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A la plus grande surprise de ses médecins, le prince Albert avait passé une nuit relativement bonne le 13 décembre. Lorsque la reine se leva samedi 14 décembre 1861 à 5h30, le Dr. Brown lui annonça que son époux semblait aller mieux et qu’il espérait que la crise était passée. N’oublions pas qu’il était alors admis que le malade souffrait d’une fièvre typhoïde… Brown informa sa souveraine que telle était l’amélioration de l’état d’Albert qu’il s’était même levé pour aller satisfaire « un besoin de la nature ».

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Victoria de Prusse

A 7h, la reine s’en alla voir son mari. « C’était une matinée claire, le soleil levant brillait », se souvint-elle plus tard. Albert était étrangement calme, le visage extatique, les yeux étonnamment clairs. C’était la résignation devant l’imminence de la mort qui transfigurait ses traits, mais Victoria ne voulait pas, ne pouvait pas, le voir. Induite en erreur par une sérénité qu’elle prit pour le signe d’une guérison prochaine, elle télégraphia à Vicky, qui était à Berlin, pour lui faire part de bonnes nouvelles comme si tout danger était écarté. La princesse héritière de Prusse, qui récupérait elle-même d’un état grippal, recevait régulièrement des messages contradictoires qui n’auguraient rien de bon.

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Bertie

A ce stade, Bertie, que l’on avait prévenu, était au chevet de son père, bien heureux d’être l’un des rares qu’il pouvait brièvement reconnaître. Aux environs de midi, la reine sortit prendre l’air avec Alice, mais, rongée par l’angoisse, écourta leur promenade pour retourner auprès du malade. L’heure n’était pas à l’optimisme. « Nous sommes très inquiets, lui dit le Dr. Watson, mais nous ne voulons pas perdre espoir. »

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La princesse Alice

Alice sentit que son père avait atteint le point de non-retour. Le prince traversait des phases de délire au cours desquelles il tenait des propos incohérents que les gens ne comprenaient pas, en dehors du prénom de son fils aîné, qu’il répéta souvent. L’espérance que le matin avait suscitée se dissipait dans les profondeurs des ténèbres. La gravité de l’état d’Albert fit prendre conscience au corps médical que l’heure n’était plus aux tergiversations. Le bulletin de 16h30 révéla que le prince se trouvait « dans un état très critique ».

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La Reine Victoria

Entre deux gémissements, le mourant parlait à sa femme, tantôt en français, tantôt en allemand, appelant la reine « Gutes Frauchen ». Le plus souvent, Victoria ne parvenait pas à comprendre ce qu’il murmurait dans son délire, mais la plupart du temps, il prononçait en anglais des prières chrétiennes. Il respirait avec peine et difficulté. Dans la chambre bientôt mortuaire, la reine attendait désespérément que son bien-aimé la reconnaisse. Tendrement, elle lui murmura à l’oreille : « Es ist kleines Frauchen » – C’est ta petite femme – et lui demandait, en vain, « ein Kuss » (un baiser).

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Ce fut non une reine mais une femme comme toutes les autres, amoureuse et brisée par le désespoir en de semblables circonstances, qui se retira dans l’antichambre pour un moment. Épuisée, elle se laissa tomber sur le sol, les cheveux de travers, enfouissant dans ses mains un visage que ravageaient les larmes. Le doyen de Windsor lui adressa des paroles de réconfort, disant qu’elle avait autrefois gouverné le pays sans lui et qu’elle le ferait encore. La réponse de Victoria fut plaintive. Elle annonçait les troubles à venir. « Mais pourquoi ? Pourquoi dois-je endurer cela ? Ma mère ? Qu’était-ce donc que cela ? Je croyais connaître la douleur, mais ce n’était rien comparé à ceci. » Elle pleura, disant qu’Albert et elle ne faisaient qu’un. « C’est comme si l’on m’arrachait la peau. »

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Une demi-heure plus tard, l’état d’Albert avait rapidement empiré. Il transpirait abondamment, respirait bruyamment et râlait. « Je crains que tous nos espoirs ne soient envolés », lui dit Alice, qui savait que son père était à toute extrémité. Victoria se rua au chevet d’Albert, l’implorant de lui parler et de l’embrasser encore. Il ouvrit alors les yeux. Il semblait la reconnaître, mais était trop faible pour accéder à son plus cher désir. Complètement désemparée, Victoria l’embrassa passionnément sans le lâcher un seul instant. Alors, la respiration d’Albert se fit douce. « Oh, c’est la mort ! » finit-elle par admettre dans un grand cri de larmes, laissant échapper un douloureux cri d’animal blessé qui résonna au-delà du Grand Couloir…

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Lorsque la reine se réveilla après un sommeil intermittent, entrecoupé de pleurs abondamment versés avec Alice, la petite Béatrice, qui avait quatre ans, tenta d’apaiser sa mère en lui prodiguant ses caresses d’enfant, tout en lui disant : « Ne pleurez pas. Papa est parti rendre visite à Grand-Maman. » Cette nuit-là, Howard Elphinstone, gouverneur du prince Arthur, se recueillit devant le lit de mort du prince consort. Le visage d’Albert était calme et serein. Il se souvenait que le défunt avait l’idée fixe « qu’il allait mourir de sa première fièvre. » Elphinstone était néanmoins choqué que le prince n’ait pas essayé de lutter contre la maladie. « Il est parti sans se battre, mais aussi sans dire un mot. » De retour dans sa chambre, il trouva un télégramme envoyé de Cannes, où le prince Léopold se soignait. Son gouverneur, le général Edward Bowater, venait de mourir. Loin de son foyer, le plus jeune fils de la reine, âgé de huit ans, allait devoir faire face à deux deuils le même jour. A suivre… (Merci à Actarus pour ce récit)