En terminant la lecture de la biographie « Gladys, duchesse de Marlborough » parue en 1979 en anglais sous la plume d’Hugo Vickers (qui a accordé des entretiens par le passé à Noblesse et Royautés) et aujourd’hui traduite aux éditions Lacurne, on a un sentiment de conclusion qui vient d’emblée à l’esprit « quel tourbillon de vie ! ».
Gladys Deacon, née en février 1881 à l’hôtel Brighton rue de Rivoli face aux Tuileries à Paris, est l’aînée d’une fratrie de quatre sœurs, et la fille d’Edward Deacon et Florence Baldwin, à la tête d’une fortune leur permettant de mener une vie aisée en Europe de Paris, à Londres, en passant par la Suisse et l’Italie.
Gladys, orpheline de père en 1901, reçut une éducation solide (elle parlait couramment le français). Sa beauté et ses yeux bleus restent gravés dans les mémoires. Jeune fille, elle se met à rêver à un destin « princier » au moment du mariage du 9ème duc de Marlborough (cousin de Sir Winston Churchill), propriétaire de l’historique palais de Blenheim avec la riche héritière américaine Consuelo Vanderbilt. Elle devint quelques temps plus tard une amie proche du couple qui se sépara en 1906.
Dans cette optique, Gladys qui papillonne au gré des saisons de capitale en capitale, souvent en proie aussi à des périodes de déprime générant des hospitalisations, provoque les émois amoureux du prince héritier de Prusse en 1902, puis repousse les demandes en mariage du futur duc de Newcastle, du prince de Bassiano, de lord Brooke, du marquis de Charrette ou encore de l’auteur le comte Hermann von Keyserling. Au début des années 20, elle est pourchassée par les intentions très amicales du prince Arthur, duc de Connaught veuf depuis 3 ans, fils de la reine Victoria.
Gladys côtoie Rodin, de Montesquiou, Proust, Anatole France, Claude Monet qui la reçoit à Giverny, Degas, Clémenceau ou encore Renoir.
En 1921, le duc de Marlborough obtient finalement le divorce. Voilà presque 35 ans que Gladys attend son heure. Le 23 juin de la même année, le mariage civil fut célébré au consulat britannique alors installé au Traveller’s Club sur les Champs-Elysées. Le lendemain à la demande insistante de Gladys eut lieu le mariage religieux officié par un prêtre écossais dans la demeure de son cousin Eugène Higgins.
Mais la vie de couple s’avère au bout de quelques années plus que difficile. Les disputes se multiplient, les menaces fusent et les centres d’intérêt divergent. Gladys sombre à plusieurs reprises dans une profonde mélancolie, suite à trois fausses couches (elle en souhaitait pas devenir mère). Elle s’épanouit en se consacrant à l’élevage d’épagneuls. Elle reste encore pour quelques temps la reine des soirées données à Blenheim.
Décembre 1932 après une enième dispute, le duc quitte la table pour rejoindre Londres. Il part avec plusieurs membres du personnel dont le chef des cuisines. Il tapote sa main sur l’épaule de son épouse. C’est la dernière fois qu’ils se voient. La fin laconique d’une romance commencée 35 ans plus tôt.
Le 29 mai 1933, la duchesse quitta à jamais Blenheim. Elle prit d’ailleurs quelques clichés de ce moment. La bataille avec son époux se poursuivit jusqu’à la mort de celui-ci le 30 juin 1934. Les derniers mois n’avaient été que bras de fer surtout pour des questions de patrimoine et d’argent.
Gladys avait perdu sa confortable rente héritée de son père après le krach boursier de 1929 et dépendait donc quasi entièrement de son époux, qui lui consentit 250 £ par mois (elle en espérait 10.000 £ par an), ce qui était dérisoire au vu du train de vie mené.
Elle n’assista pas aux funérailles. Elle disparut alors du monde dans lequel elle avait tellement brillé. Elle avait bien compris que son étoile avait pâli depuis son départ de Blenheim. En 1935, toutefois, elle fit la demande pour assister en sa qualité de duchesse douairière au Jubilé d’argent du roi George V mais submergée par l’importance du moment, renonça. Le siège 23 resta vide dans la cathédrale de Westminster.
Gladys s’installa dans le petit village de Chacombe. Elle y mena une vie de misère, s’adonna au jardinage et après la Seconde Guerre Mondiale, protégea encore plus la maisonnette du regard des curieux, ce qui donnait lieu à toutes sortes de rumeurs à son sujet. Ses amis qu’elle avait perdus de vue, abondaient tous dans le sens qu’elle avait sombré dans la folie.
Elle put compter sur de 1951 à 1962 sur l’aide d’Andreï, un Polonais déplacé par la Seconde Guerre Mondiale qui s’adapta à ses exigences et lui fut totalement dévoué, ce qui lui permit ainsi de vivre en recluse. En 1962, elle fut internée dans un hôpital psychiatrique St Andrews. Elle se tint toujours en marge des autres pensionnaires et les visites n’étaient pas les bienvenues (neveux, anciens voisins,…) à l’exception du fidèle Andrei. Gladys se tenait toutefois au courant de toute l’actualité.
C’est ainsi que l‘auteur Hugo Vickers fit sa connaissance après des années d’intérêt. Il avait toujours été intrigué par la disparition de la scène publique de la duchesse de Marlborough. Ses recherches déterminées l’amenèrent jusqu’à l’asile où de 1975 à 1977, il la vit 65 fois. Des échanges qui furent difficiles à établir mais que l’auteur adapta en n’évoquant pas directement la vie de Gladys mais les personnes et les lieux qu’elle avait connus.
Le palais de Blenheim se visite. Si un jour vous y pénétrer, regardez le plafond au-dessus du portique, le peintre Colin Gill a reproduit l’œil de Gladys. Dans le parc à hauteur des terrasses d’eau, deux têtes de sphynx qui représentent le visage de Gladys. Ce sont les seules traces qui restent de celle qui fut duchesse de Marlborough en cette demeure ancestrale.
Gladys Deacon, duchesse douairière de Marlborough est décédée en 1977 et a été inhumée au petit cimetière de Chacombe. Elle vécut près de 40 ans effacée d’un monde où elle avait tant et tant rayonné.
« Gladys, duchesse de Marlborough », Hugo Vickers, Editions Lacurne, 2020, 486 p.
bételgeuse70
11 mai 2020 @ 07:35
Un portrait signé Boldini, plus que probablement.
Annmaule
11 mai 2020 @ 07:37
Quel etrange destin…vraiment…
Benoite
11 mai 2020 @ 08:03
Il existe un Iris merveilleux : Bleinhem Royal bleu très foncé. Je le trouve magnifique, je ne sais pas s’il est toujours commercialisé. J’en avais quelques plants, qui se sont perdus. La fleur est touffue, belle, sa couleur très spéciale.
Pierre-Yves
11 mai 2020 @ 09:29
C’est moche quand on y songe: attendre prés de vingt ans que celui qu’on veut épouser soit libre et une fois mariée, ne pas réussir à trouver le bonheur auprès de lui.
Soit Gladys a fantasmé sur Marlborough et projeté sur lui un ensemble de qualités qu’il ne possédait pas, soit celui-ci s’est révélé différent comme mari que ce qu’il était comme soupirant. A moins que ce ne soit elle.
framboiz07
11 mai 2020 @ 13:59
Elle voulait le titre de Duchesse, le mariage, semble-t-il ,mais il fallait supporter le mari …Même si le château était grand !
Pierre Yves , vos deux suppositions peuvent s’additionner et être vraies …Ajoutons qu’elle était sujette à des épisodes de dépression …
Quelle vie, quand même !
Idem, pour Consuelo !
Corsica
11 mai 2020 @ 22:45
Mon cher Pierre-Yves, la très belle et brillante Gladys souffrait apparemment d’une maladie mentale récurrente qui, au quotidien, est peut-être devenue difficile à supporter pour son ex amant devenu son époux. Et puis quand, depuis l’âge de 14 ans, on décide de faire comme Consuelo Vanderbilt et d’épouser le duc de Malborough, il est possible que 26 ans plus tard quand on atteint ce but, on soit finalement déçu. Personnellement, je trouve que la vie de Gladys Deacon est une histoire très triste : enfant, elle a connu l’emprisonnement de son père pour meurtre de l’amant de sa mère, puis elle a attendu un homme pendant des décennies avant de vivre recluse chez elle ou en institut psychiatrique pendant une quarantaine d’années. Il y a nettement plus folichon et épanouissant.
Leonor
11 mai 2020 @ 23:09
Toutes ces possibilités existent.
Il y a aussi qu’il est facile de rêver qu’on vit ensemble, mais difficile de réellement vivre ensemble.
Et quand la réalité fait irruption dans le rêve, et qu’on ne prend pas la peine de redescendre sur terre, c’est la fin.
Robespierre
13 mai 2020 @ 02:47
Le moins qu’on puisse dire, P.Yves, c’est qu’après le mariage tant désiré, elle devint difficile à vivre. Un soir au diner, elle mit un revolver sur la table à côté de son assiette. Son voisin de table lui demanda pourquoi elle faisait ça. Elle répondit « Oh, I don’t know, I might just shoot Marlborough ». Un jour le duc en eut marre et licencia tout le personnel de Gladys. Et sa femme, il lui fit quitter le château. Il mourut peu de temps après.
Francois
11 mai 2020 @ 09:44
Destin terrible
Finir dans la dèche et la reclusion après avoir été
riche et titrée
Portraiturée par Boldini !!
Dinora
11 mai 2020 @ 10:26
Le beau portrait qui apparaît sur la couverture du livre est du peintre italien Giovanni Boldini (né à Ferrara en 1842 et mort à Paris en 1931) peint en 1908. Maintenant dans une collection privée.
Le peintre lui-même a peint un magnifique portrait de la duchesse Consuelo Vanderbilt de Marlborough et de son fils, Lord Ivor Spencer-Churchill en 1906, maintenant exposé au Metropolitan Museum of Art de New York.
L’année dernière à Ferrare, il y avait une grande exposition consacrée à Giovanni Boldini intitulée « Boldini et la mode » au Palazzo dei Diamanti.
Les deux portraits que j’ai mentionnés ont été exposés dans l’exposition, je peux vous assurer qu’ils sont extraordinaires, le portrait de Gladys Deacon a été choisi pour la couverture du catalogue.
L’exposition a été un magnifique voyage à travers la Belle Époque dont le peintre ferrarais était l’une des grandes portraitistes, aimées et peut-être aussi ….. des grandes dames de l’époque!
« Boldini a su reproduire la sensation éblouissante que les femmes se sentaient suscitées lorsqu’elles étaient vues dans leurs meilleurs moments. » Avec ces mots, Cecil Beaton, l’un des premiers et des plus célèbres photographes de mode du XXe siècle, a sanctionné le talent du peintre ferrarais pour dépeindre l’élégance voluptueuse des élites cosmopolites de la Belle Époque, pour savoir célébrer leurs ambitions et leur narcissisme raffiné.
Nuage Pâle
11 mai 2020 @ 11:52
Merci Dinora pour ce petit reportage vécu.
Dinora
12 mai 2020 @ 14:08
Ce fut un plaisir !!!
Esquiline
12 mai 2020 @ 13:54
C’est à Boldini que l’on doit les plus beaux portraits des élégantes de la belle époque mais aussi celui de Verdi en haut de forme que tout le monde doit avoir quelque part dans sa mémoire.
Celia72
11 mai 2020 @ 12:20
Je relis le livre de Michel de Grece « joyaux des couronnes d Europe ». Page 139, un diadème de la Couronne russe de perles et diamants « d un dessin audacieux et élégant » est photographié …. il devint en 1920 la propriété d une américaine Gladys Deacon…..
Jean Pierre
11 mai 2020 @ 12:41
On sait bien que Marlborough n’était pas un gentleman.
La première épouse en avait déjà dit beaucoup dans ses mémoires.
Robespierre
13 mai 2020 @ 02:58
Les mémoires de Consuelo sont très langue de bois (« The glitter and the gold ») . Assez superficiels, et peu révélateurs. Elle ne parle pas de Gladys par exemple, ni du ménage à trois, et je ne me rappelle pas qu’elle disait du mal de son époux, tout en n’en disant pas de bien non plus. Elle insistait sur le fait que c’était sa mère qui l’avait obligée à devenir duchesse alors qu’elle avait son coeur ailleurs. Et admettait que son mariage avec le duc n’avait pas été heureux, malgré deux enfants. : the heir and the spare.
ciboulette
11 mai 2020 @ 13:05
Quel triste destinée !
Muscate-Valeska de Lisabé
11 mai 2020 @ 15:07
Femme légère,prétentieuse,profiteuse,ingrate et déséquilibrée. Seul ce dernier point m’amène à la plaindre un peu.Mais sûrement pas à l’admirer.
Mimi au grand pied
11 mai 2020 @ 16:49
Etrange personne d’être si fixée sur cet homme alors que d’autres prétendants se présentaient et ne même pas parvenir à s’entendre avec l’objet de son amour.
Je ne la trouve pas jolie avec son menton en galoche et sa petite bouche trop haute. Evidemment, les plumes faisaient la différence…
Manon M.
11 mai 2020 @ 18:02
J’adore Boldini. Ses peintures sont superbes. Elles font rêvées aux années folles. Il magnifiait les femmes. Elles paraissaient sensuelles et féminines.
Dinora
12 mai 2020 @ 14:11
Exactement, c’était l’esprit de Boldini. Il arrivait parfois qu’il choisisse lui-même les vêtements de la dame à représenter. Pour les faire apparaître …. souhaitable !!!
Lili.M 😷😷
12 mai 2020 @ 05:54
Tout ça pour ça ! Une histoire d’amour qui s’est terminée bien rapidement !