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Buste d’Albert par William Theed

De par son impact inattendu, aussi bien sur la vie de la famille royale, notamment à cause du comportement de Victoria, que sur le fonctionnement de l’État, la mort du prince Albert prit l’aspect d’une calamité nationale. Et tandis que le glas sonnait à tous les clochers du royaume, et que partout les drapeaux étaient mis en berne, les commerçants fermaient leurs boutiques et leurs échoppes en signe de deuil. Un deuil qui ne faisait que commencer…

A l’étranger, les cours vibrèrent à l’unisson de la reine plongée dans la détresse et l’affliction. Aux Tuileries, l’empereur Napoléon III décréta un deuil de cour de trois semaines, tandis que l’empereur d’Autriche, le duc de Saxe-Cobourg-Gotha (frère aîné d’Albert), et le roi de Prusse dont le fils était le gendre d’Albert, prirent le deuil pour un mois.

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Ernest de Saxe-Cobourg-Gotha

En Angleterre, des rites funéraires dignes de l’époque des pharaons et qui paraissent anachroniques de nos jours, étaient exécutés avec soin. A la demande de la reine, l’artiste Edward Henry Corbould réalisa une esquisse du défunt sur son lit de mort, tandis que le sculpteur William Theed était invité, ou plutôt convoqué, pour réaliser son masque mortuaire.Envoyer des fichiers

Il faudrait tout un livre pour évoquer, avec minutie, les nombreux détails qui décrivent le choc ressenti à travers le pays. La presse, qui du vivant d’Albert ne s’était pas privée de le critiquer, ne tarissait plus d’éloges à son sujet. Delane, pour le Times, compara le trépas du prince à « une soudaine extinction de la lumière ». Une formule plutôt bien choisie pour évoquer l’impact, sur tout un peuple et sa famille royale, des ténèbres de la mort.

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Chambre où mourut Albert

Désormais passé dans le royaume des ombres, Albert était plus glorifié et regretté qu’aucun consort ne le fut avant lui. Et que dire des derniers souverains de la maison de Hanovre, Georges IV en 1830 et Guillaume IV en 1837, que les journaux ont vilipendés ? Comparés à Albert, ils n’étaient rien. Tout le pays se mit à chanter de concert les louanges que le prince ne reçut jamais de son vivant. Telle est aussi la magie de la mort. Les simples cimetières sont, eux aussi, peuplés de gens indispensables. Mais le contraste était réellement singulier, au point que les nombreux mérites d’Albert prirent la forme d’une litanie.

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Albert par Winterhalter en 1859

Homme de génie, bienveillant patron des arts, des sciences et de l’industrie, éloquent, doué de sagacité, noble de caractère, empreint de modestie, modèle de vie conjugale et domestique, la longue liste de ses qualités n’en finissait dorénavant plus. Mort, le prince Albert était paré de toutes les vertus, ce qui ne pouvait que renforcer l’opinion de la reine qu’elle venait de perdre un être irremplaçable et quasi-surnaturel.

Les funérailles eurent lieu le 23 décembre 1861 mais Victoria n’y assista pas. Helen Rappaport signale que sa présence à la cérémonie funèbre ne fut jamais envisagée, car les funérailles étaient alors le domaine réservé des hommes. Les femmes étaient considérées comme étant trop sensibles pour dissimuler leur chagrin en public, et la reine était à ce point traumatisée qu’elle n’aurait jamais trouvé la force d’endurer les obsèques, qu’elle chargea Bertie et le prince Georges, duc de Cambridge d’organiser en son nom. Avant de partir pour son refuge de l’île de Wight, elle choisit l’emplacement du mausolée royal à Frogmore (domaine de Windsor).

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Souvenir des funérailles

 

A Osborne, Victoria écrivit à son oncle Léopold, roi des Belges, une lettre déchirante et très mélodramatique, sur un papier bordé de noir : « Le pauvre bébé de neuf mois privé de père est à présent une veuve éplorée de quarante-deux ans dont le cœur est complètement brisé ! Ma vie heureuse est terminée ! Pour moi, le monde s’est écroulé ! Si je dois continuer à vivre… c’est dorénavant pour nos pauvres enfants orphelins de père, pour mon malheureux pays, qui a tout perdu en le perdant lui – et uniquement en faisant ce que je sais et que je sens qu’il ferait, car il est près de moi – son esprit va me guider et m’inspirer. »

by George Dawe, oil on canvas, 1817

La princesse Charlotte de Galles

La nation britannique n’avait pas connu de tragédie royale d’une ampleur comparable depuis la « Catastrophe de Claremont » quand, en 1817, mourut en couches la très populaire princesse Charlotte de Galles, fille du Prince-Régent qui, après son père, devait succéder au trône. On observa l’ironie de la situation. Charlotte fut la première épouse du roi Léopold de Belgique, lorsque celui-ci était un fringant jeune homme qui, par un beau mariage, espérait quitter sa position de prince de deuxième classe et créer une dynastie outre-Manche. Ce rêve brisé, il le réalisa à travers Albert, qui était son neveu. Quarante-cinq ans plus tard, sa propre mort lui renvoyait un écho du passé.

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L’oncle Léopold, roi des Belges

 

Sur le double cercueil du prince était inscrit :

Depositum

Illustrissimi et Celsissimi Alberti,

PrincipisConsortis,

Ducis Saxoniae,

de Saxe-Coburg et Gotha Principis,

NoblissimiOrdiniaPerisceldisEquitis,

Augustissimae et PotentissimaeVictoriaeReginae

Conjugispercarissimi,

Obiit die decimo quarto Decembris, MDCCCLXI,

Annoaetatissuae XLIII.

Ici repose le très illustre et exalté Albert, prince consort, duc en Saxe, prince de Saxe-Cobourg et Gotha, chevalier de l’ordre très noble de la Jarretière, époux très aimé de la très auguste et puissante reine Victoria, qui est mort le 14 décembre 1861 dans sa quarante-troisième année.

A suivre… espérance ! (Merci à Actarus)