Il est rare que la Cour royale belge réagisse aussi rapidement, il est aussi d’autant plus rare que le prince Philippe émette en plus un communiqué personnel. La polémique déclenchée par la sortie en librairie (et la diffusion de larges extraits dans la presse depuis le week-end dernier) du livre « Question(s) royale(s) » du journaliste belge Frédéric Deborsu a probablement atteint des sommets, qui nécessitaient des réactions fermes et rapides.

Le site « Noblesse et Royautés » n’a pas pour habitude de s’étendre sur de vaines polémiques et rumeurs mais la publication de ce livre méritait une analyse et un commentaire pour les lecteurs du site qui ne sont pas tous Belges, et qui pourraient ne pas percevoir l’étendue de ce qu’il convient de qualifier d’un franchissement d’une ligne de conduite dans le monde de la presse/édition belge.

Il y a 20 ans, au temps du règne du roi Baudouin, il aurait été impensable de voir des caricatures du souverain dans les journaux comme cela se fait (généralement le plus souvent de manière humoristique et sympathique) avec le roi Albert II, notamment pour relater la vie politique difficile du pays. Il aurait été impensable d’assister à des déballages de pseudo-confidences de proches dans des livres dits « chocs ». Tout simplement de manquer de respect à l’homme représentant une institution et à sa famille.

En 20 ans, certes, les choses ont évolué. Le monde des médias aussi. La rapidité de la transmission de l’information donne le tournis. On ne communique plus comme auparavant, c’est un fait. Tout est scruté, disséqué, observé et…critiqué.

La Belgique comme les autres pays de l’Union européenne ressent la crise économique et sociale. A cela s’ajoute un contexte politique délicat, encore ravivé par les récentes élections communales et par la pression des futures échéances électorales. Il suffit de se rappeler que la formation de l’actuel gouvernement a mis 18 mois que pour mesurer la fragilité de l’avenir politique du pays.

La publication d’un livre intitulé « Question(s) royale(s) » à pareil moment et de son impact, ne peut pas ne pas avoir été mesuré par le journaliste Frédéric Deborsu. Il est clair qu’au vu du contenu du livre, il faudrait être candide que pour croire que l’auteur ne souhaite pas créer la polémique et réouvrir des questions sur l’avenir de la monarchie.

Frédéric Deborsu est journaliste depuis 20 ans à la RTBF il a cependant écrit ce livre au cours d’un congé sans solde, a tenu à préciser la RTBF, prenant elle aussi ses distances). Il déclare avoir voulu présenter la famille royale sous un autre jour. Pour lui, les membres de la famille royale sont attachants, ce qui l’a motivé à se lancer dans son « enquête ». On ne peut qu’en douter.

 

Il suffit déjà de voir la couverture choisie pour l’édition en néerlandais du livre que pour comprendre si besoin que l’on ne se trouve pas face à une vaste enquête historico-journalistique. En gros que dit le livre : que Philippe de Belgique a été contraint de se marier sous peine de voir le trône occupé par sa soeur la princesse Astrid, que Philippe et Mathilde ne sont pas le couple heureux qu’ils montrent face caméra, que le prince avait un ami de coeur, que la reine Paola a eu de nombreux amants, que le père de la princesse Mathilde le défunt comte Patrick d’Udekem était à la limte de l’escroc, que Mathilde a connu une vie précaire d’un point de vue financier avant ses noces, ….

Le style narratif n’est pas très grandiloquant, les faits annoncés au fil des pages ne sont que recoupement par l’auteur de petits détails, de petites phrases parues à différents moments dans la presse et aujourd’hui centre de ses grandes théories. Frédéric Deborsu aurait fait des recherches approfondies, recoupé ses informations, rencontré de nombreuses personnes proches du palais. Il n’y a pourtant que sa vision, ses grandes certitudes, ses interprétations et puis surtout il nous ressert à nouveau les mêmes sujets déjà abordés par le passé : le montant de la liste civile de la reine Fabiola, les rumeurs d’abdication du roi Albert II, la crise conjugale du roi Albert II et la reine Paola dans les années 60-70, les problèmes financiers du prince Laurent,…

Des affirmations jetées en pâture telles des vérités. Extrait choisi lorsque Frédéric Deborsu revient sur la présentation officielle de Mathilde d’Udeckem d’Acoz lors de ses fiançailles. Une journaliste de la télévison demande au prince s’il s’agit d’un mariage d’amour. Et le prince de répondre « On peut dire cela ». Et Frédéric Deborsu d’asséner avec cette certitude malsaine qui est sienne du début à la fin du livre « Désolé Monseigneur, mais ce n’est pas la réalité.Toutefois, je vous admire d’avoir été au bout de ce qui vous a été demandé. Votre sens du devoir vous honore à jamais« .

Des rumeurs, des spéculations sont livrées telles des certitudes sous le couvert de confidence de soi-disant membres de l’entourage royal. Thomas d’Asembourg que l’auteur présente comme l’ami de coeur du prince Philippe a tenu à réagir publiquement. Leur amitié existe bien évidemment mais est présentée de manière sensationnaliste par Deborsu qui affirme même que l’intéressé ne fut pas invité au mariage, ce qui est faux et ne fut donc pas vérifié avant d’être écrit.

Les réactions négatives pleuvent en Belgique où pourtant par le passé et y compris en Flandres, d’autres livres sur la famille royale avaient été publiés avec un parfum de scandale, juste suffisamment perceptible que pour attirer le lecteur. Aujourd’hui, la donne est différente. Ce livre n’apporte aucun éclairage sur la fonction royale, même pas sur l’avenir de la Couronne. Il n’y a qu’une juxtaposition de bassesses et d’irrespect pour les différents membres de la famille royale et en particulier pour le couple héritier. Que la princesse Mathilde ait dû porter des vêtements qui n’étaient pas des vêtements de marque dans sa jeunesse, que le prince Philippe et la princesse Mathilde aient été contraints de se marier, que le reine Paola ait commis des infidélités tout comme le roi Albert II, même si tout cela était avéré, en quoi est-ce que cela est indispensable d’être rendu public et parfois seriné pour la centième fois ?

En Belgique, il y a jusqu’à présent toujours eu une ligne de démarcation très claire par rapport à la vie privée des personnalités. La presse belge n’est pas la presse intrusive anglo-saxone ou même espagnole. Il y a des codes de conduite et il y a un respect. On peut critiquer l’achat d’un yacht, des dépenses pour une festivité mais cela s’arrête là.

Des détails gonflés, des petites phrases interprétées à la guise de l’auteur, de soi-disant confidences, beaucoup de sensationnel (il suffit de lire les grandes phrases de la couverture pour comprendre quel est le tempo de l’auteur, comme par exemple « Pourquoi Philippe n’a pas embrassé Mathilde le jour du mariage ? »), des éléments probablement non vérifiés (comme pour Thomas d’Asembourg) et puis pour les puristes une erreur de généalogie dans le tableau en fin de livre (dans la descendance de la princesse Henriette de Belgique, duchesse de Vendôme, ne sont indiqués que 3 enfants : Louise, Geneviève et Charles Philippe. Il manque Sophie…). Ce n’est peut-être qu’un détail mais cela montre si besoin le manque de sérieux et de rigueur de base.

Pour le reste, tout est dit. La ligne du respect a été franchie. Les réactions indignées, outrées, scandalisées en Belgique en sont la preuve. Le mal est fait en terme de déontologie, et vis-à-vis des personnes mais il y a eu ce sursaut populaire qui soulage malgré tout.