcisse Leven.
Les difficultés semblaient aplanies mais les sommes mises à disposition ne pouvaient permettre l’installation de beaucoup de familles, alors qu’en Russie en 1890, la situation s’était considérablement aggravée.
Comme il a été vu, une quarantaine de décrets fut promulguée pour réduire les droits des juifs : restriction de l’activité commerciale, durcissement des conditions relatives à la zone de résidence, suppression des ultimes privilèges des juifs des classes aisées, création de ghettos dans les grandes villes, Moscou, Saint-Petersbourg, Kiev etc…expulsion des juifs demeurant ailleurs que dans la zone de résidence affectée, interdiction de résider dans des localités rurales.
Le jour de la Pâque juive Pobiendonostvev ordonna l’expulsion immédiate de tous les juifs exerçant les professions de mécanicien, distillateurs, brasseurs et techniciens demeurant à Moscou bien qu’installés en toute légalité. Ils eurent alors l’obligation d’aller s’installer dans des localités qu’ils ne connaissaient pas. Pendant un mois, la police procéda à des rafles d’une rare violence des juifs établis illégalement à Moscou. Puis la police s’en prit aux artisans, commerçant, employés de bureau, professeurs, professions libérales, tous ayant un droit de résidence légal à Moscou.
Devant cette violence les autorités anglaises réagirent par une manifestation lord maire de Londres, barons de Hirsch et de Rothschild en tête. Mais cela n’infléchit pas la politique impériale.
Hirsch écrivit : “Les traitements que les juifs doivent maintenant subir sont tels qu’ils suscitent la réprobation indignée de l’ensemble du monde civilisé…Des gens auxquels on ne pouvait adresser l’ombre d’un reproche, qui s’occupaient tranquillement de leurs affaires ont été tirés du lit pendant la nuit, arrachés à leurs logis à coup de fouet et chargés de chaînes jetés dans la plus profonde misère. Des femmes, des jeunes filles, des enfants ont été soumis à des outrages que j’aurais refusé de croire possibles s’ils n’avaient été attestés par des témoins dignes de foi, dont je n’oserais même pas reproduire ici les propos. Des centaines de famille, chassées de chez elles et privées de toute forme d’abris, ont été obligées de se réfugier dans des cimetières, affamées et soumises aux terribles rigueurs climatiques. Des femmes réduites à accoucher dans les champs sont mortes de froid. Ces actes barbares représentent un plus terrible malheur pour les juifs que l’ogre d’expulsion que le gouvernement russe a décidé d’appliquer contre eux.” ( Déclaration faite au Forum en août 1891)
Après un pogrom à Kiev en 1919
Hirsch consacra alors à aider ces malheureux des sommes beaucoup plus importantes que celles allouées au Baron de Hirsch Fund. Il renfloua les caisses des comités européens qui tentaient d’aider les dizaines de milliers de réfugiés entassés aux frontières ou dans les ports, espérant un embarquement pour l’Amérique. Le seul comité de Berlin en un an réussit à faire partir 63 000 personnes.
Maurice de Hirsch avait pour but de permettre aux quatre cinquièmes de la population juive de Russie de quitter le pays. Il décida d’y consacrer la quasi totalité de sa fortune. Il se mit alors à chercher des terres d’accueil. On lui proposa des terres dans l’Empire Ottoman, y compris la Palestine, mais son expérience lui avait appris combien peu fiable était son administration et que les Turcs ne voulaient pas plus des juifs que les Russes. L’Arménie, proposée par le journaliste politique britannique Arnold White (1848-1925), semblait à ses yeux plus propice à l’installation des Juifs, à la fois par la qualité de ses terres, mais aussi par des similitudes raciales entre les populations. Hirsch refusa à nouveau.
Il cherchait un territoire relativement épargné par l’antisémitisme, au climat tempéré et aux vastes étendues. Ce ne pouvaient être les Etats-Unis, ce ne pouvait être l’Europe, restaient alors l’Australie, le Canada, l’Afrique du Sud ou les Amériques centrales ou du Sud.
Carte de l’Argentine en 1900
Apparut alors comme évidente terre d’immigration l’Argentine. L’oncle de Clara, Salomon Goldschmidt, présenta à Maurice le Dr Guillaume Löwenthal, juif berlinois, professeur d’hygiène à l’Académie de Médecine de Lausanne. Il avait été chargé par le gouvernement de la République argentine d’effectuer une enquête sur les conditions sanitaires dans les principales régions agricoles du pays. Il établit un schéma de colonisation détaillé à l’usage des juifs russes et roumains. Pour lui l’Argentine était le pays idéal pour permettre aux israélites de l’Europe de l’Est “de se régénérer par un travail sain, honnête et profitable, à savoir la culture de la terre” et ce dans un pays “libre et libéral qui admet tout travailleur honnête comme citoyen de plein droit”.
“Sol fertile” “Territoire grand huit fois comme la France”, “lois libérales”; “disette de bras humains”, étaient des arguments de poids. Löwenthal mit aussi sur pied un projet de financement, cinquante millions de francs placés dans les banques de Buenos Aires, qui payent 12 ou 15% d’intérêts générant donc cinq millions de francs par an une fois les frais déduits.
Tout cela devait permettre à 500 familles, soit 5000 individus de venir y vivre. Au bout de 6 à 10 ans, ces familles auraient remboursé les sommes avancées, afin de permettre à d’autre de venir s’installer. Tout était prévu, jusqu’au nombre d’hectares nécessaires pur faire une ferme, les habitations, les bâtiment collectifs etc…
Il fallait aussi et surtout éviter de constituer des ghettos, et donc il fallait faire également venir des colons hollandais ou suisses.
Maurice et Clara de Hirsch le reçurent avec un espoir immense car Löwenthal leur disait qu’enfin ils allaient pouvoir réaliser leur grande oeuvre de sauvetage des juifs persécutés en Europe.
Après avoir pris ses renseignements, Maurice envoya une mission dirigée par Löwenthal pour déterminer de façon précises les potentialités, les conditions d’achat des terrains et le budget prévisionnel.
Le premier achat de terre fut effectué, pour un total de 43485 ha. La première colonie juive d’Argentine fut fondée à Palacios, dans la province de Santa Fé.
La pampa argentine
Chaque famille put disposer de cinquante hectares de terre, de matériaux pour la construction d’une maison, du matériel agricole, plusieurs têtes de bétail, de la volaille, des semences, des vivres. Cela représentait environ 500 familles.
La colonie fut appelée Moïsesville en l’honneur de celui qui sortit les Hébreux de captivité et du baron, dont le prénom était la forme latine de Moïse. La réussite s’installait car au vu des constructions faites par les juifs pour eux-mêmes, les habitants, non juifs, commencèrent à faire appel à eux pour construire les leurs.
Carte de la colonie Baron de Hirsch
Le premier rapport conclut : “ Seuls et abandonné, ne connaissant ni la langue, ni le pays, ils sont allés chercher du travail avec le ventre vide et des enfants qui crient famine…Ils ont réussi à passer tant bien que mal cette années terrible d’apprentissage et prouvé qu’ils sont aptes à leur nouveau métier d’agriculteurs, mieux et en moins de temps que d’autres immigrants.” Le seul problème était leur vulnérabilité face aux voleurs car ils n’avaient ni fusils, ni couteaux de chasse.
Bâtiments administratifs d’une colonie
Cela suffit pour convaincre Maurice de Hirsch de passer à l’étape suivante, acheter plus de terres. Il avait conscience que le succès de l’opération résidait dans une parfaite organisation avec dans un premier temps la possibilité de rectifier les erreurs inévitables dans ce genre d’entreprise, sans exemple à ce jour. Il fallait donc du temps et des critères de sélection rigoureux. Et ce n’est qu’une fois la première colonie bien installée, suivies d’autres également bien installées que les plus pauvres et le plus démunis pourraient arriver.
Le premiers colons juifs
Le plus dur, toutefois, restait de convaincre le gouvernement russe de laisser partir les juifs de Russie et autoriser la création d’un comité de sélection.
Arnold White, de conviction politique libérale, avait intégré l’équipe du baron et fut envoyé en Russie pour négocier avec le ministre de l’intérieur, Dournovo, le procureur général de Saint-Synode, Pobiedonostsvev, et le ministre des Affaires étrangères, le comte de Giers. Ils commencèrent à se plaindre que l’Europe défendait le “Juif, un usurier doublé d’un escroc” contre la Russie. Pour justifier pogroms et lois iniques, Pobiedonostsvev déclara : “ Le juif est un parasite : éloignez le de l’organisme vivant sur le quel et aux dépens duquel il vit et transportez le sur un rocher : vous le verrez périr aussitôt” ( cité par Arnold White dans son livre “The modern Jews”, London, W. Heinemann, 1899).
Toutefois, désireux de se débarrasser du problème juifs, les ministres assurèrent White de leur aide à faire quitter le territoire de la Russie au “matériel d’exportation” selon l’expression de Pobiedonostsvev, à la condition que Hirsch s’engage à débarrasser la Russie de tous les juifs dans un délai de douze ans. Pobiedonostsvev conclut que le baron était un “doux rêveur dont les plans ne lui appartenaient que déception…et qu’il avait complètement tort de croire à la possibilité des juifs de réussir dans les colonies…” ( rapport d’Arnold White en 1892 ).
Hirsch demanda toutefois du temps pour exécuter son programme et supplia Pobiedonostsvev de sursoir à l’expulsion tant que les colonies n’étaient pas en place. Ce dernier refusa. Sa concession fut que l’expulsion serait “sans violence et de la façon la plus modérée”.
White alla à la rencontre des populations juives des principales villes de l’Empire russe, et des bourgades afin de connaître l’état réel des individus. Il convenait au baron de croire White antisémite, ce qu’il n’était probablement pas, l’imaginant ainsi impartial dans son jugement peu favorable aux juifs. Pour White, sur une population de trois millions, seuls 20% de la pollution adulte mâle était en était de supporter le choc d’une transplantation dans un nouveau pays. Toujours selon White, on pouvait toutefois espérer le succès de la transplantation car sous Nicolas Ier, une colonie de 30 000 personnes avait été transplantée dans l’Etat de Kherson, dans le sud de l’Ukraine, et avec un grand succès, notamment dans l’agriculture, en cultivant 60 000 hectares leur permettant de vivre.
Le juifs étaient, toujours selon White, de bon pères, de bons maris, de bons fils. Il n’avait rencontré nulle part de juifs voleurs et usuriers, selon la définition de Pobiedonostsvev. Et de toutes façons les juifs n’étaient pas en plus mauvaise santé que les autres populations européennes pauvres.
Tout ceci convainquit Maurice de Hirsch du bien fondé de sa vision du retour à la terre du peuple juif, dans de nouveaux pays, où ils seraient enfin libres.
Le 1er juillet 1891, le gouvernement russe consentit à délivrer des certificats d’émigration gratuits, à exempter du service militaire les juifs souhaitant émigrer, à s’engager à envoyer des directives dans les provinces pour protéger les juifs.
Mais il n’y avait pas que les gouvernement russe à convaincre. Il y a avait l’Alliance Israélite Universelle, qui était loin d’être convaincue du bien-fondé de la démarche de Maurice de Hirsch. L’Alliance semblait nier la volonté du gouvernement à se débarrasser des juifs, d’une manière ou d’une autre. Pour elle, les juifs étaient chez eux en Russie. Pour l’Alliance, le baron se faisait aussi l’allié objectif de ceux qui ne voulaient plus de juifs sur le territoire et empêchait toute manifestation de solidarité envers les juifs russes. Puisqu’il y avait une alternative au problème offerte par le baron, l’opinion publique se désintéresserait de ce qui se passait en Russie. C’était un véritable sophisme.
Hirsch passa outre l’avis de l’Alliance, dans laquelle Salomon Goldschmidt avait une influence prépondérante. Il considérait que par son attitude de refus de voir la réalité en face l’Alliance freinait la possibilité d’améliorer le sort des juifs russes, en les maintenant, en réalité, dans leur statu quo de misère, d’insécurité et de terreur.
Il réclama l’argent qu’il avait donné à l’Alliance pour aider les juifs à l’immigration, afin de le donner à un Comité qu’il avait créé à Berlin en vue d’aider les juifs russes. Elle envoya l’argent et devant la détermination de Maurice elle s’inclina en publiant un communiqué reconnaissant que “ Le baron de Hirsch a conçu la noble pensée de rendre l’émigration des juifs russes moins douloureuse, plus régulière et aussi féconde que possible en organisant la colonisation d’une manière méthodique…”
Il ne restait plus à Maurice de Hirsch qu’à créer la “Jewish Colonisation Association”, en 1891, comme il a été vu. Il la dota donc de 50 millions de francs-or, soit plus de 150 millions d’euros, qu’il tripla quelques années après. Il a injecté de façon indirecte et quasi anonyme 180 millions de francs ensuite, sans doute venant de fonds secrets jamais officiellement déclarés.
Certificat d’action de la JCA
Cela représente un total de près de 1200 millions d’euros. La conversion des sommes est extrêmement difficile à faire car avec 380 millions de Francs-or, on faisait beaucoup plus en 1890 qu’avec 1200 millions d’euros aujourd’hui. Disons pour illustrer le propos que l’on achète beaucoup plus de choses aujourd’hui au Portugal avec 1 million d’Euros qu’en Allemagne ou en Hollande.
Le premier directoire de la JCA étaient composé de Britanniques, Maurice de Hirsch , alors autrichien, étant lui-même président. Salomon Goldschmidt, président de l’Alliance, était à ses côtés.
Les efforts de toutes ces années étaient enfin consacrés. Hirsch donna un entretien au Herald Tribune le 27 juillet 1891 au cours duquel, il séduisit les journalistes par la simplicité de son allure. Alors qu’ils s’attendaient à avoir devant eux un nabab juif parvenu couvert de bijoux, ils avaient devant eux un gentleman à l’élégance discrète. Il s’exprima enfin de façon libre sur le gouvernement russe et son attitude vis-à-vis des juifs : “ Ils veulent s’en débarrasser, mais pour cela, ils n’on rien trouvé de mieux que de les enfermer dans une pièce où ils étouffent…alors je leur ai dit “ que voulez-vous, si vous souhaitez tous les tuer, pourquoi ne pas les électrocuter, cela sera plus rapide et moins brutal.” et il ajouta “ Donc étant donné la situation, je veux aider ces malheureux à quitter ce pays. Mon idée est d’envoyer 100 000 personnes en Argentine, de les installer dans des fermes ou des professions artisanales. Ils sont pauvres. la seule alternative pour eux est don de travailler ou de mourir…pour moi, cela ne fait aucun doute, ils ont toutes les capacités pour réussir comme agriculteurs ou maçons…mon idée est de créer une société qui donnera aux immigrants l’argent nécessaire pour acquérir leur terrain, leur distribuera des outils et des semences pour cultiver des légumes et des céréales…Avec une bonne récolte, ils seront en mesure de commencer à rembourser au bout d’un an l’argent prêté. Cela les rendra indépendants et les empêchera de devenir des assistés…Une fois qu’ils seront bien adaptés et installés confortablement ils écriront à leurs familles et à leurs amis qui auront envie de suivre leur exemple et de devenir à leur tour des pionniers.”
La récolte de blé d’une colonie prête à l’expédition
Maurice de Hirsch, fidèle à l’enseignement juif traditionnel, ne fait pas la charité. Il aide les gens à s’en sortir en mettant de l’argent à disposition, cet argent devant permettre un effet boule de neige car ce n’est pas un don mais un prêt, qui une fois remboursé permettra d’en aider d’autres.
Une ferme de colonie juive
C’est intelligent mais les attentes furent loin d’être remplies, du moins dans le nombre. 100 000 personnes par an constituaient 3 250 000 au bout de vingt-cinq ans. Ces objectifs étaient impossibles à tenir, même avec seulement 25 000 personnes par an soit 5 000 familles. cela représentait 250 000 hectares, 5000 maisons, 5000 charrues, 40 000 têtes de bétail, et la volaille. Comment cette organisation gigantesque pour 25 000 personnes, pouvait-elle être quadruplée et ce tous les ans ?
Gauchos juifs
Réaliste, il se laissa convaincre de diminuer les objectifs quantitatifs car la réussite dépendait out au moins au début d’une organisation parfaite, reposant sur un petit nombre. Il dut se résoudre à écrire aux communautés juives de Russie qu’il ne les abandonnait pas mais qu’il leur fallait rester en Russie tant que la JCA ne fonctionnerait pas convenablement et ne serait pas en mesure de les accueillir.
Evolution de la population dans la colonie Baron de Hirsch
“ Pour conclure, je vous dis : Vous êtes les héritiers de vos pères qui ont supporté tant de souffrances pendant des siècles. Supportez cet héritage encore quelque temps avec la même résignation. Ayez de la patience et laissez à ceux qui veulent vous secourir la possibilité de le faire…”( circulaire du 9 mars 1892, rédigée en russe, en allemand et en yiddish). Cinquante familles purent alors partir, soit 500 personnes capables de vivre cette aventure. C’était peu dans le nombre mais beaucoup dans l’espoir. C’était le début du nouvel Exode. (Merci à Patrick Germain pour cette 9ème partie)
Pascal
12 janvier 2017 @ 06:29
Ce brillant article nous confirme que nos problèmes d’aujourd’hui ne datent pas d’hier…
Malgré toute la sympathie que j’ai pour la personnalité intime du Tsar Alexandre III il faut reconnaître qu’en cette affaire il prit un parti désastreux .
Une multiplicité de problèmes dont les attentats anarchistes n’étaient pas les moindres et le fait de croire que la « slavisation » forcenée de l’empire en serait le remède y ont sans doute beaucoup contribué.
En revanche : « migrants dans l’âme et internationaux dans l’esprit » ne suscite guère mon admiration non plus que mon enthousiasme .
Je crois que les Juifs eux mêmes ont toujours vécu l’existence de la diaspora comme un grand malheur voire une punition analogue à la captivité à Babylone ou en Egypte et je le comprends parfaitement .
Je comprend parfaitement qu’un individu donné puisse avoir envie de s’installer ailleurs que sur le sol qui l’a vu naître mais je me refuse catégoriquement à y voir une marque de supériorité ainsi que me semble le suggérer la formulation de l’article .
Tout cet article nous confirme d’ailleurs que les migrations de masses sont la conséquences de désastres ou de calamités , naturelles ou non .
J’aime beaucoup la photo des « gauchos juifs » !
Les sociétés peuvent s’apaiser ou se déchirer mais la Terre ne pourra tolérer une croissance effrénée de la démographie humaine .
Je n’en suis pas un spécialiste mais je pense que Malthus n’avait pas tout à fait tort.
Le problème démographique est le grand péril qui plane sur l’humanité , bien plus redoutable que le réchauffement climatique qui lui est en partie lié.
Patrick Germain
12 janvier 2017 @ 14:51
Pascal,
« Migrants dans l’âme et internationaux dans l’esprit » s’adressait à la famille de Hirsch et non aux Juifs, qui ne sont devenus migrants que pour sauver leurs vies. A mes yeux, il n’y a ni supériorité ni infériorité, il n’y a que des malheureux qui souffrent, victimes de désastres ou de calamités, comme vous le soulignez.
Les Hirsch comme les Rothschild et toutes les grandes dynasties financières juives passaient d’un pays à l’autre volontairement, en fonction de leurs intérêts personnels ou de l’attrait des pays.
Cordialement
Patrick Germain
Sylvie-Laure
12 janvier 2017 @ 06:53
Je suis toujours très intéressée par la suite de ces articles. Une somme considérable de photos, archives, et commentaires viennent appuyer l’impact de cette famille, qui voua sa vie à la Communauté Juive Européenne, Russe, et Internationale.
Que de volets sociaux, politiques, économiques et diplomatiques dans la vie du baron et de son épouse. Ce qui à l’époque où les faits se déroulent relèvent d’un exploit. Sans les commodités techniques qui nous sont connues et habituelles, nous dans le 21e siècle.
Je trouve cette série édifiante, spectaculaire, et combien captivante. Une existence hors du commun..
Corsica
12 janvier 2017 @ 10:52
Cosmo, votre série est remarquable par son sujet, son intérêt, la richesse de l’iconographie, et l’ampleur de votre travail, soyez-en remercié. Ayant pris du retard la semaine dernière, je suis toujours à la traîne de trois articles mais je lis et commente à mon rythme : lecture de deux articles par jour. Cordialement. Corsica.
Kalistéa
12 janvier 2017 @ 12:01
Votre travail achève de nous combler cher Cosmo.Ces problèmes des juifs Européens de cette époque de l’histoire m’étaient mal connus.Grâce à cette série d’articles éminemment intéressante , je suis en mesure de réfléchir même sur ce qui se passe actuellement face aux malheureux migrants actuels.Le baron de Hirsch s’est taillé une place d’honneur en se penchant avec charité et efficacité sur le sort affreux de ses coreligionnaires.Merci pour un travail remarquable qui mériterait d’être édité .Un ouvrage de référence Et quelle iconographie!
pit
12 janvier 2017 @ 12:42
Je viens de lire les neuf parties en ligne. Ceci a fait ma matinée ! Un grand merci pour ce précieux travail de recherche.
Pierre-Yves
12 janvier 2017 @ 14:30
La partie du récit consacrée à l’accueil des émigrés juifs aux Etats Unis résonnent étonnement avec ce qu’on connaît aujourd’hui, tandis que les propos du sinistre Pobiedonostsev ne sont pas sans rappeler l’idéologie raciale du 3ème reich.
Toutes proportions gardées, l’élan et la constance philanthropique déployée par Hirsch pourrait, à notre époque, se rapprocher de celle d’un Bill Gates aujour’hui. Je dis bien toutes proportions gardées.
Gérard
12 janvier 2017 @ 16:00
Quel travail cher ami. C’est passionnant sur un sujet qu’on ne connaît pas forcément. Bravo.
Haut-Landaise
12 janvier 2017 @ 16:52
Très, très intéressant, passionnant dirais-je. Merci. HL
Blouin
12 janvier 2017 @ 20:15
J’approuve l’idée que ce documentaire pourrait tout à fait être édité pour qu’un plus grand nombre puisse prendre connaissance de cette époque du peule juif. Il faut souligner aussi que ce sauvetage a été l’oeuvre d’un homme seul (soutenu par sa femme), grâce à sa fortune sans doute, et non pas une initiative politique quelconque. Il fallait y penser et surtout le faire; c’est tout simplement magnifique.
Caroline
12 janvier 2017 @ 23:12
Patrick Germain,
A cette heure tardive, enfin tranquillement chez moi, j’ ai pu lire votre article d’une traite! Il est vraiment très intéressant avec des photos inédites. C’est incroyable avec les colons juifs en Argentine tellement loin de leur Russie à cette époque!
On peut constater que les juifs s’ étaient bien intégrés sur le plan économique et culturel à leur société dans leur pays d’adoption comme les Espagnols et les Italiens lors de leur immigration massive vers la France lors du siècle dernier!
Bon week-end!
Caroline
12 janvier 2017 @ 23:22
C’est malheureusement autre chose avec les nouveaux migrants voulant imposer leur mode de vie et leur charia dans leur pays d’accueuil !
Merci pour la publication de ce commentaire d’une actualité brulante!
Camille
13 janvier 2017 @ 09:31
D’un autre côté, les USA sont connus pour avoir imposé leur modèle culturel et économique aux nouveaux migrants. Ils réalisaient des programmes pour enfants destinés à »éduquer » les petits immigrés suédois et italiens pour bien les forger dans l’esprit américain. On voit le résultat : aujourd’hui, tous leurs descendants ont une culture tellement appauvrie qu’ils confondent la Géorgie européenne avec leur Etat de Géorgie et tout le monde vit comme tout le monde. L’intégration c’est bien, mais ça ne doit pas se faire au détriment d’une culture unilatérale.
Corsica
18 janvier 2017 @ 18:30
La vie est un éternel recommencement et les plus nantis refusent souvent d’accueilir les populations chassées de chez ellescpar les guerres, les persécutions ou la misère. Même si ce sont des coreligionnaires… Bref, on a trop souvent de bonnes raisons pour refuser de tendre la main.