L’Egypte des pharaons, l’Egypte des aventures d’Agatha Christie, toute cette atmosphère particulière des rues bouillonnantes du Caire fin du 19ème siècle, début du 20ème, génère pour ceux qui ont eu la chance de visiter un jour la capitale égyptienne avant les changements politiques de ces dernières années, une nostalgie indéfinissable à la lecture de l’ouvrage d’Amélie d’Arschot Schoonhoven « Le Roman d’Héliopolis ».
Héliopolis, la « ville du soleil » fut construite en 1905 près du Caire à l’initiative du baron Edouard Empain et Boghos Nubar Pacha, fils de l’ancien Premier Ministre égyptien.
Deux hommes visionnaires qui ont imaginé la ville de leurs rêves : avec des bâtiments alignés sur de larges avenues boisées s’inspirant du style haussmannien parisien, des palais, des villas mais aussi des appartements dont l’architecture des façades étaient un mélange entre Europe et Orient sans oublier l’hôtel alors présenté comme le plus confortable du monde le « Palace Hôtel » doté de 300 chambres avec bain privé, ainsi qu’un Luna Park en guise d’attractions.
Les deux hommes avaient imaginé cette ville avec des normes de sécurité pionnières (les maisons étaient en béton afin de ne pas brûler), eau courante et éclairage public ainsi que d’hygiène avec un réseau d’égouttage.
Grâce à la création d’une ligne de tramway reliant le Caire à Héliopolis, les habitants de la capitale se pressent pour aller prendre un thé aux élégantes terrasses d’Héliopolis.
Edouard Empain né à Beloeil en province de Hainaut en 1852, fut titré baron en 1907 par le roi des Belges, Léopold II avec qui il entretint des relations de grande confiance, tous deux visionnaires et toujours à la pointe que pour porter le plus haut possible les intérêts de la Belgique. Le baron Empain fut notamment à la manœuvre pour la création du métro de Paris en 1900.
Amélie d’Arschot Schoonhoven est descendante de Boghos Nubar Pacha par sa fille Eva qui épousa le comte Guillaume d’Arschot Schoonhoven, diplomate belge. Ils sont ses grands-parents.
L’auteure nous fait voyage dans cette période charnière entre les deux siècles où toutes les entreprises si démesurées pouvaient-elles paraître, étaient possibles. L’édification d’Héliopolis avec en toile de fond l’exposition universelle de Paris et l’évolution politique de la Région.
A Héliopolis, c’était un art de vivre autrement. Les premiers habitants furent des Egyptiens coptes, des Libanais et Syriens, des Arméniens (Boghos Nubar Pacha était d’Arménie), des Grecs et des expatriés européens. On y parlait le français.
Le baron Empain se fit ériger un palais mi-hindou mi-asiatique qui n’est pas sans rappeler les temples d’Angkor. Le roi Albert I et la reine Elisabeth en visite privée en Egypte en 1911 tombèrent sous le charme.
Ne se sentant plus en sécurité en raison des remous au sein de l’empire ottoman, Boghos Nubar Pacha s’installa avec sa famille à Paris où il mourut en 1930, ayant largement aidé la diaspora arménienne.
Le baron Edouard Empain est mort en 1929 à Woluwé Saint Lambert à Bruxelles. Conformément à ses dernières volontés, il fut inhumé quelques mois plus tard dans la basilique qu’il avait fait construire à Héliopolis. Car Héliopolis c’était aussi un lieu où les religions se côtoyaient en harmonie entre mosquée, églises et synagogue.
Le parfum de cette douce nostalgie d’un temps où il faisait bon vivre loin de toutes les menaces, les tumultes et les insécurités, est très palpable tout au long de ce livre roman. L’auteure très bien documentée, a versé dans le roman que pour rendre ses personnages plus vivants et plus attachants mais la ligne historique est quant à elle très rigoureuse.
Le baron Edouard Empain fut donc inhumé dans « sa » basilique. Des funérailles dignes d’un chef d’Etat en présence de sa veuve Jeanne épousée après une vingtaine d’années et mère de ses deux fils qu’il reconnut aussi. Le baron Edouard Empain est le grand-père paternel d’un autre baron Edouard Empain, devenue tristement célèbre malgré lui en étant kidnappé en 1979.
Qu’est devenue la ville d’Héliopolis ? Après 1952 et la période de Nasser, son bâti s’est progressivement détérioré faute d’entretien. Elle est désormais englobée dans la ville du Caire en raison de l’essor démographique. Des palais ont été transformés en école, le luxueux Palace Hôtel est devenu le Palais présidentiel.
Sans en dévoiler davantage, relevons cette phrase de l’auteure : « Les anciens habitants ont la mémoire de la magie passée, ce qui leur permet de regarder les avenues et les maisons avec leurs yeux d’autrefois encore imprégnés de cet indéfinissable aspect merveilleux de la ville du Soleil ».
« Le roman d’Héliopolis », Amélie d’Arschot Schoonhoven, Editions Avant-propos, 2017, 208 p., 20 €
robespierre
21 août 2017 @ 07:41
Ce livre a l’air intéressant. J’aime lire même en romans, des récits qui évoquent la douceur de vivre dans cette Egypte francophone où toutes les religions vivaient en paix les une avec les autres. L’influence anglaise qui par la suite a prédominé dans cette société au XXe Sièce est due à la bêtise d’un cabinet ministériel de la jeune Republique française. Le Khedive, fauché, proposa à la France de racheter ses parts du Canal de Suez. La France refusa et l’Angleterre qui n’avait pas présidé à la création du Canal et s’en était désintéressée racheta les actions et ensuite, voulant « protéger » l’Egypte finit par faire la pluie et le beau temps dans ce pays, avec un souverain fantoche. Rappelons, que ce n’est qu’après la chute du roi Farouk en 1952 que l’islam devint religion d’Etat.
La France qui avait raté le coche avec les antiquités egyptiennes qu’elle ne voulut pas acheter ( et qui font la gloire du Musée Egyptien de Turin) continua avec les parts du Canal. Qu’on m’excuse pour le raccourci, mais en gros, c’est ainsi.
robespierre
22 août 2017 @ 09:29
Les raccourcis n’empêchent pas quelques précisions. C’est en 1874-75 que celui que j’appelle Khedive mais qui etait plutôt vice-roi d’Egypte vendit ses parts à l’Angleterre, soit 44 % ce qui fit des Anglais le premier actionnaire de la Compagnie de Suez
Je ne me rappelle pas quel ministre de la IIIe République fit pencher la balance pour refuser cet achat pour la France.
Anais
21 août 2017 @ 10:11
Je suis allée au Caire mais je n’ai pas vu Héliopolis, c’est un regret.Je vais me procurer le livre car le sujet m’intéresse fortement.
Quel est le lien de parenté entre l’auteure Amélie d’Arschot Schoonhoven et Ghislaine d’Arschot Schoonhoven qui a écrit un ouvrage sur l’archiduchesse Elisabeth d’Autriche, fille de l’archiduc Rodolphe et de la princesse Stéphanie de Belgique ?
Margaux ?
21 août 2017 @ 22:29
Ghislaine d’Arschot-Schoonhoven est la tante d’Amélie d’Arschot-Schoonhoven (fille de Philippe d’Arschot-Schoonhoven et Roberte de Mun). ?
Vinciane
21 août 2017 @ 10:14
Voilà un sujet qui m’intéresse. J’avais en effet déjà entendu parlé de cette ville construite près du Caire par Empain. J’imagine qu’aujourd’hui elle ne doit plus ressembler à grand chose et que les promoteurs immobiliers auront arrangé cela au goût du jour…
Heloise
21 août 2017 @ 10:55
Merci pour cette présentation de ce livre-roman. Qu’est devenue la ville de Héliopolis en 2017 ?
Corsica
21 août 2017 @ 12:34
Cette ville a été absorbée par l’expansion désordonnée du Caire et est devenue un quartier pour personnes de la classe moyenne ou aisée. Il y a beaucoup de grands buildings, des ministères, des fonctionnaires et beaucoup d’expatriés. Comme c’est souvent le cas en Égypte, un certain nombre des constructions d’origine, qui ont résisté au pic des démolisseurs, ont été dénaturées par la construction d’étages supplémentaires mais il y a encore quelques beaux restes de ce projet. Il est facile de s’en rendre compte car Heliopolis étant située près de l’aéroport, il y a beaucoup d’hôtels où logent des touristes, des congresssistes.
Margaux ?
21 août 2017 @ 22:31
La réponse est dans l’article.
« Après 1952 et la période de Nasser, (le) bâti (de la ville d’Héliopolis) s’est progressivement détérioré faute d’entretien. Elle est désormais englobée dans la ville du Caire en raison de l’essor démographique. Des palais ont été transformés en école, le luxueux Palace Hôtel est devenu le Palais présidentiel. »
Ceci n’a pas grandement changé depuis la dernière révolution. ?
Claudia
22 août 2017 @ 15:10
Je suis allée à Héliopolis il y a 25 ans environ (l’une de mes grand-tantes y vivait) et c’était encore la banlieue « chic » du Caire avec pavillons, espaces fleuris, etc, et était encore pour la plupart habitée par des chrétiens francophones. La situation a dû pas mal changer depuis, vu les événements et la démographie…,
Mary
21 août 2017 @ 23:09
Hosannah !
DEB
22 août 2017 @ 06:51
J’ai relu le passage consacré au baron ambitieux, ingénieux et audacieux qu’était Édouard Empain dans le livre « Les barons Empain » d’Yvon Toussaint (Fayard 1996).
Il y parle bien du partenariat entre Bogos Nubar Pacha et Empain et des difficultés innombrables qu’ils rencontrèrent pour édifier Héliopolis.
Empain dû soigner, pendant deux ans en Belgique, une fièvre de Malte ( brucellose) qu’il avait contractée à Héliopolis. Il a été supposé q’un yaourt préparé par son valet de chambre et composé d’un mélange de lait de chèvre et de lait de vache l’aurait contaminé.
Le baron Empain ne reviendra qu’une seule fois en Egypte, en 1927, deux ans avant sa mort.
Il avait fait ériger une basilique, au clocher sans cloches car il trouvait Le Caire trop bruyant, et c’est dans la crypte de celle-ci qu’il a demandé à être inhumé.
On se demande si le choix de construire une basilique ne vient pas du fait qu’enfant il a vécu , pendant 3 ans (1860 à 1863) à Tongres-notre-dame, modeste localité près de Belœil où son père fut instituteur, et qui possédait la plus petite basilique de Belgique.