Ce livre (traduit de l’espagnol) de Carmen Posadas, intitulé « Le témoin invisible » s’inspire de manière romancée sur des faits réels : à Montevideo en Uruguay, Leonid Sednev, âgé de 91 ans, décide avant de mourir de révéler le secret de sa vie.
Embauché en 1912 comme ramoneur au palais impérial de Russie grâce à sa tante Nina, ancienne femme de chambre de la tsarine, le petit Leonid sera jusqu’en 1918 le « témoin invisible » de l’intimité des Romanov et le seul survivant de l’épouvantable massacre d’Ekaterinbourg.
Rien n’échappe à son regard tantôt ironique et curieux, tantôt amoureux et tendre, et plus d’une fois épouvanté. Avec son ami Youri, il découvre le quotidien de l’impératrice et de ses filles, apprend quels sont les véritables commanditaires de l’assassinat de Raspoutine, console le jeune et fragile tsarévitch Alexis, assiste aux conspirations de palais, côtoie des agents secrets, avant d’être emporté par le tourbillon de l’Histoire, le soulèvement de Petrograd puis la révolution d’Octobre. Mais c’est en rejoignant la famille impériale dans son exil que Leonid, serviteur loyal, secrètement amoureux de la grande-duchesse Tatiana, livrera à l’Histoire le plus déchirant des témoignages.
La grande-duchesse Tatiana était la deuxième fille du couple impérial. Elle fut exécutée avec les siens alors qu’elle venait de fêter ses 21 ans.
« Le témoin invisible », Carmen Posadas, Seuil, 2014, 480 p.
marielouise
24 mai 2014 @ 07:10
Ah,bonheur de lire cette belle écrivaine que j’avais beaucoup aimé déjà en lisant « Cinq mouches bleues »!Merci pour l’info!
Claude Patricia
24 mai 2014 @ 19:34
Certainement très intéressant!
Marquise
25 mai 2014 @ 08:27
J’avais beaucoup apprécié sa biographie de la « Belle Otero ».
A tous les fans bilingues de la famille impériale russe, je recommande l’ouvrage d’Helen Rappaport, « Four Sisters, The Lost Lives of The Romanov Grand Duchesses ».
Caroline
25 mai 2014 @ 21:25
Chiiic!Un nouveau livre suspense historique à lire!
Claude Patricia
26 mai 2014 @ 18:55
Bonsoir à tous,
Première partie concernant la fin de Nicolas II vue par l’Illustration.
Le prisonnier de Tsarkoie-Selo
La curiosité du public était-elle suffisamment satisfaite par les nouvelles rares et succinctes accordées à la presse, touchant l’existance actuelle du souverain déchu, dont l’effigie fut si souvent reproduite dans les pages de l’Illustration? Quel est, depuis son éclipse si totale, son état physique et moral? Le cliché tout récent qui est joint (et malheureusement je n’ai plus d’imprimante pour l’envoyer) nous le montre en bonne santé mais vieilli, les trais tirés, les yeux fatigués, la moustache et la barbe grisonnantes. Au cours de sa promenade quotidienne dans le parc du château où il vit prisonnier, il s’assit sur le tronc d’un arbre coupé, et ses trois gardiens, baionette au canon, veillent, immobiles, à la distante prescrite. Il n’est plus, officiellement que le colonel Romanof; son uniforme, de petite tenue de campagne, est sans galons,et de ses innombrables décorations, il ne porte que la croix de Saint-Georges.
Revenant de Russie, M Charles Omessa a publié, dans l’œuvre quelques renseignements précis sur la vie que menait Nicolas Romanof dans ce château, et qui ne sera probablement pas différente dans la nouvelle résidence qui lui est assignée.
Au retour de la promenade matinale l’ex-tsar reçoit son fils l’ex-tsarévitch Alexis, toujours aussi espiègle et bruyant et qui ne paraît point s’être rendu-compte du changement apporté autour de lui par la révolution, il voit aussi ses filles. A midi, déjeuner. L’ex-impératrice vient rejoindre son mari, qu’elle ne rencontre point ailleurs que dans cette salle à manger. Après déjeuner, lecture des journaux, puis promenade, à bicyclette parfois : rentrée, dîner, courte partie d’échecs ou de dominos, et coucher vers 9 heures dans une chambre brillamment éclairée, Nicolas II ayant contracté dès son jeune âge l’habitude de ne pouvoir dormir dans l’obscurité.
La fin tragique de Nicolas II (27 juillet 1918)
Les nouvelles de Russie sont presque toujours douteuses, souvent contradictoires. Celles de la mort de Nicolas II paraît cependant confirmée. Le malheureux tsar a été fusillé sans jugement à Ekaterinenbourg, dans l’oural central le 16 juillet sur les ordres du Soviet régional.Des semaines, des mois s’écouleront peut-être avant que notre envoyé spécial Robert Vaucher puisse réunir et nous faire parvenir des documents certains sur les circonstances de cet évènement tragique. A la fin de l’année dernière, alors que la famille impériale devait être transférée de Tobolsk, dans un cloître sibérien, notre correspondant de Petrograd, M. Serge de Chessin, nous adressait cette page restée inédite et qu’on lira aujourd’hui encore avec intérêt :
…De tout temps, la vie de Nicolas II avait été réglée avec la plus stricte ponctualité. A Liviada comme au Grand Quartier, parmi les pompes du Palais d’hiver comme dans le cadre douillet de la villa de Peterhof, un programme toujours méticuleusement suivi répartissait les heures de travail, des promenades, des repas, jamais une fantaisie, jamais un caprice; toute l’existence de l’empereur s’est écoulée dans des formes rigides, la répétition monotone des journées identifiées les une aux autres la répétition des mêmes gestes, des mêmes phrases-et sans doute des même pensées.
Lorsque l’on se trouve au faîte de l’empire le plus divers et le plus contradictoire, lorsque chaque jour, des audiences et des rapports sans nombres obligent un seul homme à prendre connaissance, à vol d’oiseau, des tumultes, des agitations, des passions qui remuent la sixième partie du monde, le découragement de triompher de cette tâche insurmontable amène, assez naturellement une invincible tendance à l’automatisme psychologique.
A suivre!
Claude Patricia
29 mai 2014 @ 14:52
Bonjour à tous,
Suite du récit
Le mécanisme gouvernemental russe imposait au souverain un labeur écrasant, et les charges du pouvoir finissait par réduire le plus autocrate des monarques aux fonctions d’une machine à signatures. Tout au plus, le temps matériel permettait au tsar d’annoter les marges d’un rapport, mais ces annotations elles-mêmes, à force de se multiplier, empruntaient à l’ambiance leur invariable monotonie de style et de pensée. Était-ce l’effet d’un esprit borné, impuissant à s’évader de l’étau des habitudes, ou bien le résultat d’une volonté réfléchie, d’un effort tenace de simplifier, de systématiser cette ondoyante réalité russe qui échappe à la prise des politiciens et à l’observation des écrivains? L’âme d’autrui, dit un proverbe en Russie n’est que ténèbres. Mais que l’on songe à la tragédie intime des ancêtres de Nicolas II.
Tous, après une période de romantisme politique, après une lutte désespérée contre l’entourage, les traditions, le poids mort du passé, se sont acheminées vers le vide mélancolique des formules, griffonnées au crayon bleu, sur un rapport ministériel « lu avec plaisir ». L’ex-empereur, lui aussi, avait eu son printemps, il avait fait du lyrisme avec la conférence de La Haye, et puis lentement, peu à peu, le boulet de força impérial paralysa ses élans, le riva au terre à terre des paperasses, des statistiques, des audiences. Depuis des années Nicolas II avait vécu, prisonnier d’un catéchisme politique, d’un ensemble restreint de notions et d’idées, d’un formulaire à l’usage des monarques. Et cette servitude morale explique la facilité prodigieuse avec laquelle le tsar déchu se résigna à devenir, un prisonnier véritable.
Tous les jours, dès 9 heures du matin, Nicolas II s’enfermait comme de coutume, comme si le trône était debout et l’empire intact, dans un immense cabinet de travail, et lorsque seulement pour la première fois, il aperçut sa table vide, on raconte que le souverain déchu eut un mouvement de douloureuse stupéfaction. Mais ce ne fut qu’un frisson rapide, dit-on, une brève révolte vite apaisée; les traits contractés reprirent leur immobilité de pierre. Pendant de longues heures, l’ancien empereur restait enfermé, tout seul, dans le silence désolé d’une pièce, jadis le saint des saints de l’absolutisme. Qu’y faisait-il? Laissait-il son rêve s’égarer dans le passé tragique, dans l’avenir chargé d’énigmes? A le voir sortir, à l’heure règlementaire, pour sa promenade, le masque impassible, presque serein, avec, souvent un léger sourire sous la moustache épaisse, il semblait que rien n’était changé. Toujours il avait eu l’habitude de sortir ainsi, sans épée, la canne à la main, une seule décoration sur la blouse khaki : la croix blanche de Saint-Georges, offerte par les troupes du général Ivanhof. Comme jadis, en passant devant la garde, il l’apostrophait suivant les traditions, le regard bleu vrillé dans les prunelles des hommes, et, quand l’officier de service se présentait, c’étaient toujours les mêmes, ces questions stéréotypées qu’il posait à tous les officiers, tandis que la main droite, d’un geste coutumier, tiraillait la moustache!
Tout ce qui rapellait le présent, tout ce qui pouvait le meurtrir ou le diminuer, il semblait l’ignorer. Il paraissait ne pas entendre que les soldats l’appelaient « monsieur le colonel » et les derniers temps, « monsieur » tout court.
Prestige du cadre, hantise des souvenirs, difficulté ou paresse de mesurer la portée des évènements historiques, il y avait de tout cela, diront les psychologues, dans l’invariable sérénité avec laquelle s’écoulaient les jours dans l’antique résidence de Catherine la Grande. La proverbiale simplicité de la famille impériale s’accommodait facilement des menus de quatre plats et des tristes distractions permises : le jardinage. Seuls des cuivres, qui rugissaient, parfois, dans le voisinage du palais, et scandaient les versets de la vie, l’ex-tsar parcourait personnellement, apportaient les échos de tumultes extérieurs.
A suivre.
Claude-Patricia
1 juin 2014 @ 18:48
Bonsoir à tous,
De temps en temps, une visite d’inspection par Kerenski, toujours d’une impeccable correction, et c’était tout. De l’immense pays, secoué par les spasmes révolutionnaires, le palais Alexandre, avec ses blanches colonnades et les fourrés du parc réservé à l’ancienne famille impériale, était le coin le plus tranquille et le plus sûr. Et le passé finissait par tellement reprendre ses droits que, l’été venu, le grand-duc Alexis s’impatientait de ne pas partir en croisière traditionnelle dans les fjord finlandais et que l’ex-tsar paraissait certain, pour sa part, de rejoindre sous peu son asile estival de Liviada sur la côte criméenne.
… C’est à Tobosk que commence le véritable drame, la suprême expiation. Le décor, au lieu de servir d’armature, déprime pesamment. A chaque instant, les contrastes prennent du relief : c’est comme une guerre à coup d’épingles déclarée par les réalités ambiantes. Dans le cadre étriqué qui souligne la déchéance, est-il encore possible de conserver ce contrôle sur soi-même, reflet de la majesté première? Pour beaucoup Nicolas II serait un insensible, un coeur desséché, et l’on cite de lui, après la catastrophe du Petropavlosk, cette parole stupéfiante, tandis qu’il regardait par la fenêtre la neige argenter le paysage : « comme il ferait bon chasser maintenant! » Mais d’autre part, on a vu le même homme pleurer, sans dissimuler ses larmes, sur les quais des gares au départ des échelons; on l’a vu, au lendemain de la déclaration de guerre, frémir de la plus noble émotion au palais d’Hiver, devant les officiers de la Garde, qui, le sabre dégainé, juraient de vaincre ou de mourir; on l’a vu, le même jour au spectacle de la foule agenouillée, d’une gaucherie charmante qui révélait le profond bouleversement intérieur.
Claude Patricia
7 juin 2014 @ 13:38
Bonjour à tous,
Suite
Cependant, de plus en plus souvent, l’empereur apparaissait lointain, le regard vitreux, les traits figés, tels les anciens grands-ducs de Moscou lorsqu’ils passaient inaccessibles, perdus dans leurs rêves mystiques, enluminures vivantes sous leurs chappes, leurs pierreries, les flamboiements de leurs auréoles byzantines. Les Saints-Simons de l’avenir diront peut-être un jour ce qu’il y avait, à l’origine de cet olympisme, d’artificiel et de morbide. Déjà certaines insinuations, des aveux des proches, confessés à mi-voix, des accusations formulées par d’autres, ont révélé la systématique intoxication, la savante et criminelle attaque entreprise contre le cerveau d’un homme que l’on gorgeait de stupéfiants. De tout temps, l’histoire de la cour de Russie a eu des côtés ténébreux de roman-feuilleton; les thaumurges et les poisons y ont toujours tenu une place d’honneur. Et le vrai secret de l’étrange, de la mystérieuse impassibilité de Nicolas II, c’est qu’il avait, depuis des mois la conscience chloroformée. Sa pensée glissait à la surface des évènements et des choses : elle ne pénétrait pas jusqu’aux causes, elle n’anticipait pas sur les effets. Il a fallu près de 8 mois pour qu’après des catastrophes incalculables dans la tristesse de l’exil, le sentiment de l’irréparable se réveillât chez l’empereur sans couronne.
Nicolas II aura beau s’épuiser par un travail de bûcheron, il n’y gagnera pas le sommeil sans rêves auquel il aspire. Toutes les étapes d’un règne gaché comme à plaisir défilent sous ses yeux : la catastrophe de Khodynka-dix mille cadavres à la suite de l’effondrement des estrades, en pleine fête du couronnement, sinistre présage qui remua toutes les superstitions, toutes les inquiétudes d’un pays affolé de sorcellerie-un mariage sans amour, une guerre sans gloire, un foyer sans joie, une cour sans prestige et toujours du sang, du sang partout, malgré le désir de paix le plus ardent, le plus sincère. Un empire dépecé, comme un glas funèbre, doit sonner aux oreilles du tsar la litanie des titres périmés : empereur de Russie, roi de Pologne, grand-duc de Finlande…Un effondrement immense l’héritage de Pierre le Grand, dilapidé, les ambitions de Catherine, d’Alexandre I, d’Alexandre II, piétinés, trois siècles d’efforts, d’orgueil, de travail, compromis par son règne. De toutes les adorations, qui jadis, montaient vers le trône, que reste-t-il? Trois, quatre fidèles, une demoiselle d’honneur arrêtée pour avoir passé des lettres dans un oreiller, quelques prêtres de villages qui s’obstinent à prier pour un empereur, des délirants et des maniaques qui s’agenouillent devant la palissade pour marmonner des cants liturgiques…Par Michel, elle a commencé, veut une prédiction russe sur la dynastie, par Michel elle finira. Le grand-duc Michel, d’ailleurs n’a-t-il pas régné, nominalement quelques heures? Sortie d’un couvent au milieu des acclamations et des hymnes, bénite par un patriarche, la dynastie vient échouer dans un cloître sibérien, que dirige, suivant les journaux, le passionné adversaire de Raspoutine.
FIN (article signé S. de Chessin)
Claude Patricia
7 juin 2014 @ 13:39
J’ai vu le livre en librairie, il a l’air très bien.