Le livre ne sortira que le 3 mai 2018 chez Albin Michel, mais la signature de Catherine Hermary-Vieille, digne héritière d’Alexandre Dumas, augure un roman de bonne facture. L’écrivain se glisse dans la peau du chevalier d’Eon sur 352 pages. Et quel personnage insolite et énigmatique de l’Histoire que ce chevalier là !
Diplomate, officier, redoutable bretteur, cavalier hors pair ou femme séduisante, intrigante, émissaire clandestine du roi Louis XV ? Un homme désirant être une femme, une femme virile, un travesti ? L’énigme du chevalier d’Eon demeure et fascine toujours autant. En tout cas, la figure ambigüe du plus célèbre agent secret de l’Histoire aura décidemment fait couler beaucoup d’encre…
framboiz 07
11 avril 2018 @ 03:57
Un personnage des mots croisés …
DEB
11 avril 2018 @ 05:49
Finalement sa mémoire est surtout restée chez les cruciverbistes ? !
clementine1
11 avril 2018 @ 06:47
il y a beaucoup de choses que j’attends dans … quelque temps donc le 3 mai c’est après demain ! Bien sûr j’ai hâte de lire ce livre.
Robespierre
11 avril 2018 @ 09:09
Aucun mystère. Tout le monde sait qu’à sa mort quand Eon ou Eonne fut ausculté(e) ou autopsié, le medecin constata la présence d’attributs virils incontestables.
Gatienne
11 avril 2018 @ 11:26
…Avec quelques caractéristiques féminines, tout de même, dont une poitrine plus développée que la norme masculine !
Christian
11 avril 2018 @ 13:11
Ah bon ?
Pourtant, le docteur Copeland, chirurgien qui examina le corps d’Eon, écrit ceci : « Par la présente, je certifie que j’ai examiné et disséqué le corps du chevalier d’Éon en présence de M. Adair, de M. Wilson, du père Élysée et que j’ai trouvé sur ce corps les organes mâles de la génération parfaitement formés sous tous les rapports » ; puis le lendemain, il précise : « En conséquence de la note des personnes nommées ci-dessus, j’ai examiné le corps, qui était du sexe masculin. » Il n’est pas question de poitrine.
Les seuls à avoir trouvé des formes féminines au chevalier d’Eon, sont les médecins qui l’examinèrent à la demande de Louis XV et après que l’intéressé ait répondu, sur sommation du roi, qu’il était une femme. Le chevalier refusa de se dévêtir pour examen « corps nu », alors les médecins se contentèrent de faire des palpations à travers les vêtements et conclurent donc qu’il s’agissait d’une femme. Le travestissement étant déjà courant à l’époque, l’art de passer d’une illusion à une autre l’étant également, nous pouvons imaginer que le chevalier s’était agrémenté d’artifices, rappelant les formes féminines et conduisant les médecins à la conclusion qui fut la leur.
Les recherches menées au XXème siècle sur les documents afférant à la vie du chevalier, ont conclu qu’il s’agissait sans doute d’un homme tout ce qu’il y a de plus normal, non d’un hermaphrodite comme d’autant avait pu le penser à une époque. Le travestissement semble d’ailleurs plus voué à moquer la France et son roi, ayant porté quelques atteintes morales au chevalier. Au final, Eon fut pris à son propre jeu puisque décrété femme lors du premier examen (et unique de son vivant), alors qu’il ne l’était pas (ce que révéla le second examen post mortem) ; plusieurs fois, il repris l’uniforme des dragons du roi, auxquels il avait appartenu en tant qu’homme et officier. C’est la raison de son arrestation puis de son internement dans sa propriété de Tonnerre, qu’il ne quittera qu’en 1783 pour revenir à Paris, puis regagner Londres (1785) où quelque peu ruiné mais célèbre, il mourut grabataire en 1810.
Gatienne
12 avril 2018 @ 12:34
On a parlé,à propos du chevalier d’Eon, de syndrome de Klinefelter, ce qu’on ne connaissait pas à l’époque où l’autopsie fut réalisée.
Mais tout ne semble pas éclairci dans la mesure où un autre livre est publié qui aura bien une théorie à nous proposer !
Gatienne
12 avril 2018 @ 14:50
Au fait, sait-on si des recherches sérieuses furent menées sur le caryotype du chevalier, ce qui tendrait à dissiper toutes formes de légendes ?
Clément II
15 avril 2018 @ 15:32
Christian est sans doute plus compétent que moi en biologie mais, pour avoir connu une personne atteinte du syndrome de Klinefelter (trisomie sexuelle dans certaine littératures), ces personnes restent biologiquement de sexe masculin.
Je peux me tromper, toutefois cette maladie semble impliquer un tableau symptomatique variableé mais incluant toujours plusieurs symptômes qui, si l’on en croit la littérature sur le chevalier d’Éon, n’était pas présente chez ce dernier.
Cependant et comme vous le soulignez, cette pathologie n’était pas connue dans ce temps et naturellement, il restera un sérieux doute. Personnellement, je retiens que cela n’en aurait pas pour autant fait une femme au sens biologique – mais psychologiquement comme socialement, sans doute. ?
Leonor
11 avril 2018 @ 13:20
Ah oui, Robespierre et Gatienne ? J’savions point.
Baboula
11 avril 2018 @ 14:55
La gynécomastie est plus fréquente qu’on le croit . Ceux qui en sont atteints l’exhibent peu et moins encore au XVIIIeme siècle . Les seins sont un caractère sexuel secondaire qui ne détermine pas le sexe d’une personne ,qui l’agrémente comme les plumes de la roue du paon .
Muscate-Valeska de Lisabé
12 avril 2018 @ 09:31
Un être complexe et complet, donc^^. ;-)
Robespierre
11 avril 2018 @ 09:12
si je me souviens bien, ayant trop ou trop bien joué les espions en Angleterre, on lui offrit un marché : aucune poursuite s’il continuait à s’habiller en femme. En fait ce fut une obligation jusqu’à sa mort.
Christian
11 avril 2018 @ 13:13
Un examen médical avait conclu qu’il était une femme, apparemment les médecins ayant été dupés par un art de la transformation très abouti ; mais en effet, il semble que certains esprits ne furent pas trompés et tant l’Angleterre que la France s’accordèrent sur ce marché, le condamnant entre autre à demeurer vêtu en femme pour le reste de ses jours. Il a bien essayé d’inverser la vapeur mais il a toujours échoué. Il s’est pris à son propre piège.
Kalistéa
11 avril 2018 @ 09:38
On croit généralement que c’était un homme qui se déguisait en femme alors que c’est tout le contraire , c’était une fille qu’on avait fait passer pour un garçon afin d’hériter d’un oncle riche qui n’aurait laissé ses biens qu’à un garçon . mais sûrement mme Ermary-Vieille nous en dira plus .
Christian
11 avril 2018 @ 13:14
L’autopsie démontre bien qu’il s’agissait d’un homme.
Mayg
11 avril 2018 @ 13:44
Bien au contraire, il a été démonter suite à l’autopsie après sa mère, que c’était effectivement un homme.
Laure 2
12 avril 2018 @ 08:08
Pourtant son autopsie fut sans appel . Quel aurait été l’intérêt de la Faculté de le faire passer pour une femme ?
Muscate-Valeska de Lisabé
12 avril 2018 @ 09:34
Kali,j’espère que vous êtes certaine de ce que vous avancez,parce que ce n’est pas ce qui est écrit plus haut…qui dois-je croire,moi, l’inculte?
On attend le livre de Catherine Hermary pour avoir sa version,mais. ..est-elle certaine?^^
Ceci dit, j’aime cet auteur.
Kalistéa
12 avril 2018 @ 14:59
Ma « culture » remonte à un film qui fut tourné à la fin des années 50, et qui abondait dans le sens que je dis .Dans la réalité le chevalier d’Eon se battait fort bien à l’épée et dans le film on avait choisi l’actrice Andrée Debar (qui incarna aussi la très féminine Eva Péron dont elle était le sosie) pour l’incarner car elle était une ancienne championne d’escrime .Mais Andrée Debar en robe de cour « à la française », devant Catherine de Russie était également splendide! Pour le reste , les lectures que je faisais dans « Historia » laissaient une grande place au doute, aussi bien dans un sens que dans l’autre .J’ai même lu qu’il s’agissait d’un hermaphrodite!
Muscate-Valeska de Lisabé
13 avril 2018 @ 17:53
Merci Kali.
Alinéas
11 avril 2018 @ 10:02
Voilà, un livre que je ne vais pas manquer d’acheter..!
Caroline
11 avril 2018 @ 23:08
Alinéas,
Ce livre à suspense a donc piqué votre curiosité ! Bonne lecture !
Gatienne
11 avril 2018 @ 10:16
Voltaire prophétisait qu’il serait « un beau problème pour l’histoire. »
Des l’instant où le personnage inspira des dizaines et des dizaines d’auteurs, une série de manga et Mylène Farmer, elle-même, on ne voit pas pourquoi Catherine Hermary-Vieille, la championne des ventes de biographies historiques romancées, ne s’emparerait pas de la question ;-)
Leonor
11 avril 2018 @ 13:24
Que peut-on encore raconter sur le sujet ?
Le bouquins de Madame H-V. ne sont pas désagréables à lire, un jour de vacances sous le parasol (?) , mais ça s’arrête là. En tout cas, elle n’est pas historienne, ni professionnelle ni même autodidacte sérieuse. Donc … on parcourra ça un jour quand on le trouvera dans une quelconque bibliothèque au rayon Loisirs.
Marcel
12 avril 2018 @ 17:50
Charles-Geneviève-Louis-Auguste-André-Timothée d’Éon de Beaumont, dit « chevalier d’Éon » (5 octobre 1728, hôtel d’Uzès de Tonnerre (Yonne) – 21 mai 1810, Londres) est un diplomate, un espion, un officier et un homme de lettres français.
Il est resté célèbre pour son goût prononcé pour le travestissement. Cela peut expliquer que l’on présente encore dans certains écrits son identité sexuelle comme une énigme historique. En réalité, l’ambiguïté est levée à sa mort quand un collège de médecins peut constater à l’autopsie qu’il était doté d’attributs masculins normalement constitués… même si un autre examen, effectué non dévêtu de son vivant, était arrivé à la conclusion opposée.
Il a joué un rôle important dans la diplomatie officielle et surtout parallèle de Louis XV. Il a contribué à faire basculer la Russie dans le camp français au début de la guerre de Sept Ans. Puis, lors de son ambassade en Angleterre, il a élaboré, entre autres, un plan d’invasion du pays par la mer.
C’est l’un des personnages les plus brillants et les plus contradictoires du XVIIIe siècle : il vit habillé en homme pendant quarante-neuf ans et en femme pendant trente-deux ans. Il aime la fête et la bonne chère et il écrit des essais sur les sujets les plus rébarbatifs (par exemple : Mémoire sur l’utilité de la culture des mûriers et de l’éducation des vers à soie en France). Il risque sa vie pour la France et il tente de l’escroquer en divulguant des documents secrets.
Le père du futur chevalier d’Éon, Louis d’Éon de Beaumont, appartient à la noblesse de robe, il est avocat au Parlement de Paris. Il est aussi directeur des domaines viticoles du roi et il s’enrichit dans le commerce du vin. Sa mère, Françoise de Charanton est la fille d’un commissaire général des guerres aux armées d’Espagne et d’Italie. D’Éon raconte dans son autobiographie, Les Loisirs du chevalier d’Éon de Beaumont, qu’il est né « coiffé », c’est-à-dire couvert de membranes fœtales, tête et sexe cachés, et que le médecin de la ville a été incapable de déterminer son sexe.
Charles-Geneviève d’Éon né le 5, est baptisé le 7 octobre 17283 en l’église Notre-Dame de Tonnerre, petite ville bourguignonne dont son père est maire. Il y commence ses études, puis, en 1743, il s’installe à Paris chez son oncle, pour les poursuivre au prestigieux collège Mazarin5. Très bon élève il obtient un diplôme en droit civil et en droit canon en 1749 ; il a alors vingt et un ans. Tradition familiale oblige, il devient avocat au parlement de Paris le 22 août 1748. Il montre également des talents en équitation et encore plus en escrime. Il publie en 1753 Considérations historiques et politiques. L’ouvrage est remarqué. Par ailleurs, le jeune homme est brillant en société, il n’a pas de mal à se créer un réseau de relations, au nombre desquelles on trouve bientôt le prince de Conti, cousin du roi Louis XV, lequel le nomme censeur royal pour l’Histoire et les Belles-Lettres. Il est donc responsable de la censure royale : en France tout écrit concernant ces deux domaines doit recevoir son imprimatur avant d’être publié.
Charles-Geneviève d’Éon est recruté dans le « Secret du Roi ». Ce cabinet noir, créé par Louis XV, est considéré comme la première structure de services secrets vraiment organisée et pérenne en France. Elle mène une politique étrangère parallèle à la diplomatie officielle et parfois très différente de cette dernière. Les autres conseils royaux ignorent son existence, y compris celui des «affaires étrangères». Les pays étrangers aussi évidemment. Le chevalier d’Éon est donc considéré comme un des premiers espions français. Ces agents ont toute latitude pour arriver à leurs fins par les moyens de leur choix même s’ils sont illégaux. Le cabinet est dirigé par le prince de Conti puis par le comte de Broglie. En font partie notamment le maréchal de Noailles, Vergennes, Breteuil, Beaumarchais.
Selon certaines sources (très discutées), d’Éon est recruté dans le service secret par le roi lui-même, qui le rencontre dans un bal costumé déguisé en femme. Le monarque est séduit par cette jolie personne. Après avoir compris qu’il s’agit d’un homme, il pense qu’ainsi déguisé, il pourrait approcher la tsarine Elisabeth 1ère sans attirer sa méfiance. On est en juin 1756, la guerre de Sept Ans commence. Sa mission : convaincre la souveraine de faire alliance avec la France. Sous le nom de Lia de Beaumont, il parvient à l’approcher, il devient sa lectrice et parvient à plaider la cause française à la cour de Russie plus efficacement que les ambassadeurs officiels.
En fait il est plus probable qu’il ait été recruté par le prince de Conti et dépêché à la Cour de Russie comme secrétaire d’ambassade. À Saint-Pétersbourg, la tsarine donne des bals costumés où l’on inverse les rôles : les hommes doivent être vêtus en femmes et vice versa. D’Éon prend sans doute plaisir à se travestir, son apparence androgyne (carrure étroite, absence de barbe) lui permet de mystifier tout le monde. D’Éon aime la fête, il est spirituel et sympathique, il devient rapidement l’ami de nombre de proches de la tsarine. C’est ainsi qu’il rallie petit à petit des conseillers anglophiles à la cause française alors que les diplomates français qui arrivent, sérieux et guindés, en délégations officielles, sont depuis des mois en butte à la méfiance et au rejet.
Il est de nouveau à Saint-Pétersbourg comme secrétaire d’ambassade de 1758 à 1760. Un autre traité d’alliance est signé, aussitôt le chevalier, à brides abattues, le rapporte au roi à Versailles, il devance de deux jours le courrier dépêché par la tsarine. Le roi aime les bonnes nouvelles, il le récompense en lui donnant un brevet de capitaine de dragons. Charles-Geneviève veut se battre pour son pays, il participe aux dernières campagnes de la guerre de Sept Ans, il y fait preuve de bravoure, il est blessé. Il quitte l’armée en 1762 pour redevenir agent secret1.
Procuration avec description du chevalier Charles d’Éon Beaumont, septembre 1762.
En 1762, Charles-Geneviève d’Éon est envoyé à Londres, où il collabore, en tant que « secrétaire de l’ambassade de France pour la conclusion de la paix générale » auprès de l’ambassadeur, le duc de Nivernais, à la rédaction du traité de paix de Paris, signé le 10 février 1763, qui clôt la guerre de Sept Ans. La France a été vaincue par l’Angleterre, celle-ci veut notamment s’emparer de l’essentiel de l’empire colonial français, il s’agit de conclure le traité le moins défavorable possible. Le chevalier va y contribuer. Lors d’un de ces repas très arrosés qu’il affectionne, il parvient à subtiliser pendant un moment, à un négociateur anglais un document contenant la liste des concessions maximales que son pays est disposé à faire12. Document infiniment précieux que Choiseul exploitera pour obtenir l’accord le moins douloureux qu’il soit pour la France. Le roi le récompense à nouveau, il est décoré de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, l’une des plus grandes distinctions du temps.
D’Éon est maintenant chargé par le Secret du Roi d’une mission délicate et on ne peu plus secrète : il s’agit, pour reprendre l’avantage sur l’ennemi anglais, d’élaborer un plan d’invasion de la Grande-Bretagne. Un débarquement surprise. Il reconnait les côtes avec le marquis Carlet de la Rozière. Il tient informé les plus hautes instances de l’avancement du projet dans des courriers secrets et codés. Le fait que ce soit à lui que le roi ait confié cette mission montre l’estime et la confiance qu’il a pour le chevalier.
Lorsque le duc de Nivernais, malade, retourne à Paris, il prend sa place par intérim. Aussitôt l’ambiance change à l’ambassade. Le nouveau maitre des lieux, y organise des réceptions fastueuses, tous les personnages qui comptent dans le royaume d’Angleterre y sont conviés et ils s’y pressent, on s’y amuse tant, le chevalier est si charmant… Si charmeur, c’est « la diplomatie façon d’Éon » (qui préfigure celle de Talleyrand) : n’avoir que des amis dans le camp ennemi. Le roi George III l’adore. Rappelons que, dans le même temps, d’Éon prépare une invasion de son pays. Mais à Paris on juge son train de vie par trop extravagant : 22 domestiques, une réception par jour, il dilapide en quelques mois le budget annuel de l’ambassade. Quand il demande qu’on augmente le dit budget, Choiseul, le tout puissant conseiller du roi, refuse. Pour la première fois, le chevalier est désavoué par le pouvoir royal.
Un nouvel ambassadeur, le comte de Guerchy, entre en fonctions, Charles-Geneviève d’Éon en devient le secrétaire en tant que ministre plénipotentiaire. Les deux hommes se détestent, ils se sont connus et opposés pendant la guerre de Sept Ans. Le chevalier méprise son supérieur. Deux clans se forment à l’ambassade de France et une guerre de libelles s’amorce.
Au cœur du conflit entre les deux hommes, il y a les plans d’invasion du pays. Louis XV a renoncé à ce projet. L’ambassadeur exige que le chevalier lui livre ces plans pour les détruire. D’Éon refuse… Tout au moins sans qu’il y ait une négociation… Et qu’un accord soit trouvé sur une rémunération spécifique pour un si bon travail sur un si judicieux projet. Pour le comte de Guerchy il est hors de question d’envisager la moindre négociation. Le pouvoir royal finit par trancher, le 4 novembre 1763, Louis XV déchoit le chevalier de ses fonctions à l’ambassade et demande son extradition aux autorités anglaises. Celles-ci n’y sont pas contraintes par leur législation, alors elles refusent : ce conflit entre les deux diplomates français qui s’étale au grand jour les ravit. Par provocation, d’Éon continue à se rendre à l’ambassade de France. En 1764, pour faire céder Guerchy et le roi, il n’hésite pas a exercer un audacieux chantage : il divulgue une partie de sa correspondance avec le pouvoir royal. Il ne va pas jusqu’à publier les courriers qui concernent précisément le débarquement mais la menace de le faire est sous-jacente.
Le chevalier estimait que le nouvel ambassadeur était incompétent, il a semble-t-il raison. Au lieu d’accepter de payer une modique «rançon» pour récupérer ce si précieux document, il s’enferme dans un refus qui met tout bonnement en péril le fragile équilibre politique et militaire entre les deux plus puissants pays d’Europe. Pour lui le chevalier est l’homme à abattre, par tous les moyens. Mais, hors les murs de l’ambassade, il n’a aucun droit et le chevalier s’abrite habilement derrière la police et la justice anglaises. Lors d’un procès, un témoin révèle que l’ambassadeur a tenté d’empoisonner son ex-secrétaire lors d’un repas. D’éon accuse également son ex-supérieur d’avoir essayé de le faire enlever. En septembre 1767, lors d’un autre procès, la justice anglaise donne raison au chevalier, qui reprend ses fonctions et perçoit à nouveau sa pension. Devant comparaître une nouvelle fois en justice alors qu’il n’a ni avocat ni témoins, il préfère disparaître. Il se déguise en femme et se réfugie chez un ami.
Satire du duel d’escrime entre « Monsieur de Saint-George et Mademoiselle la chevalière d’Éon de Beaumont » à Carlton House le 9 avril 1787. Gravure de Victor Marie Picot basée sur l’œuvre originale d’Alexandre-Auguste Robineau.
Peu à peu le conflit s’enlise et s’éteint, l’ambassadeur est accaparé par d’autres problèmes et le chevalier renonce à ses velléités de chantage. Alors comme il est en disgrâce, sans pouvoir ni fonction, on l’oublie. Voilà bien la pire des punitions : quand il ne peut plus briller, le chevalier d’Éon s’étiole. Alors, pensent de nombreux historiens, pour que les regards se tournent à nouveau vers lui, il a une idée : faire scandale en s’habillant en femme. Et, encore mieux : prétendre qu’il a toujours été une femme ! Le résultat ne se fait guère attendre, il se trouve à nouveau, et plus que jamais, au centre de toutes les attentions, de toutes les conversations. À l’ambassade de France on tente immédiatement de tirer parti de la «folie» du chevalier, elle alimente les arguments de Treyssac de Vergy et d’Ange Goudar, deux hommes de plume stipendiés.
Bientôt tout Londres bruisse de rumeurs, d’hypothèses contradictoires. D’Éon a-t-il simplement « perdu la tête » ou bien est-il réellement une femme ? Mais alors quelle mystification ! À moins qu’«il» ne soit hermaphrodite ? Dans les gazettes britanniques on voir fleurir des caricatures du chevalier qu’on baptise Épicène d’Éon. Les paris sur son sexe sont ouverts. Un procès entre deux parieurs se conclut après audition de divers (faux) témoins mais pas du chevalier par le verdict suivant : c’est une femme !
Louis XV a-t-il un doute lui aussi ? Quoi qu’il en soit, en 1774, il exige que Charles-Geneviève mette un terme aux rumeurs qui discréditent l’ambassade de France en indiquant une fois pour toutes son sexe véritable. Le chevalier répond par une déclaration dans laquelle il affirme solennellement être une femme. Cette attestation est validée par plusieurs médecins. Il semble que, le chevalier refusant de se dévêtir, ces médecins aient dû se contenter d’effectuer des palpations pour arrêter leur opinion16.
Ce n’est pas un hasard bien entendu si, pour « se faire remarquer », le chevalier a trouvé cette idée de « changement de sexe » (quel que soit celui qu’il avait à la naissance). À Paris et à Saint-Pétersbourg, il aimait déjà se travestir, lors de bals masqués en particulier. Avec l’âge sa préférence pour les tenues féminines va s’accentuer. Le chevalier d’Éon n’est vraisemblablement pas homosexuel ni bisexuel ou bien alors il est «abstinent» car on ne lui connait aucune aventure, un comble pour ce séducteur. On pense plus généralement qu’il est «uniquement» travesti, son plaisir sexuel, le travestisme, consiste simplement à s’habiller en femme. Il n’a pas besoin d’un partenaire sexuel, le regard des autres (ou le sien) lui suffit. Certains appellent ce penchant l’éonisme en référence à d’Éon
Mais, là, à Londres, soudainement, il annonce que lui, représentant du roi de France, n’est pas un homme mais une femme. Que cela soit vrai ou pas, pourquoi cette révélation fracassante et embarrassante pour la France ? Comment interpréter ce comportement ? Diverses lectures ont été proposées, psychologiques, voire psychiatriques («délire narcissique»). Ou plus politique : désir de se venger, de ridiculiser le pays qui l’a écarté puis a attenté à ses jours.
Les deux sans doute. En tout cas, lui qui a si bien servi son pays par le passé, ne pense plus qu’à lui nuire. À cette époque, il est en liaison avec le libelliste français Charles Théveneau de Morande, auteur des Mémoires de Madame du Barry. Il confie cette satire à d’Éon. Voilà donc un écrit sulfureux de plus en sa possession. En 1775, Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, dit Beaumarchais, est envoyé à Londres par le nouveau roi de France Louis XVI pour enfin récupérer tous ces documents, lettres, plans, libelles, etc. Après maintes péripéties, une transaction de plus de vingt pages est conclue. Elle stipule la remise de l’intégralité des documents sensibles. Par ailleurs le chevalier que la France considère désormais comme une femme ne devra plus jamais quitter ses vêtements féminins, il se fera désormais appeler Mlle Éon. En échange de quoi une rente viagère lui est accordée. Les négociations ont duré quatorze mois.
Quand la perspective d’un retour en France commence à se préciser, d’Éon renfile ses habits masculins. Mais, on l’a bien compris, le nouveau pouvoir royal ne l’entend pas ainsi. On ignore si c’est de la part de celui-ci une humiliation, une punition qu’il inflige au chevalier pour ses excentricités ou bien s’il pense qu’il est réellement une femme. Ce que font remarquer les historiens qui se sont penchés sur le travestissement dans l’histoire c’est que les femmes travesties ont été, pendant des siècles, beaucoup plus nombreuses que les hommes. Leurs motivations étaient rarement d’ordre sexuel, il s’agissait en général de femmes qui voulaient accéder à un métier ou à un statut que la condition féminine d’alors ne permettait pas d’envisager. Être soldat parfois… ou, pourquoi pas, diplomate ou bien «homme de lettres». Que, face à d’Éon et à sa silhouette androgyne, le nouveau roi (qui ne le connait pas) et le nouveau personnel politique qui l’entoure, opte (comme le tribunal londonien) pour la version la plus habituelle, la plus vraisemblable, cela n’aurait rien de surprenant.
Le chevalier d’Éon est donc pris à son propre piège, il est furieux, il quitte Londres le 13 août 1777 et se présente à la Cour dans sa tenue de capitaine de dragons. Une ordonnance prise le 27 août 1777 par le roi lui donne ordre « de quitter l’uniforme de dragons qu’elle continue à porter et de reprendre les habits de son sexe avec défense de paraître dans le royaume sous d’autres habillements que ceux convenables aux femmes Habillé par Rose Bertin aux frais de Marie-Antoinette, il est présenté à la Cour en robe à panier et corset le 23 novembre 1777. Pour défier à nouveau le pouvoir, le chevalier s’y tient le plus mal possible, il jure comme un charretier, etc. Il ne se « comporte pas avec la réserve due à une personne de son sexe » et, une fois de plus, il devient la coqueluche de la capitale.
En 1779, d’Éon veut participer à la guerre d’indépendance des États-Unis contre l’Angleterre au côté de Lafayette, alors il se rhabille en dragon. Là, le pouvoir royal sévit : arrêté le 20 mars 1779, il est exilé à Tonnerre où il se résout à s’occuper de son domaine familial.
Mémorial de Burdett-Coutts (en) à l’emplacement du cimetière de St Pancras Old Church.
Face sud du mémorial.
En 1783, le roi le laisse revenir à Paris. En novembre 1785, il regagne la Grande-Bretagne. À Londres il a la mauvaise surprise de découvrir que le propriétaire de son appartement lui réclame ses loyers impayés. Il ne bénéficie plus de sa rente, il n’a pas les moyens de le payer… sauf à se séparer de sa bibliothèque de 8 000 livres.
C’est à cette époque que se situe l’assaut d’armes entre le chevalier d’Éon et le chevalier de Saint-George, venu tout exprès en Angleterre. Cet assaut a lieu à Carlton House le 9 avril 1787 à la demande expresse du prince de Galles, Georges Auguste de Hanovre, futur George IV, dont on murmure qu’il est le fils du chevalier d’Éon. Tout ce que l’Angleterre possède de grands noms et de belles dames, y assiste.
Ce fut, en dépit des mondanités, un exploit sportif entre deux escrimeurs habitués à tirer ensemble dans la même salle. Malgré la gêne de ses vêtements de femme, d’Éon atteignit sept fois Saint-Georges et sa victoire consacra de la manière la plus brillante sa réputation d’escrimeur. Le tableau d’Alexandre-Auguste Robineau The fencing-match between the Chevalier de Saint-George and the Chevalier d’Éon fut réalisé, semble-t-il, à la demande du prince de Galles pour immortaliser l’événement.
D’Éon ne se désintéresse pas pour autant de ce qu’il se passe en France, il accueille favorablement la Révolution française, Il propose même à l’Assemblée nationale de constituer une unité d’Amazones. Il aurait donc cette fois été habillé en guerrière et non en dragon… si l’idée avait été retenue.
La déclaration de guerre du 1er février 1793 par la Convention à la Grande-Bretagne et aux Provinces-Unies et de lourdes dettes (en France aussi !) le contraignent à demeurer sur le sol britannique. Il y vit pauvrement. Pour subvenir à ses besoins il est contraint de participer à des combats d’escrime publics. Malgré ses soixante ans passés et ses habits féminins, ses extraordinaires talents d’escrimeur lui permettent de remporter la plupart des combats. En mai 1791, il doit se résoudre à se défaire de sa bibliothèque. Il continue, malgré son embonpoint, à se battre en duel jusqu’à l’âge de 68 ans.
Le 26 août 1796 à Southampton lors d’un grand assaut en public, il est grièvement blessé, le bouton du fleuret s’étant cassé sans qu’on s’en aperçoive à un pouce de l’extrémité ; la blessure dans le creux du bras droit s’étend sur près de 10 centimètres. Il est finalement recueilli le 31 décembre 1796 par Mary Cole, une française de son âge, veuve de William Cole, ingénieur de la marine royale anglaise.
Le 2 juin 1804, d’Éon et Mary Cole sont emprisonnés pour dettes. Libéré au bout de cinq mois, il signe un contrat pour publier son autobiographie mais il est frappé de paralysie à la suite d’une chute due à une attaque vasculaire. Il vivra encore quatre ans dans la misère, les deux dernières années comme grabataire avant de mourir à l’âge de 81 ans, le 21 mai 1810 à Londres (New-Wilman Street, no 26).
En effectuant la toilette mortuaire de la défunte, on découvre avec stupéfaction que cette vieille dame… est un homme. Le chirurgien M. Copeland accompagné de dix-sept témoins, membres de la Faculté médicale de la Grande-Bretagne déclare dans un rapport médico-légal, le 23 mai 1810 : « Par la présente, je certifie que j’ai examiné et disséqué le corps du chevalier d’Éon en présence de M. Adair, de M. Wilson, du père Élysée et que j’ai trouvé sur ce corps les organes mâles de la génération parfaitement formés sous tous les rapports »
Le chirurgien M. Copeland apporte même le lendemain cette précision : « En conséquence de la note des personnes nommées ci-dessus, j’ai examiné le corps, qui était du sexe masculin. Le dessin original a été fait par M. C. Turner, en ma présence ». Charles Turner grave simultanément une estampe du masque mortuaire.
Le chevalier d’Éon est inhumé le 28 mai au cimetière de St Pancras Old Church, église paroissiale de l’Église d’Angleterre qui fait partie à l’époque – cela ne s’invente pas – du comté du « Middlesex » avant d’être rattachée en 1889 jusqu’en 1965 au comté de Londres, remplacé depuis par le Grand Londres. Il laisse un testament olographe dans lequel il institue comme exécuteur testamentaire Sir Sydney Smith.
Ce testament est précédé d’un préambule portant en tête « Soli Deo Gloria et honor ». Il débute ainsi : « Mors mihi lucrum (en) » et se termine par ce quatrain lapidaire où, philosophiquement, et non sans quelque ironie, le chevalier dresse le bilan de ce qu’a été sa vie :
« Nu du ciel je suis descendu,
Et nu je suis sous cette pierre :
Donc pour avoir vécu sur cette terre,
Je n’ai ni gagné, ni perdu. »
Fermé aux sépultures en 1850, le cimetière de St Pancras Old Church où de nombreux catholiques et émigrés français ont été enterrés est désaffecté en 1865 en raison des travaux de la gare de Saint-Pancras, terminus des Midland Railway, puis rouvert comme parc public en juin 1877. La baronne Angela Burdett-Coutts fait alors construire un mémorial inauguré en 1879 qui porte depuis son nom (en). L’obélisque est érigé à la mémoire des personnes qui étaient enterrées près de l’église St Pancras Old Church et les noms de plus de soixante-dix d’entre elles y sont gravés, dont celui du chevalier d’Éon sur la face sud.
L’éonisme désigne l’inversion esthético-sexuelle correspondant au besoin qu’éprouvent certains hommes d’adopter des comportements vestimentaires ou sociaux socialement considérés comme féminins. Deux approches de l’éonisme prévalent : le psychologue Havelock Ellis considère que l’éonisme serait la première étape de l’inversion sexuelle, celle-ci s’exprimant symboliquement sur un plan vestimentaire. Le psychiatre Angelo Hesnard pense que l’éonisme est un moyen d’appropriation de l’image de la femme par le travestisme et peut conduire à une forme de perversion sexuelle. Dans certaines pratiques sexuelles, notamment le fétichisme, l’éonisme est un stimulant puissant. À ce titre, le chevalier d’Éon est considéré par la communauté LGBT comme le « saint patron des travestis ».
Pour expliquer son ambiguïté sexuelle sont évoqués également les syndromes de Kallmann, d’insensibilité aux androgènes, de Klinefelter ou de transvestisme.
British Museum
Le British Museum a mis en ligne une collection d’œuvres consacrée au chevalier d’Éon.
Portraits
Portrait du chevalier d’Éon
par Thomas Stewart (1792).
À la demande, semble-t-il, du prince de Galles, Georges Auguste de Hanovre, Alexandre-Auguste Robineau peint le tableau appartenant à la Royal Collection « The fencing-match between the Chevalier de Saint-George and the Chevalier d’Éon », assaut d’armes entre le chevalier d’Éon et le Chevalier de Saint-George qui eut lieu le 9 avril 1787 à Carlton House.
Il existe des miniatures du chevalier d’Éon comme celles d’André Pierre Pinson au Musée Carnavalet ou d’Alexis Judlin48 au Victoria and Albert Museum.
En 2012, un portrait du chevalier d’Éon réalisé en 1792 par le peintre Thomas Stewart, perdu depuis 1926, est retrouvé dans une salle des ventes new-yorkaise par le vendeur et historien d’art Philip Mould (en)
.
L’hôtel particulier construit à Tonnerre par son père au début du XVIIIe siècle, où d’Éon passe son enfance et plus tard, entre 1779 et 1786, reçoit, avec sa cave réputée, ses hôtes illustres, abrite depuis 2015 le musée du chevalier d’Éon et le lycée général et professionnel de la ville porte son nom.
Kalistéa
13 avril 2018 @ 19:17
Un grand merci cher Marcel .Votre exposé est précis , abondant en détails passionnants , il fait également le tour de la question .Je ne vois pas ce que l’ouvrage de Madame H-V pourrait nous apprendre de plus ;
Il semble que cet homme « dans sa tête » comme on dit de nos jours , était une femme .D’autrepart , il était privé des caractères sexuels secondaires (barbe , voix grave) et avait même au moins certains attributs féminins (seins développés) . ce devait être une question d’hormones , il est évident qu’il faut que Corsica nous éclaire .
Robespierre
14 avril 2018 @ 11:14
Ce cher Marcel avec son exposé clair et bien écrit a fait le tour de la question et nous dispense d’acheter ce livre .
Clément II
15 avril 2018 @ 15:36
C’est aussi la conclusion que j’adopte : « dans sa tête » il était une femme et quelque part, dans son corps, quelque chose pouvait semer le doute. ?