“Mais il est beau !” s’exclama Marie Sophie en découvrant le portrait de son futur époux, dans une miniature, entourée de diamants et de pierres précieuses, présentée par le comte Ludolf, ami personnel du roi Ferdinand II des Deux-Siciles et envoyé pour procéder aux préliminaires du mariage.

François de Bourbon des Deux-Siciles

 Les tractations n’avaient pas été simples. Et ce d’autant moins qu’elles devaient se faire avec le roi de Bavière, l’oncle de la future fiancée, Maximilien II, qui avait à coeur les intérêts de sa cousine et de son royaume.

Maximilien II roi de Bavière

Le premier problème à affronter était d’ordre médical. Le comte Ludolf dut expliquer que si le duc de Calabre été affligé d’un phimosis, cela pouvait s’opérer. Le roi de Bavière, qui avait eu des rumeurs sur la virilité du prince, fut rassuré, Ludovica aussi. On avait craint pire que cela. Mais le comte Ludolf avait eu aussi vent d’un problème concernant Marie Sophie. Elle ne serait pas encore nubile, à 17 ans. Ludovica dut en convenir mais écarta l’argument en disant que sa nubilité ne saurait tarder grâce aux traitements d’eaux chaudes salées qu’elle subissait. L’échange était crû mais nécessaire car toute union princière avait pour but la descendance. Alors il fallait être certain qu’aucun obstacle ne se dresserait. On tomba d’accord, il n’y avait rien de grave d’un côté comme de l’autre.

Le deuxième problème que souleva le roi de Bavière était la religiosité du prince. Toutes les cours d’Europe savaient que François avait reçu une éducation quasi monastique et qu’il était chaste, pire encore puceau. Son confesseur dormait d’ailleurs dans sa chambre pour y veiller. On était loin de l’esprit Bourbon et napolitain. Un prince pieux ne pouvait déplaire à la catholique Bavière, mais tout avait des limites. La réponse de l’émissaire fut sans appel. La religiosité du prince, héritée de sa mère la future bienheureuse, Marie-Christine de Savoie, contrebalancerait la foi plutôt chancelante de la jeune duchesse. Marie Sophie, en bon fille du duc Max, et comme sa soeur Elisabeth, n’était pas confite en dévotion. L’argument porta.

Marie-Christine de Savoie, mère de François II

Le troisième problème, aux yeux de Maximilien II, était que le futur roi avait été refusé comme prétendant par les cours de Turin et de Bruxelles. La réponse fut satisfaisante. La princesse Marie-Clotilde de Savoie ne pouvait convenir à Ferdinand II car disait-il “ Nous avons déjà trop de parents à Turin.” La princesse Charlotte de Belgique, future impératrice du Mexique, avait été refusée par le roi des Belges, Léopold Ier, son père, car il préférait une alliance autrichienne à une alliance napolitaine. L’argument porta une fois de plus.

Enfin, dernier problème, la dot ! Max et Ludovica avaient huit enfants à marier et donc à doter. Ils n’étaient pas riches et ne pouvaient donc offrir que vingt cinq mille ducats à leur fille Marie Sophie. Comparé aux douze millions du roi Ferdinand, cela était peu. Mais la cour de Naples se montra généreuse et offrit trente six mille ducats en plus pour doter la fiancée.

La Résidence à Munich

Il n’y avait donc plus de problèmes. Le roi de Bavière donna son consentement, à la grande satisfaction de l’envoyé napolitain et surtout de la duchesse Ludovica. On pouvait procéder à la cérémonie des fiançailles. Elle eut lieu le 22 décembre 1858. Et c’est à cette occasion que Marie Sophie put enfin contempler le visage de son fiancé, qu’elle trouva beau.

Chapelle Palatine

Le mariage fut célébré le 8 janvier 1859, dans la chapelle du palais royal de Munich. Le prince Léopold de Bavière (1821-1912), frère du roi, représentait François. Il sera, plus tard régent de Bavière pour ses neveux, Louis II et Othon Ier. Marie Sophie, vêtue de brocart et de velours blanc, avec un voile en dentelle retenu par un diadème en diamants, fut menée à l’autel par son frère Louis, son père n’ayant pas jugé bon d’être présent.

Le 13 janvier, la nouvelle duchesse de Calabre quittait Munich pour Vienne où le protocole l’obligeait à s’arrêter. Mais plus encore que le protocole, ce fut pour le plaisir de voir sa soeur. Elles furent ensemble quelques jours, partageant les derniers moments d’insouciance de la nouvelle princesse napolitaine. Elisabeth dira plus tard de ces journées joyeuses : “ Il semblait que le destin, conscient du triste avenir de Marie, avait voulu lui offrir quelques journées de gaité insouciante. Je savais bien que ma pauvre soeur devait s’attendre à une belle-mère comme la mienne. Et c’est pour cela que j’avais décidé de la faire jouir le plus possible de ces vacances viennoises…”

  

L’impératrice Elisabeth en 1859

 Le 30 janvier 1859, Marie Sophie quittait Vienne pour Trieste. Et contrairement aux usages Elisabeth l’accompagnait pour la remise de sa soeur aux représentants de la cour de Naples, qui eut lieu le 2 février au palais du gouverneur, selon un antique cérémonial. Dans une salle du palais était symbolisée la frontière entre la Bavière et les Deux-Siciles. Marie Sophie, princesse bavaroise, entourée de sa cour allemande, entra dans le salon par une porte et ressortit par l’autre, princesse napolitaine, entourée de sa nouvelle cour.

La frégate « Fulminante »

La frégate « Tancredi »

Le roi Ferdinand II avait envoyé deux frégates, la “Fulminante” et la “Tancredi” pour chercher sa nouvelle belle-fille. Elle embarqua sur la “Fulminante” à bord de laquelle Sissi l’avait accompagnée.

 Ferdinand II vers 1850

Ferdinand II, bien que malade, avait tenu à aller à Bari pour accueillir en personne Marie Sophie. Trois cents kilomètres n’étaient pas une petite distance à l’époque. Le roi des Deux-Siciles était un personnage étrange. Monté sur le trône en 1830, à 20 ans, il essaya dans un premier temps de réorganiser l’état, il réintégra dans l’armée ceux des officiers qui avaient servi sous Murat. Il sut se faire aimer du peuple à défaut des intellectuels libéraux. Lors des révolutions de 1848, il n’hésita pas à faire bombarder Palerme, ce qui lui valut le surnom de “Re Bomba”. Après un intermède libéral, en 1849, il reprit une politique absolutiste voire répressive. La réputation du Royaume des Deux-Siciles, à travers l’Europe, était loin d’être flatteuse.

Le roi parlait volontiers le napolitain. Familier avec tous, il aimait la grivoiserie et les plaisanteries graveleuses.

Son premier mariage avec Marie-Christine de Savoie ne fut pas une réussite. Il disait d’elle : “ la reine est une belle femme, mais froide, si froide…” Il est vrai qu’elle était belle mais il est vrai aussi que l’éducation de Marie Christine ne l’avait pas préparée à un époux qui aimait les macaroni et les oignons crus. Elle disait de lui : “ Je pensais avoir épousé un roi. En fait j’ai épousé un manant.”

Marie-Christine mourut le 31 janvier 1836, à l’âge de 23 ans. Si on lui découvrit des vertus religieuses ensuite, elle a été béatifiée en 2014, elle ne fut pas vraiment aimée de son vivant car  trop religieuse, trop loin de l’exubérance de ses sujets napolitains. Elle mourut en donnant naissance à François.

Marie-Thérèse d’Autriche, reine des Deux-Siciles

Ferdinand se remaria l’année suivante, le 27 février 1837, avec Marie-Thérèse de Habsbourg-Teschen, archiduchesse d’Autriche. Elle était la fille de l’archiduc Charles-Louis, frère de l’empereur François, et héros de la bataille d’Aspern, et de Henriette de Nassau-Weilburg. Marie-Thérèse était l’arrière petite-fille de la Grande Marie-Thérèse, comme son mari, elle par Léopold II et lui par Marie-Caroline.

On disait de Ferdinand II “ fidèle à sa femme, tendre avec ses enfants, modeste et affectueux à la maison”. Cette vision idyllique et patriarcale de l’homme ne correspond pas au souvenir laissé par le souverain.

De Marie-Thérèse, il n’existe aucun souvenir flatteur, car si elle aimait son mari et ses enfants, son intérieur et une vie retirée, elle n’en était pas moins partisane de l’absolutisme et influençait son mari dans ce sens. Ses mots étaient : “Châtiez, Ferdinand,  Châtiez…”

Pour le couple, constitution égalait révolution. Elle n’était pas la reine qu’attendait les peuples des Deux-Siciles. On la décrivait ainsi “ Elle ressemblait plus à une ouvrière qu’à une reine. Yeux durs et clairs, le front couronné de deux bandeaux de cheveux noirs, tirés vers la nuque. Privée de grâce, buche grande et sévère, vêtue avec une simplicité excessive..”

Quand elle n’était pas admise au Conseil, on la surprenait à écouter, oreille contre la porte. Ferdinand et Marie-Thérèse s’entendaient bien. Ils eurent douze enfants dont huit survivants : Louis, comte de Trani (1838-1886) qui épousa Mathilde duchesse en Bavière, une autre soeur de Marie et d’Elisabeth. Sa mort reste mystérieuse.

Louis comte de Trani

Alphonse, comte de Caserte (1841-1934). Il épousa sa cousine Marie-Antoinette de Bourbon des Deux-Siciles (1851-1958). Ils sont les ancêtres des deux branches actuelles prétendant au trône des Deux-Siciles.

Alphonse comte de Caserte

Marie-Annonciade (1843-1871). Elle épousa l’archiduc Charles-Louis (1833-1896), frère de l’empereur François-Joseph. Ils sont les parents de l’archiduc François-Ferdinand, assassiné à Sarajevo, et les grands-parents de l’empereur Charles.

Marie Annonciade princesse des Deux-Siciles, archiduchesse Charles-Louis

Marie-Immaculée (1844-1899). Elle épousa l’archiduc Charles-Salvator d’Autriche-Toscane (1839-1892). Un de leurs fils, François-Salvador épousa l’archiduchesse Marie-Valérie, fille de François-Joseph et d’Elisabeth.

Marie Immaculée princesse des Deux-Siciles, archiduchesse Charles Salvator

Gaétan, comte de Girgenti (1846-1871). Il épousa en 1868 Isabelle de Bourbon d’Espagne (1851-1831), princesse des Asturies. Il se suicida en 1871.

Comte de Girgenti ( Agrigente)

 Maria-Pia (1849-1882). Elle épousa le duc Robert de Parme (1848-1907).  Ils sont les ancêtres de l’infante Alice, princesse de Bourbon-Parme qui vient de disparaître.

Maria-Pia princesse des Deux-Siciles, duchesse de Parme

Pascal, comte de Bari (1852-1904). Il fit un mariage morganatique avec Blanche de Marconnay.

Pascal comte de Bari

Marie-Louise (1855-1874). Elle épousa Henri de Bourbon-Parme, comte de Bardi, frère du duc de Parme, Robert.

Marie Louise princesse des Deux-Siciles comtesse de Bardi

Si Marie-Thérèse ne fut pas une bonne souveraine, elle fut une bonne mère.

Ferdinand II et sa famille

C’était la fratrie dans laquelle entrait Marie-Sophie. La plupart étaient plus jeunes qu’elle.

Le voyage de Caserte à Bari dura dix-neuf jours, qui furent pour Ferdinand II dix-neuf jours de souffrance. Sur le parcours à Avellino, le cortège rencontra la neige, rare en Italie du sud, le roi dit à son épouse, en napolitain : “Neh, Tetella, vi che bella surpresa t’aggio cumbinata ! Non te pare de sta a Vienna, co tutta sta neve ?”“Neh, Tetella ( il la surnommait ainsi) quelle belle surprise je t’ai préparée. Ne te semble-t-il pas d’être à Vienne avec toute cette neige ?”

Tout au long du voyage, il distribua des cadeaux, 35 000 pains, 230 vêtements pour hommes, 109  robes, 540 chemises, 60 lits, il dota 400 jeunes filles, et distribua de l’argent sans compter. Arrivé à Bari, son état avait empiré au point qu’il ne put aller sur le port accueillir sa belle-fille.

 

Royaume des Deux-Siciles

Le royaume des Deux-Siciles vers lequel cinglait Marie Sophie avait été créé en 1816 par  le roi Ferdinand Ier de Bourbon (1751-1825), en unifiant deux royaumes, Naples et Sicile, avec la bénédiction du Congrès de Vienne. Ferdinand Ier était le grand-père de Ferdinand II. Il avait épousé en 1768, l’archiduchesse Marie-Caroline, fille de Marie-Thérèse et soeur chérie de Marie-Antoinette. Par sa mère, Marie-Amalie de Saxe (1724-1760), reine d’Espagne, il était aussi le cousin germain de Louis XVI. Dans sa nombreuse descendance, outre son fils François Ier (1777-1830) figurait Marie-Amélie (1782-1866) épouse de Louis-Philippe, roi des Français.

Le royaume des Deux-Siciles, tout au long de son existence fut loin d’être un havre de paix.

Entre insurrections, révolutions, occupations les souverains passèrent d’une conception libérale avec l’octroi d’un semblant de constitution à une conception autoritaire de monarchie absolue, sous laquelle il se trouvait en 1859.

Mais avec ses 111 900 kilomètres carrés (un cinquième de la France), sa population de 9 millions d’habitants, il était loin d’être un pays arriéré. Une agriculture florissante, une industrie naissante et déjà importante, un système bancaire, une marine, la seconde en Europe, une capitale, Naples une des villes les plus peuplées et prospère dans toute l’Europe, avec une vie culturelle importante étaient des atouts, une autre ville, Palerme aux atouts nombreux, autant d’éléments que la volonté de développement économique, et donc d’indépendance, une constante de ses souverains, allait employer.

 

Théâtre San Carlo à Naples

En 1860, au moment de l’annexion, les finances publiques du royaume représentaient 66% des finances publiques de la péninsule, quand le grand-duché de Toscane représentait 13% et le royaume de Sardaigne,  4%.

L’image donnée en Europe du royaume des Deux-Siciles, avant l’annexion, n’était en rien celle donnée aujourd’hui par le Mezzogiorno italien, auquel il correspond, géographiquement. On peut sans risque de se tromper dire que l’annexion italienne a été une catastrophe économique pour le royaume, et ses habitants.

Marie Sophie arriva le 11 février 1859 pour se marier dans l’auguste Maison de Bourbon et régner sur un état qui comptait dans le concert des nations de l’Europe.  La salve de canons qui accueillit l’entrée du navire dans le port de Bari a du faire chaud au coeur de la jeune princesse bavaroise qui se mariait pour devenir reine. (A suivre – Merci à Patrick Germain pour ce récit)

Armes de Marie Sophie de Wittelsbach reine des Deux-Siciles