Voilà une occasion de découvrir un personnage marquant de la Russie impériale et de la famille Romanov, probablement très largement méconnu du grand public. La biographie de Jean-Paul Besse « Le grand-duc Nicolas, tsar ou régent ? » vous permettra de (re)découvrir le destin brillant et militaire de Nicolas Nicolaievitch (1856-1929).
L’auteur Jean-Paul Besse a déjà à son actif des biographies consacrées à Elisabeth Feodorovna, d’Ileana de Roumanie ou l’amrial Horty. Il a voulu rendre justice au grand-duc Nicolas, dont la stratégie en 1914 sauva la France. Agrégé et docteur en histoire, spécialiste de l’Europe centrale et orientale, il a été professeur invité des universités serbes et de Nijni Novgorod.
Le grand-duc Nicolas est le petit-fils du tsar Nicolas I et l’oncle du dernier tsar Nicolas II. Son père le grand-duc Nicolas senior (1831-1881) est le héros de la guerre russo-ottomane et sa mère la grande-duchesse Alexandra d’Oldenburg, canonisée après une vie de piété exemplaire en Sainte Anastasie de Kiev.
Brillant militaire, il a la reconnaissance de ses hommes. Francophile, il admirait le général Joffre et était proche du président Poincaré.
Il épousa à Yalta en 1907 la princesse Anastasie de Monténégro dite Stana (1868-1935). Son frère le grand-duc Pierre avait épousé la princesse Militsa de Monténégro (1866-1951) avec qui il eut une descendance. Les deux frères avaient donc épousé deux sœurs, princesses de Monténégro, filles du roi Nicolas I. Stana avait été mariée en premières noces avec le duc George de Leuchtenberg dont elle avait divorcé en 1906.
Les deux princesses très portées sur l’occultisme, étaient tombées sous le charme de Raspoutine. C’est par leur entremise qu’il pénétra dans le cercle impérial jusqu’à arriver auprès du tsar Nicolas II et de la tsarine Alexandra qui lui vouèrent une confiance absolue, lui qui parvenait « miraculeusement » à apaiser les crises de leur fils hémophile le tsarévitch Alexei.
Le tsar Alexandre III et la tsarine Marie Feodorovna ne cachaient pas leurs inquiétudes quant à l’aptitude de leur fils aîné à diriger un jour l’empire. Son désir de se marier avec la grande-duchesse Alix de Hesse, réputée « fragile », ne les rassura point mais ils cédèrent. Le mariage fut certes heureux mais la maladie de leur fils unique, les coupa très certainement de toute une série de réalités. Nicolas II était un homme bon comme on le dit mais qui n’était pas capable de trancher, de décider surtout en période de crise, de guerre.
Son oncle le grand-duc Nicolas dit Nicolacha, était quant à lui l’homme de la situation. C’est sous son impulsion que Nicolas II lâcha la première constitution en 1905. Le grand-duc avait coupé les ponts avec Raspoutine et tenta en vain d’ouvrir les yeux de son neveu. Commandant suprême de l’armée de 1914 à 1915, il fut remercié par le tsar, victime de complots divers, de rivaux en mal de pouvoir mais aussi de l’influence certaine de Raspoutine. Nicolas II se substitua à son oncle, sans en atteindre la hauteur. Nicolacha avait envahi au cours de l’été 1914 la Prusse orientale et la Galicie, ce qui protégea la France.
Envoyé dans le Caucase, il en devint le vice-roi. L’idée que le grand-duc prenne la place de son neveu avait déjà été réfléchie par certains avant le conflit de 1914. En 1916, il tente encore en vain de faire comprendre la situation désastreuse du pays à son neveu et l’absolue nécessité de changer son entourage et de prendre des mesures fortes. Nicolas II pleure dans les bras de son oncle…
Lors de son acte d’abdication, pour lui-même et son fils le jeune Alexei, Nicolas II confie le trône à son frère le grand-duc Michel qui y renonce dès le lendemain. L’homme de la situation aurait probablement été le grand-duc Nicolas que certains appelaient Nicolas III mais il était déjà trop tard pour renverser le souffle de la révolution. Nicolacha se réfugia en Crimée où il put prendre place à bord d’un bateau vers l’exil. Avec son frère le grand-duc Pierre, il avait compris que le roi George V d’Angleterre n’accepterait pas de les accueillir. Ils firent alors le choix de se tourner vers le roi d’Italie, marié à Elena de Monténégro, sœur de leurs épouses.
Sur le navire britannique Marlborough où ils prirent place avec d’autres membres de la famille dont l’impératrice douairière, se trouvait le prince Youssoupov (qui participa à l’assassinat de Raspoutine) qui avait réussi à cacher avec lui deux Rembrandt. On comptait aussi plus de deux tonnes de bagages de ces princes pour l’exil.
Il fut décidé après de nombreux échanges de télégrammes avec Londres que l’impératrice douairière serait tolérée pour un séjour temporaire. A Malte (territoire anglais), on l’installa provisoirement au palais San Anton tandis que les grands-ducs Nicolas et Pierre avec leurs épouses prenaient un autre bateau en direction de Gênes.
Après un séjour à Rome, il fut décidé de s’établir en France. Une communauté russe importante avait pris ses quartiers sur la Côte d’Azur. A Cannes, Nice et Menton, la famille impériale avait fait ériger des églises orthodoxes.
Après avoir vécu en location, le grand-duc Nicolas et son épouse la grande-duchesse Stana devinrent les propriétaires de la villa Thénard à Antibes, appelée aujourd’hui château d’Algarve au cœur d’un vaste parc qui domine la Méditerranée. Il se situe encore aujourd’hui au n° 66 boulevard du Cap au Cap d’Antibes, près du jardin botanique et des roseraies Meilland.
Vu que l’émigration russe s’était principalement installée dans la région de Paris, le couple acheta ensuite le manoir de Choigny en Seine et Oise. Le grand-duc Pierre resta quant à lui à Antibes.
Alors que le grand-duc Kirill, fils du grand-duc Wladimir, frère cadet du tsar Alexandre III, installé en son manoir de Saint-Briac en Bretagne s’était proclamé « successeur des tsars », les voix ne tardèrent pas à s’élever pour lui contester formellement ce rang. L’impératrice douairière fut l’une des premières à réagir, le grand-duc Nicolas suivit, estimant qu’une solution quant à la continuité de la dynastie ne pourrait être tranchée que sur sol russe.
Le grand-duc qui était resté militaire dans l’âme, dut faire face aux dissensions au sein du mouvement des Russes blancs en exil. En novembre 1928, il était épuisé et avait contracté une bronchite. Il fut décidé de retourner à Antibes où son frère le grand-duc Pierre était resté, souffrant de tuberculose. Le grand-duc Nicolas rendit son dernier souffle le 5 janvier 1929.
Trois jours et trois nuits de prières s’en suivirent. Parmi les personnalités à s’incliner sur sa dépouille l’écrivain Ivan Bounine qui reçut plus tard le Prix Nobel de littérature. Son épouse raconte qu’il en revint terriblement bouleversé car il avait eu le sentiment d’enterrer la vieille Russie.
Les funérailles du grand-duc eurent lieu le 8 janvier 1929. Le duc de Gênes représentait la Cour royale d’Italie où un grand deuil de 30 jours avait été décrété, le Maréchal Pétain que le grand-duc avait bien connu représentait la France. Le grand-duc reposait dans son cercueil, vêtu de l’uniforme des cosaques du Caucase.
Le lendemain, en l’église Saint Michel Archange à Cannes, eut lieu le requiem. Il fut inhumé dans la crypte. En 2015 à la demande du gouvernement russe, les dépouilles du grand-duc Nicolas et de la grande-duchesse Stana furent transférées de Cannes vers l’église du monastère de Donskoï à Moscou.
« Le grand-duc Nicolas, tsar ou régent ? », Jean-Paul Besse, Via Romana, 2018, 340 p.
Pascal
11 mars 2019 @ 12:01
Cet article me paraît excellent .
Merci Régine de ce beau travail .
Comme on peut le voir sur les documents cinématographiques le grand duc était un géant et sa prestance était remarquable mais je crois qu’il était le cousin de Nicolas II et non son oncle comme l’affirme Wikipédia .
Il révisa si bien son jugement sur Raspoutine que lorsque celui ci émit le désir de visiter le quartier général dont il était encore le généralissime il répondit : » s’il vient je le ferai pendre » .
Régine
11 mars 2019 @ 12:29
Nicolas II et le grand-duc Nicolas sont tous les deux des descendants du tsar Nicolas I
olivier kell
12 mars 2019 @ 07:39
oui ils étaient cousins
Le grand duc était le cousin germain duTsar Alexandre III père du Tsar Nicolas II
Jean Pierre
11 mars 2019 @ 12:52
La famille impériale russe a vraiment éclaté, pour les membres qui survécurent, après 1918. Cannes, Antibes, Paris, Palm Beach, Bretagne, Madrid, Sydney.
J’oublie Contrexeville…misère !
Jérôme
11 mars 2019 @ 12:55
Nicolas Nicolaïevitch (1856-1929) était très précisément cousin germain d’Alexandre III, père de Nicolas II.
Pauline de Roby
11 mars 2019 @ 13:06
Très intéressante présentation d’un personnage phare de l’entourage du dernier tsar.
Ghislaine-Perrynn
11 mars 2019 @ 14:12
Passionnant et St Briac est restée jusqu’à un passé récent , une petite terre de Russie , la grande-duchesse Maria de Russie est revenue , avec une certaine émotion , accompagnée du grand-duc son fils en ces lieux (2015) où ses parents et elle-même habitèrent pendant des décennies .
Des personnalités sympathiques , proches des habitants . Regrettés .
mousseline
11 mars 2019 @ 16:33
un très bel article, merci beaucoup Régine
MARIA EDITE DOMINGUES FILIPE
11 mars 2019 @ 22:14
« Villa Thénard à Antibes, appelée aujourd’hui château d’Algarve »: chère Regine, est-ce que quelqu’un peut me dire pourquoi on l’appelle « château d’Algarve », une des provinces du Portugal??? Merci!
Caroline
11 mars 2019 @ 22:55
Ce livre doit être passionnant à lire. N’ avait-il pas de descendants ?
Merci à l’ écrivain Jean-Paul Besse !
Corsica
12 mars 2019 @ 19:38
La villa Thénard avait été construite par le baron Louis-Jacques Thenard, inventeur du bleu cobalt, cher à la Manufacture de Sèvres, et qui était la bête noire de Victor Hugo car il s’opposait à une réduction de six heures du temps de travail journalier des enfants ( 10 heures au lieu de 16…). D’où le nom de Thénardier donné à l’aubergiste exploiteur de Cosette dans les Misérables. Je pense qu’elle est devenue villa Algarve lorsque un un promoteur l’a divisée en appartements.