En complément à l’article consacré à la résidence de l’archiduc Ludwig Salvator d’Autriche-Toscane à Palma de Majorque, voici une biographie romancée qui lui a été consacrée en 2013 par Jean-Louis Sarthou. On y découvre un archiduc qui se lance dans la promotion d’un tourisme culturel qu’il fait découvrir à ses amis et proches dont Jules Verne et l’impératrice Sissi.
Une vie aussi ébranlée par des deuils successifs : sa fiancée, l’empereur Maximilien du Mexique, l’archiduc héritier Rodolphe d’Autriche, l’impératrice Sissi,.. (Merci à Gérard)
« L’archiduc sans frontière », Jean-Louis Sarthou, Editions du Vieux Caroubier, 2013, 480 p.
Dominique Charenton
14 août 2014 @ 12:51
Sur cet archiduc :
» L’archiduc Luis Salvador, abandonnant la brillante cour autrichienne il y a près d’un demi-siècle, et cherchant le repos pour son esprit, après qu’il eut vu mourir dans les flammes sa cousine, en qui il avait mis toutes ses illusions et toutes ses espérances, résolut de s’établir à Majorque, lîle de la paix.
Voir en flammes un être innocent et plein de jeunesse que nous voulions
associer à notre vie afin de l’idéaliser et de nous appuyer sur lui,
doit forcément tronquer et déchirer notre personnalité, la partageant en
deux comme l’éclair qui fend un tronc d’arbre jusqu’à ses racines.
Lorsqu’on n’en meurt pas, comment garder les forces suffisantes pour
continuer à vivre sans chercher un appui un soutien ? Il le trouva dans
son secrétaire.
La propriété est très divisée dans cette île au bien-être général, de
sorte qu’il eut beaucoup de mal et dépensa énormément d’argent pour
former un grand domaine. Il donne tout sur la mer avec de grands bois et
de grands accidents de terrain. Il possède différentes maisons dont une
au niveau de la mer de laquelle il sembarquait sur son yacht ( La Nixe II )
L’archiduc comprit et apprécia avant quiconque le caractère de l’art
local et il s’imprégna complètement de la vie paysanne et populaire qui,
dans l’atmosphère générale de Majorque a un enchantement énorme.
Les sentiers et les chemins de la propriété étaient signalés par des
milliers et des milliers de bouteilles de bière dont le goulot était
enfoncé en terre et qui étaient vides mais avant de prendre cette
position elles avaient été pleines.
Il s’habillait d’une façon si rustique que, se promenant un jour dans sa
propriété, et voyant quune vieille versait d’une charrette pleine
d’oranges quelle conduisait, il l’aida à les ramasser et elle, le
remerciant, lui donna deux sous. Il les encadra et les plaça dans son
musée avec une inscription : « « Le seul argent que jai gagné dans ma
vie . » »
On me raconta que, lorsque la reine Marie-Christine qui a laissé un si
admirable souvenir en tant quépouse, que mère et que reine, vint à
Barcelone à l’occasion de l’Exposition, l’archiduc Louis Salvador voulut
lui rendre visite. Comme il ne portait pas ses papiers sur lui, on ne
put croire que cet homme si mal habillé était cousin de la reine et on
ne le laissa pas entrer dans le palais.
Sa nièce, l’archiduchesse Marguerite, m’a dit dernièrement quelle avait
été voir avec sa mère à la Banque de Vienne, où ils sont déposés, les
bijoux de son oncle, et qu’entre autres merveilles, elle y avait
contemplé un collier d’émeraudes et de brillants qui était ce qu’elle
avait vu de plus beau dans sa vie. Son oncle, depuis qu’il avait fui la
cour autrichienne, dans sa jeunesse, ne les avait pas revu.
Lorsqu’à Vienne il avait été les voir, il était vêtu de façon misérable,
et il portait une bague avec un petit brillant recouvert d’un papier de
soie.
Pourquoi cachait-il ce modeste brillant avec un papier de soie ? Etait-
ce parce que son éclat lui rappelait la splendeur, à laquelle il était
réfractaire, de ses anciens bijoux, ou était-ce que ce papier essayait
déteindre le souvenir de la main adorée qui avait porté cette bague ?
Les paysannes majorquines ont une réputation de beauté ; leur costume,
d’une longue tradition, a quelque chose de la pureté de ‘l’habit
monastique. Elles contribuèrent à l’admiration qu’il ressentit pour
l’île.
Les oeuvres magnifiques de l’archiduc à Majorque furent faites avec la
collaboration morale et matérielle de son secrétaire et restent comme
un splendide souvenir de son amour et de son intérêt pour cette île. Il
reste également les fils d’une paysanne très belle qui a hérité du nom
du secrétaire et de lui sa fortune. Cétait son complément.
L’archiduc qui nétait pas satisfait de la table qu’il avait dans son
bureau, en imagina une qui lui permît détendre tous ses papiers et de
les avoir tous à portée de la main et de la vue. Elle était ronde et
vide au centre ; il y entrait par une planche volante, comme celle des
comptoirs dans les boutiques et, s’asseyant dans un fauteuil tournant,
il pouvait ainsi atteindre facilement tous les secteurs de cette table
originale.
Je penche à croire qu’en outre du côté pratique de cette idée, il obéit
à un désir subconscient de s’isoler encore davantage, de se défendre
contre les tristes souvenirs qui l’assaillaient, imaginant que s’entourant
complètement de livres, de cartes, de feuillets,etc, comme d’un fossé profond, ces
souvenirs ne pourraient parvenir jusqu’à lui.
Et tournant docilement autour de sa table, son secrétaire était là
comme le satellite de cette hypothétique Saturne, comme le complément
indispensable de cette image astronomique.
in Vicomte de Güell, D’Alphonse XII à Tut-Ank-Ammon, 1931, pages 89 à 93
NB : L’archiduc Louis Salvator, né à Florence le 04 08 1847, était propriétaire
du 58ème régiment d’infanterie, membre honoraire de l’académie impériale des
sciences et de l’académie des sciences de Bohême, chevalier de l’ordre de la
Toison d’Or etc.. décéda le 12 10 1915 à Brandeis sur l’Elbe
Francine du Canada
14 août 2014 @ 14:50
Dominique Charenton, c’est trop beau et c’est surtout trop triste ça… et voilà que je pleure. Qui avait porté cette bague au petit brillant… sinon la cousine Mathilde? Merci et mes amitiés, FdC
Gérard
14 août 2014 @ 14:57
Merci Dominique pour cette citation. La villa qui permettait d’arriver à la mer était celle qui est aujourd’hui la propriété de Michael Douglas, S’Estaca, de laquelle en effet par un petit chemin très pentu on arrive jusqu’à la calanque où l’on peut tirer les barques.
Gérard
14 août 2014 @ 18:31
Le 30 mars 1867 Louis Salvador était devenu propriétaire du 58e régiment d’infanterie impériale et royale qui dès lors porta son nom. Peu de semaines après la mort de l’archiduchesse Mathilde il demanda et obtint de l’empereur François-Joseph une autorisation d’absence pour raison de santé et pour travaux scientifiques et c’est alors que pour la première fois il se rendit, sous le nom de Ludwig comte Neudorf, aux îles Baléares avec son chambellan et professeur Eugenio, baron Sforza (1820-1894).
Louis Salvador mourut dans son château tchèque de Brandýs, il y aura bientôt un siècle, le 12 octobre 1915, à la suite d’une opération à la jambe consécutive à l’éléphantiasis dont il souffrait depuis l’un de ses voyages. On imagine que ce centenaire sera commémoré comme il se doit à Majorque où il demeure très populaire.
Il avait donc légué la plupart de ses biens à son secrétaire ce qui ne fut pas su immédiatement, le testament était resté enfermé dans le navire de l’archiduc et ne fut ouvert et lu qu’en 1916 à l’ambassade d’Autriche à Madrid. Antonio Vives en accord avec ses enfants (tous ont eu depuis dans leurs prénoms ceux de l’archiduc et celui-ci considérait ces enfants comme les siens), conserva les biens majorquins mais il vendit en 1917 le château de Brandýs, à l’empereur Charles Ier, pour 8 millions de couronnes autrichiennes, et Antonio Vives mourut peu après à Brandýs et est inhumé dans le cimetière local. Le château a été confisqué en 1919 aux Habsbourg par l’État tchèque. Il est aujourd’hui en grande partie un musée consacré aux collections de Louis Salvator.
bianca
14 août 2014 @ 19:18
Merci beaucoup Dominique Charenton de conter cette histoire fort triste et de nous faire admirer ces lieux paradisiaques, dommage, cette propriété privée ne peut sans doute pas être visitée. Très cordialemet.
brigitte et christian
15 août 2014 @ 14:23
bonjour à tous
voila des commentaires dus à Dominique et Gérard qui méritent remerciement pour l’intérêt qu’ils présentent et montrent que sur le site nous avons de vrais érudits
merci
amitiés du sud ouest sous un ciel mitigé
Gérard
15 août 2014 @ 16:00
Que vous êtes gentils Brigitte et Christian et indulgents !
J’ai toujours beaucoup de plaisir à vous lire pour votre intelligence et votre sagesse et pour comme dirait l’un de nos amis le beau couple que vous formez. Amitiés de Provence où un petit mistral nous a ramené le soleil après quelques trombes d’eau avant hier. Joyeuse fête de l’Assomption.