La comtesse Marion Dönhoff (1909-2002) publia en 1988 en allemand puis en 1990 chez Albin Michel ce livre de souvenirs de son enfance en Prusse-Orientale aux tournants successifs de l’Histoire après la Première Guerre Mondiale et lors de la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Ce récit paraît à présent aux éditions Lacurne réputées pour publier les mémoires de personnages dont la vie se confond avec les bouleversements du siècle passé.
Pour avoir lu d’autres mémoires chez Lacurne comme le comte Alfred Potocki ou le comte Alexander de Plater-Syberg, la narration de la comtesse Marion Dönhoff est moins riche puisqu’il s’agit des souvenirs d’une fillette puis d’une jeune femme qui n’était pas impliquée directement dans l’évolution politique de son pays, mais elle lève un voile sur la vie sociétale sous le prisme d’une jeune personne déjà aux idées très arrêtées.
Fille du comte August Karl von Dönhoff (1845-1920) et de Maria von Lepel (1869-1940), dame d’honneur de l’impératrice Viktoria Auguste, Marion est la cadette d’une fratrie de huit enfants. Elle grandit au château de Friedrichstein considéré comme l’un des plus beaux de Prusse-Orientale.
La comtesse se souvient de la vie au sein de la vaste propriété agricole de la famille, de l’éducation qui lui fut dispensée et axée sur le savoir-vivre, le respect de l’autre, l’humilité et la rigueur.
Un monde qui s’écroula à la fin de la Seconde Guerre Mondiale avec l’arrivée des Soviétiques. Friedrichstein se trouve aujourd’hui en territoire russe, non loin de Kaliningrad. un autre article reviendra sur son triste sort.
La comtesse Marion a fui en 1945 vers l’Ouest et s’est installée à Hambourg. Elle a été l’une des grandes figures du journalisme allemand et fut l’une des fondatrices de l’hebdomadaire Die Zeit dont elle fut rédactrice en chef.
La comtesse revient aussi sur cette société féodale allemande sous l’empire, très codifiée et sur les différences qui apparaissaient déjà dans le mode de gestion d’un domaine entre les futurs Ouest et Est de l’Allemagne.
Une Prusse-Orientale qui a connu bien des déferlements au cours de son histoire et à laquelle elle est restée très attachée jusqu’à sa mort en 2002. « Si aujourd’hui encore lorsque l’on me demande quelle est ma patrie, je réponds sans réfléchir « La Prusse Orientale » et non Hambourg où je vis depuis plus de 40 ans et où je me trouve bien, c’est avant tout parce que les paysages, la nature, les animaux de ce monde disparu me manquent ».
On regrettera juste l’absence d’une carte de géographie afin de mieux comprendre les bouleversements de frontières et l’inévitable fuite vers l’Ouest pour ceux qui étaient en mesure de le faire.
Un livre comme un pudique cri d’amour à une terre que l’on a dû abandonner…
« Une enfance en Prusse-Orientale », Comtesse Marion Dönhoff, Lacurne, 2018, 208 p.
Jean Pierre
14 janvier 2019 @ 09:13
Hermine Reuss, la veuve de Guillaume II faisait aussi partie de ces réfugiés qui tentaient de rejoindre l’Ouest.
aubert
14 janvier 2019 @ 13:06
Une victime de l’occupation soviétique. Injustement parce qu’elle était aristocrate non pour des implications dans les deux conflits mondiaux.
Leonor
14 janvier 2019 @ 12:15
Les treks de fuite devant les armées soviétiques à l’extrême fin de la guerre ont été terribles .
Dans l’immédiat après-guerre, l’expulsion des populations hors de la Prusse orientale, de la Poméranie et de la Silésie a été un drame . Des millions de gens ont été déplacés sans organisation aucune , dans des conditions terribles. Des milliers sont morts, ont disparu , dont des milliers d’enfants .
Il s’agit ici du récit, connu, de la comtesse Dönhoff, c.à d. la vie et la fin en ces lieux d’une certaine classe sociale.
Il existe aussi nombre d’autres récits recueillis auprès de gens » ordinaires ». Récits de leur vie » d’avant « , récits de leur déportation ou de leur fuite, souffrances , perte et mort de nombre des leurs; récit de leur difficulté à trouver où se réfugier dans une Allemagne rétrécie et dévastée. Enfin, nostalgie éternelle pour leur pays perdu.
Outre les ouvrages ou articles disponibles, de nombreux sites Internet en témoignent.
Caroline43
14 janvier 2019 @ 14:55
Des membres de ma famille également, cela s’appelait « die Flucht » et on parlait d’eux souvent en famille pendant mon enfance et adolescence; certains avaient réussi à fuir, d’autres pas et ont été contraints de rester en RDA, subissant des represailles car aristocrates; d’autres encore, surtout les vieux et les enfants, sont morts de faim et de froid en route; les viols de la part des soldats russes étaient fréquents, une cousine en a été victime.
Leonor
14 janvier 2019 @ 18:43
Oui.
J’ai pu recueillir un jour le récit d’un homme qui, enfant de 5 ans, avait encore pu avec sa mère fuir la Prusse orientale, embarqué sur l’un des rares bateaux surchargés qui prenaient des réfugiés à bord. Il a eu la chance que ce bateau ne soit pas coulé par un sous-marin russe comme d’autres. Il se souvenait , l’image encore dans les yeux à plus de cinquante ans, de sa ville en flammes, au loin.
Et je suis en train de lire un livre de… recettes silésiennes, avec souvenirs de la vie et de la » fuite » de ceux qui avaient gardé ces recettes en mémoire.
Une fuite terrible.
Dans l’un des récits , titré » l’enfant superflu » (*), l’auteur , qui faisait partie du trek, raconte avoir vu un petit enfant tomber du charroi précédent, sans que personne ne le remarque. Les chargements suivants lui ont passé dessus, lui ont écrasé la jambe. Il a été traîné sans plus d’égards dans une maison dévastée au bord du chemin, où ne se trouvait plus qu’une très vieille femme, restée là. » Sans doute superflue elle aussi », conclut l’auteur ,avec réalisme et horreur .
Il faut savoir que Hitler avait interdit l’évacuation des civils, et toute retraite aux armées allemandes, malgré l’insistance des généraux qui savaient la partie perdue. Les uns et les autres se sont retrouvés pris dans des souricières ( Prusse Orientale, Courlande), acculés à la mer, sans issue autre qu’une fuite éperdue pour les civils, dans les conditions d’un hiver glacial.
C’est dans ces circonstances que se situe aussi le plus grand naufrage connu de l’histoire, celui du Wilhelm Güstloff, torpillé par un sous-marin soviétique dans la Baltique, alors qu’il évacuait des gens. Bilan : 7000 à 10 000 personnes ( nombre indéterminé, car ce navire de croisière avait été pris d’assaut par les fugitifs en détresse).
https://www.herodote.net/30_janvier_1945-evenement-19450130.php
Lire » En crabe » ( titre original » Im Krebsgang »), de Günter Grass. L’un des ouvrages qui a délié les langues.
Très contesté d’abord, parce que ça n’a pas plu. Mais on ne fait pas taire Günter Grass.
(*) Trad° L.