Le Portugal a été la première république de la zone euro à faire figurer un monarque sur une de ses pièces, le roi Afonso Henriques, en 2012. Mais à quelles conditions?
Je cite le Journal officiel de l’Union européenne : « Sujet de commémoration : la désignation de Guimarães (ville du nord du Portugal) comme ‘capitale européenne de la culture 2012’ ». Le nom de la ville de Guimarães figure sur la partie droite de la pièce, sous une représentation de son monument le plus emblématique : le très beau château de Guimarães. Le nom et même le prénom du graveur apparaissent en toutes lettres et caractères aussi grands que celui du pays émetteur. C’est rarissime sur une pièce en euros et cela s’explique sans doute par le fait qu’il s’appelle, providentiellement, José de Guimarães. On l’aura compris, Guimarães est bien le thème de la pièce : le cahier des charges a été respecté.
Mais graphiquement, la place centrale revient au Roi Afonso Henriques. Il y est représenté d’une manière extrêmement stylisée : on ne voit de lui que son heaume, son épée divise la pièce en deux en couvrant une partie de son visage et l’absence de tout attribut royal pourrait le faire passer pour un chevalier ordinaire. Simplicité radicale dans la symbolique et dans le design, que personnellement j’aime beaucoup.
En fait, Afonso Henriques et Guimarães sont deux sujets étroitement liés. Si Afonso Henriques, roi de 1139 à 1185, a été le fondateur de la nation portugaise, Guimarães en a été le berceau. La ville a été la capitale du Portugal depuis le début du règne d’Afonso Henriques jusqu’en 1255, date à laquelle le Roi Afonso III l’a transférée à Lisbonne. Guimarães appelle, en quelque sorte, la présence du roi sur sa pièce et lui donne sa légitimité.
Cette légitimité est d’autant plus forte que le thème de la pièce est une rareté, tant les pièces commémoratives portugaises sont engagées dans des sujets sociaux et républicains. Je citerai, entre autres, la présidence portugaise de l’Union européenne (2007), le 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (2008), le 100e anniversaire de la République portugaise (2010, voir ci-dessous), le 40e anniversaire de la Révolution des Œillets (2014) et l’année internationale de l’agriculture familiale (2014).
Dans une telle ambiance numismatique, frapper une pièce à l’effigie d’un roi du XIIe siècle faisait figure d’exception et ne pouvait en aucun cas passer pour de la dissidence vis-à-vis de la république. C’est pourquoi on peut dire que cette pièce portugaise résume les conditions qui permettent de rendre acceptable la présence d’une figure royale sur une pièce républicaine :
– prendre un personnage royal fédérateur, exempt de toute controverse
– le choisir assez loin dans le temps pour éviter toute nostalgie (dans le cas présent, il y a une distance de plus de 800 ans, c’est parfait)
– le représenter de manière à ce qu’il figure plus comme un symbole que comme un personnage de chair et de sang
– ne pas faire de lui le sujet officiel de la pièce, mais s’en servir plutôt comme faire-valoir du sujet officiel
– frapper cette pièce au milieu d’une série d’autres qui ne peuvent aucunement être soupçonnées de complaisance vis-à-vis de la royauté.
Cette recette, en variant les ingrédients et les proportions au gré des sensibilités nationales, devrait pouvoir servir à toutes les républiques qui souhaiteraient honorer une personnalité royale. (Merci à Sedna pour cet article)
Philippe Delorme
20 mai 2014 @ 07:14
La France avait déjà montré l’exemple, dès 1987, en faisant figurer Hugues Capet sur une magnifique pièce de 10 francs, sur semis de fleurs de lys :
http://static-numista.com/catalogue/photos/france/g318.jpg
PHD
Denis
20 mai 2014 @ 13:58
…dont le revers » république française » signalait l’antinomie entre les deux faces !
Claude Patricia
24 mai 2014 @ 12:20
Bonjour à tous,
Oui, cher Philippe! Ce fut une belle pièce.
Philippe Delorme
20 mai 2014 @ 07:16
Et aussi Henri IV l’an dernier, avec une pièce de 50 euros (qui n’a pas circulé) : http://www.numisunivers.com/images/Image/50_Euro_2013_-_Henri_IV_Numis_1379447831.jpg
PHD
sedna
20 mai 2014 @ 21:19
Bonsoir,
Je découvre ces deux pièces, mon domaine de compétence étant volontairement circonscrit aux pièces en euros en circulation (objets d’une communication au Journal officiel de l’Union européenne).
Merci de les avoir fait connaître
Bien cordialement
Sedna
Zeugma
20 mai 2014 @ 08:51
Merci pour cette information qui met en lumière l’histoire fascinante du Portugal.
Le roi Alphonse sortit définitivement le Portugal du long processus d’implosion-explosion qui créa l »Espagne dont les rois passèrent leur vie à rassembler des provinces qui retrouvaient leur autonomie à la mort du souverain, le roi suivant étant obligé de reprendre le travail d’unification.
Le Portugal est indépendant depuis le roi Alphonse, si l’on fait abstraction des années 1580-1598 où le roi d’Espagne, Philippe II unit brièvement la péninsule ibérique dans un Etat unique.
Alors que l’unité de l’Espagne est encore aujourd’hui menacée par les séparatismes, le Portugal est aujourd’hui le Pays d’Europe qui a les plus anciennes frontières, inchangées depuis des siècles.
J’aime beaucoup le Portugal et éprouve une immense admiration pour son passé glorieux.
flabemont8
21 mai 2014 @ 14:46
Tout à fait, Zeugma, vous aviez effectué une visite à Lisbonne et votre récit était si enthousiaste ( et enthousiasmant ) que je vous avais proposé d’en parler à Régine et de nous faire un reportage…ce serait plaisant !
flabemont8
20 mai 2014 @ 11:50
Pièce sobre et belle .Merci pour les explications historiques et graphiques .
Francine du Canada
20 mai 2014 @ 13:07
Merci Régine et Sedna pour cet article. Je n’aurais jamais crû que je puisses m’intéresser à la numismatique mais vos reportages sont tellement intéressants que ça donne envie d’en connaître davantage.
Merci également à Philippe Delorme pour les deux liens. Bonne journée à vous tous, FdC
Livia
20 mai 2014 @ 14:59
Merci à Seda ainsi qu’aux intervenants.
Claude Patricia
23 mai 2014 @ 09:01
Bonjour à tous,
Merci beaucoup Sedna. Je savais bien que ce nom de ville et de famille écrit aux dos de certains documents étaient bien reliés à des documents de famille. Donc je suis logique dans mes recherches historiques.
Claude Patricia
23 mai 2014 @ 19:44
Rebonsoir à tous,
je continue mon récit
« Et (l’auteur de l’article, Gérard de Beauregard s’exprime toujours), je ne puis me souvenir sans émotion d’une phrase, que nous dit la reine Amélie (née Orléans) quand au moi de mai dernier, Sa Majesté nous fit l’honneur de nous recevoir, mon excellent ami Louis de Fouchier et moi. Comme nous arrivions de Villaviçosa et que je lui dit notre ravissement de ce coin idyllique d’Alemtejo, la reine répondit : « ah oui, Villaviçosa : quel charmant pays! Comme on y est tranquille! comme on s’y sent chez soi! » L’infortunée princesse repensera souvent à la « maison de famille » où elle aura vécu sa dernière journée heureuse.
Comme à chaque retour, la famille royale a pris le train dans la petite gare, à un quart de lieu du château.
Passant par la vielle et vénérable cité d’Evora, elle a rejoint la ligne du sud à Casa Branca, puis a longé la colline féodale de Palmella et atteint le Tage à Barreiro, au sud et en face de Lisbonne.
Là, un petit vapeur traverse la Mer de Paille, en une demi-heure, et dépose les voyageurs au débarquadère de la place du commerce. On raconte qu’en approchant du quai, la Reine, à l’avant du bateau, souriait et faisait des signes à son second fils, Dom Manuel, rentré à Lisbonne quelques jours avant, pour ses études militaires, et qui attendait sur le ponton. e fut pour bien longtemps son dernier sourire…
En mettant pied à terre, après avoir embrassé son fils, elle reçut un bouquet, celui-là même dont elle se servit, un instant plus tard, pour repousser les assassins. Des fleurs contre des balles!…
Après une longue conversation du roi avec son ministre, Joâo Franco, les souverains et leurs deux fils montèrent dans un landau découvert.
Rarement, les époux sortaient ensemble en apparat, parce que Dom Carlos, dans un scndale sucité, en sa présence dans les arènes des taureaux, se produisait peu en public et semblait éviter de fournir l’occasion de manifestations pénibles, que les plus fougueux adversaires du régime avaient du moins toujours épargnées à la reine. La malheureuse aura payé, en une fois, ces égards et ces ménagements.
Du Tage, le cortège contourna le gros pavillon du ministère de la Guerre, longea les arcades de la place du commerce et parvint au coin de la rue de l’arsenal, où se trouve le bureau central des Postes et Télégraphes.
Là se produisit le drame affreux que tout le monde connaît à l’heure actuelle : un premier assassin sur la voiture royale et tirant à bout portant sur le roi, puis d’autres s’élançant d’une autre arcade et visant le Duc de Bragance et le prince Manoel. Au milieu des détonations, des cris et des désordres qu’on peut imaginer, on vit la reine debout, ses fleurs à la main, les brandissant, puis les jetant contre les régicides, appelant, suppliant de la voix et du geste, tandis que Dom Carlos, râlant, inondé de sang, s’abattait sur le coussin.
Dès que l’on put se reconnaître, les postillons, enlevant l’attelage, franchirent les 100 mètres qui séparent la place du Commerce de l’Hôtel de Ville, et s’engouffrèrent au galop sous le porche de l’arsenal de la marine ouvert en hâte. Le Duc d’Oporto, frère du roi, qui selon son habitude, suivait dans son automobile, avait mis pied à terre et courait, révolver au poing, dans le tumulte, tandis que la police, trop peu nombreuse, et un officier d’ordonnance abattaient sur place deux des meurtriers et peut-être un innocent.
Il y eu alors, sur l’esplanade, un sauve-qui-peut éperdu, des bousculades de foule, des piétinements sauvages. Les curieux fuyaient de toutes parts, se cachaient derrière les piliers des ministères, derrière la statue de Joseph I …On ne saurait décrire l’abomination de ces deux minutes qui furent si longues!
Au surplus, les détails en ont déjà été partout publiés.
Pendant ce temps, le Tage, dans les ombres du soir, demeurait silencieux et serein; la place, en moins d’un quart d’heure, était devenue déserte; les fuyards portaient à travers Lisbonne la nouvelle que quelque chose d’épouvantable venait de se passer.
Quel contraste avec l’animation vivante et joyeuse de la rue Augusta, de la rue Aurea, de toutes les voies d’alentour où, maintenant, circule la police et galopent les lanciers de la garde! Le moment était propice pour la diffusion foudroyante de l’évènement. A cinq heure et demie de l’après-midi, tout Lisbonne est dehors; en quelques secondes ce fut le vide et la consternation.
Il y avait un autre contraste auquel personne ne songeait, mais qui pourtant était, à lui seul, d’une bien tragique éloquence.
Jadis, sur cette place du Commerce, l’orgueil de Lisbonne, qu’on nomme aussi Terreiro do Paço (place du palais) s’élevait le Paço da Ribeira (place de la rivière) dont l’entrée était précisément sur l’emplacement du coin fatal. C’était la demeure des rois de la dynastie d’Aviz; c’était aussi la demeure des vice-rois espagnols quand le Portugal perdit momentanément son indépendance. Il a disparu lors du tremblement de terre de 1755. Or le 1er décembre 1640, après un complot soigneusement préparé, les patriotes envahirent le palais, en chassèrent le ministre Varconcellas, portugais traître à son pays qu’il tyrannisait pour le compte de l’Espagne.
Pendant ce temps, Jean, duc de Bragance, était retenu à Villaviçosa qu’il habitait, et il accourait à franc étrier. Il passa le Tage, débarqua à Lisbonne et entra au palais où l’on l’acclama roi sous le nom de Jean IV.
N’est-il pas saisissant de voir, à deux ans soixante-sept ans de distance, deux Ducs de Bragance, le premier, fondateur de la dynastie, l’autre, qui en était l’un des derniers rejetons (j’aime beaucoup ces mots), partir du même lieu, suivre le même chemin, débarquer au même point et s’arrêter exactement l’un pour trouver, Jean le diadème et l’espérance, Louis-Philippe, la plus terrible des morts!
Du moins, en 1640, la duchesse de Mantoue fut-elle respectée et reconduite à la frontière, tandis que, seul le renégat recevait le prix de sa trahison. En 1908, il n’y avait point de traître à châtier, point d’étranger à mettre dehors-et l’on sait ce qu’il advint. On dira que le progrès a fait les mœurs plus douces et l’esprit plus humain.
Article donc, signé Gérard de Beauregard.
Claude Patricia
26 mai 2014 @ 16:03
Les premiers actes publiques du roi du Portugal (9 mai 1908)
Le samedi 25 avril, le roi Dom Manuel sortait du palais des Necissades pour la première fois depuis le drame effroyable où son père et son frère trouvèrent la mort, où lui-même failli être tué. Il allait, en compagnie de la reine-mère Dona Amélie, de son oncle, le duc d’Oporto, remplir un pieux devoir, assister, à l’antique monastère des Jeronimos, à Belem, à la messe de Requiem célébrée pour le repos de l’âme du roi Carlos et du prince Louis-Philippe.
Lisbonne, comme aux jours tragiques qui suivirent le régicide était en deuil : on avait mis les drapeaux en berne et de quart d’heure en quart d’heure, les navires de guerre à l’ancre dans le Tage tiraient des salves de canon.
Dans le décor presque trop joli, trop ciselé de l’admirable église, où l’on avait édifié un immense catafalque, ce fut une cérémonie impressionnante, et la plupart des assistants ne cherchaient pas à dissimuler leur émotion poignante. Si le roi ne pleura pas, ce fut sans doute qu’il fit sur lui-même un grand effort; mais la reine Amélie ne put retenir ses larmes, et quand le service terminé, elle apparut sur le parvis derrière son fils, les yeux rougis sous ses voiles de crêpe, les assistants furent profondément remués. Il y avait dans les saluts de la foule au retour, avec beaucoup de respect, une nuance de douloureuse sympathie. Quant à la vielle reine Maria-Pia, malade, elle n’avait pas eu la force de quitter même son palais d’Ajuda, et ce fut de loin qu’elle s’associa aux prières qui montaient vers les voûtes fleuronnées des Jeronymos.
A quelque jours de là, le mercredi 29 avril, le jeune roi ouvrait solennellement les Cortès. Cette cérémonie officielle ne fut pas moins émouvante.
L’artillerie des forts, celle des navires tonnaient encore, tandis que le carrosse d’apparat, qui amenait le roi allait, escorté d’une brigade de cavalerie, des Necessidades au palais des Cortes. Au seuil, la grande députation des Chambres et toute la cour attendaient le souverain et lui firent cortège jusqu’à la salle des séances.
Il y entra précédé du Grand-Enseigne, portant l’étendard royal, et de l’infant Alphonse duc d’Oporto, connétable du royaume, tenant l’épée nue. Lorsqu’il eut monté les degrés du trône, l’infant se plaça à sa droite, l’épée toujours levée, le Grand-Enseigne à droite avec l’étendard. Les titulaires des grandes charges de la cour se groupèrent de chaque côté du dais royal. Sept fauteuil avaient été disposés dans l’hémicycle, face au roi, pour les ministres.
Le roi s’assit, et commença la lecture de son discours. Quel écho ne dut pas éveiller, chez ceux qui l’écoutaient, le passage où il évoqua « l’épisode terrifiant du martyre d’un souverain » où il exprima » sa détresse et sa douleur ».
En termes excellents, le jeune souverain traça aux pairs et aux députés un programme de travail très sage et aussi très vaste. Et il termina en faisant un appel éloquent au dévouement et au patriotisme du Parlement, exprimant d’un accent résolu la volonté « de régner comme l’ordonne la loi ».
Un cri de « vive le roi! » poussé par les pairs et les députés, et répété par toute l’assistance, salua cette péroraison. Puis le roi se retira, en grand cérémonial, pour rentrer au palais des Necessidades. Sur tout le parcours, il fut respectueusement salué et fréquemment acclamé.
Claude Patricia
28 mai 2014 @ 13:04
La révolution en Portugal (8 octobre 1910)
La révolution a éclaté en Portugal. Lisbonne a proclamé la République, et un gouvernement provisoire, composé des chefs du parti républicain sous la présidence de M. Théophile Braga, s’est substitué aux autorités monarchiques.
Le signal du mouvement aurait été donné dans la nuit de lundi par une salve de 21 coups de canon. Une foule nombreuse se répandit aussitôt dans la ville en appelant aux armes. Après deux jours de lutte dans les rues, les insurgés, auxquels dès le premier moment s’étaient ralliés les navires de guerre ancrés dans le Tage et une partie de la garnison, se sont rendus maîtres de la ville et du palais royal sur lequel flotte maintenant le drapeau républicain.
A l’heure où nous mettons sous presse, les renseignements qui nous parviennent sur le roi Manoel et la famille royale – hors de danger en tout cas, semble – t -il, manque de concordance et de précision. Mais il paraît bien que la chute de la monarchie portugaise soit un fait accompli.
Ce fait révolutionnaire n’était rien moins qu’inattendu. Depuis le double attentat du ier février 1908 où son père et son frère aîné, en même temps, trouvèrent la mort et à la suite duquel il avait été soudainement porté au pouvoir, le jeune roi dom Manoel n’avait gouverné qu’au milieu des plus graves et des plus persistantes difficultés.
Les récentes élections législatives, tout en donnant au cabinet Teixera de Souza, en fonctions depuis le mois de juillet dernier, une légère majorité, avaient envoyé au Parlement une minorité républicaine redoutable. L’agitation n’avait fait que s’accroître, et la veille même du jour où la révolution fit explosion, on signalait des troubles à Lisbonne et à Oporto. Un incident malheureux a dû mettre le feu aux poudres. Ce fut sans doute, le meurtre du docteur Bombarda, directeur de l’hôpital d’aliénés de Lisbonne et député républicain de cette ville, par un de ses anciens malades, le lieutenant Rebello Santos.
Notons que, cette fois, le mouvement est dirigé contre un principe et un régime et non point spécialement contre la personne du jeune souverain de vingt ans que l’on a toujours vu simple, bienveillant, affectueux pour les humbles et dont on n’a jamais mis en doute le bon voulir, le désir sincère mais impuissant, d’assurer le bonheur de son pays.
Claude Patricia
28 mai 2014 @ 13:58
La fin d’une monarchie (15 octobre 1910)
S’il ne s’agissait de l’avenir de tout un peuple, et d’un peuple travailleur, brave, industrieux, charmant, l’un des plus sympathique que je connaisse, cette aventure qui vient se dénouer ici apparaîtrait infiniment banale et plate et dénuée de tout intérêt.
En face l’un de l’autre, un parti longuement, méthodiquement organisé, dans des conditions de mystère qui, selon le point de vue où l’on se place, étonnent ou scandalisent, et une autorité affaiblie, déconsidérée, un gouvernement qui s’est abandonné lui-même et qui, comme de raison, a été trahi abondamment; une brève bataille de rue qui n’a pas fait en tout, tués et blessés, un demi-millier de victimes, ce qui met à fort bas prix les libertés que d’autres ont achetées si chèrement; enfin la fuite, sans grandeur, des anciens maîtres du pays, voilà en somme, le résumé des évènements qui m’ont amené ici.
Je reviens, pour écrire ces lignes, d’une manifestation où, tout à l’heure, on fêtait les vainqueurs de ces journées sanglantes à peine. Aux lieux mêmes où se décidèrent la déroute de la dynastie de Bragance et la victoire des républicains, à la place du marquis de Pombal, les membres du gouvernement provisoire sont allés rendre hommage aux combattants désintéressés dont l’héroisme les a porté au pouvoir. Le geste est sentimental et touchant. Il augure, en Portugal, au moins une politique de reconnaissance qu’ont ignorée trop manifestement, les anciens serviteurs de la monarchie évanouie.
Cette fête fut sans apparat ; divertissement d’un admirable après-midi dominical, ensoleillé, allègre. Tout le long de l’Avenida – l’Avenue de la Liberté – une foule bien calme s’en allait, remontant vers la place désormais illustre où se dénouèrent les destinées du pays, palpant, caressant des éraflures luisantes dans le bronze des candélabres, les blessures mortelles des pauvres arbres fauchés par les coups de mitrailleuses, comptant, aux murailles, les traces des balles, et levant le nez vers l’obélisque d’où un obus fantaisiste effaça la couronne royale, laissant à sa place une éclaboussure noire.
A la place du marquis de Pombal, encombrées encore de la paille des bivouacs et des débris d’enfantines barricades, on avait groupé, autour d’un mât où flottait le drapeau, violent en couleurs de la république, vert et rouge, les représentants des corps héroique (Je vous prie de bien vouloir m’excuser pour les fautes, je bataille « sec » par moi-même pour me souvenir de la manipulation de mon clavier, honnêtement).
Ils piétinaient le peu qui reste d’un massif de balisiers, tout rond au milieu de la place circulaire. On se montrait, rebelle à la photographie et se masquant le visage de sa casquette, à la vue d’un objectif, le plus illustre d’entre eux, mêlé au cortège officiel, le commissaire de marine Machados dos Santos, l’organisateur, le stratège de cette facile échaffourée : ce fut à lui, en bonne justice, qu’alla le meilleur des félicitations des représentants du gouvernement provisoire. Il les accepta avec modestie, et ceux qui les lui offraient ne mirent, dans l’accomplissement de ce devoir de gratitude, nulle emphase non plus. Une attention qu’eurent pour eux les combattants faillit, pourtant être funeste : au moment où arrivait le président éventuel de la République portugaise, l’actuel président du Conseil, M. Théophile Braga, une salve d’artillerie éclata. Ce fut une belle panique, qui se répercuta à un kilomètre de la fête, jusqu’au centre de la ville. Personne ne douta que ce fut la réaction qui tentait un retour offensif et qui choisissait juste cet instant pour recommencer la bataille…On faisait beaucoup d’honneur à la réaction.
Claude Patricia
29 mai 2014 @ 20:56
Nous sommes toujours à la suite de « la fin d’une monarchie »
La lutte
Que le complot qui aboutit si prestement à la chute de la monarchie ait pu s’ourdir aussi tranquillement dans l’ombre, c’est un fait dont on peut s’émerveiller à loisir. Quelques minimes que puissent être les dépenses de l’ancien régime pour sa police, il n’en avait pas pour son argent. Si la reine Amélie avait pu prévoir que son fils courait le moindre danger, elle ne fût pas aller se reposer quelques jours à sa résidence favorite de Cintra, laissant en son modeste palais des Nessecidades qui, rose et blanc, domine le Tage, « l’objet de tant de soins », ainsi que le disait sainte Monique; et le roi Manoel reposait sans doute bien tranquille, dans la nuit du 3 au 4 octobre, quand on vint lui apprendre que l’émeute grondait à quelques pas de lui.
Cependant, il se passait ceci : que les républicains, fortement organisés depuis longtemps, que le peuple, conduit par quelques chefs, s’était rendu à la caserne du 16 ieme d’infanterie et avait, non sans quelque peine, entraîné les soldats à la sédition; puis au quartier du 1er régiment, où il avait eu, après les mêmes hésitations, le même succès; et les deux régiments, avec la foule bien armée, pourvue de fusils et de munitions puisés en abondance dans les magasins des deux casernes, étaient venus occuper, au haut de l’avenida da Liberdade, la place du marquis de Pombal, position stratégique admirablement choisie, qui fut le centre du combat.
Ce fut contre ce point qu’aux premières heures du jour, les troupes demeurées fidèles, – les 2ieme et 5ieme chasseurs à pied, les 1er et 5ieme d’infanterie, et la garde municipale, enfin analogue à notre garde républicaine, et dont la conduite loyale fut digne de tous les respects,- massées au bas de l’avenue, dans le quarier
le plus vivant de la ville, le Rocio, la place de Figuiera, les abords de la gare centrale, s’engagea la lutte. Elle allait durer deux jours, avec des alternatives, l’intervention, notamment de l’arillerie de Queluz, établie tour à tour au dessus du parc Edouard VII, où se termine l’Avenida, à la Penha de França ou dans la quartier de la Graça.
Dans le même temps que commençait la bataille des rues, la marine, véhémentement hostile au gouvernement, républicaine, révolutionnaire depuis la révolte du Gasco da Gama, dont l’équipage eut l’insigne honneur d’inventer le genre de sédition que devaient renouveler, en Russie, les marins du Kniaz Potemkin la marine commençait à jouer son rôle, qui allait être décisif. De la part des commandants des deux croiseurs cuirassés Saô Rafael et Adamastor mouillés dans le Tage, ainsi que le Dom Carlos, qui devait demeurer quelques heures encore fidèle, un ultimatum parvenait au commandant du palais des Necissidades, lui enjoignant de se rendre et d’emener le pavillon royal écarlate.
A suivre! Bonne soirée à vous!
Claude-Patricia
31 mai 2014 @ 14:57
Bonjour à tous
Suite :
La réponse fut un dédaigneux refus. Alors après trois coups à blanc, les coups de sommation, tranquillement, sur une eau calme, ensoleillée, les deux navires, arborant déjà le pavillon révolutionnaire, et évoluant avec méthode, lâchèrent leurs bordées, bâbord, tribord, sur le palais blanc et rose. Leur tir fut, il faut le dire, assez peu efficace. Il apparut à un témoin très calme de ce bombardement, un loyal serviteur du trône, un vieil ami qui me le contait en détail, que les munitions de la marine n’étaient guère de meilleure qualité que le flair des policiers royaux. Au reste, il n’y a pour s’en rendre compte, qu’à contempler l’aspect actuel du palais à peine touché par queque uns des projectiles qu’on fit un beau matin, pleuvoir sur lui.
Mais dès les premiers coups importants, le Roi Manoel, incité par ses ministres à quitter son palais, suivait ce conseil et partait pour Mafra, une de ses résidences.
La révolution avait la partie belle.
De l’encoignure d’où il suivait les péripéties du drame, non loin de là, vers Ajuda, mon ami vit s’abaisser l’étendard rouge des Bragances, sa drisse coupée par un obus heureux; peu après le drapeau vert et rouge le remplaçait. La garde municipale, les deux régiments de cavalerie numéros 2 et 4 établis aux abords du palais, resistèrent encore un moment aux attaques des croiseurs, à celle des marins du dépôt, qui avaient pris position aux docks d’Alcantara, au pied de la colline que dominent les Necessidades. Puis leur feu s’éteignit, alors les marins, les fusiliers demeurés à terre, et les compagnies de débarquement des croiseurs, -après avoir enlevé, de nuit la réddition du Dom Carlos, fidèle, mais inerte auprès de ses deux frères rebelles – purent, au matin du 4, s’en aller donner donner la main aux combattants de la place du Marquis de Pombal : des canots les débarquèrent au Terreiro de Paço, la porte triomphale de la cité, la belle place à l’angle de laquelle se déroula la tragédie du 1er février 1908 et par les rues parallèles du quartier du commerce, s’en virent prendre à revers les troupes loyalistes…Ce fut la fin d’un conflit assez peu meurtrier, au demeurant. Avant 9 heures, la République était proclamée à l’Hôtel de Ville. Dans la journée même, le gouvernement provisoire était formé sous la présidence de M.Théophile Braga; M. Bernardino Machado devenait ministre des Affaires étrangères.
Ainsi le fait était accompli.
C’était, en somme, une victoire populaire, car les forces militaires qui étaient du côté de la révolution – abstraction faite de la marine, lorsqu’elle donna, comme on la vu, au moment du suprême effort – était en petit nombre, comparativement : deux régiments contre tout le reste de la garnison. Et il faut rendre un hommage équitable à ces citoyens armés qui, même dans la victoire, furent calmes, et, en général, maîtres d’eux-mêmes.
Ils ne manifestèrent quelques nervosités obsidionales qu’à l’égard des couvents. Celui des religieuses de Quelhas, dans la nuit de vendredi à samedi, subit, bien qu’il ne se défendît pas, un siège en règle. Nous pûmes voir au matin, combien l’assaut avait été vigoureux contre ces murs clos, contre cette vieille tour criblée de trous. A l’intérieur des marins et de simples volontaires veillaient, exploraient les armoires, forçaient à la baionette les tabernacles, fouillaient l’édifice entier, à la recherche de ces cachettes mystérieuses ou de ces fameux souterrains que vous savez qui existent, inévitablement, dans toutes les maisons religieuses bien organisées, et se livraient à un tas de facéties d’un parfais mauvais goût. Mais la vaste maison était vide de ses anciens hôtes.
On a je crois, raconté plusieurs aventures de couvents assiégés pareillement, et bien fortifiés, offrant une vigoureuse résistance. Pure légende : le lieutenant du gouverneur militaire m’a affirmé que sur un seul point il y avait eu deux coups de feu tirés par des moines contre la force publique, mais pas à Quelhas. Il faudra maintenant resserrer un peu la discipline dans l’armée régulière, désarmer le plus tôt possible ses auxilaires improvisés, et le peuple de lisbonne pourra attendre, en patience, les bienfaits du nouveau régime…
Sur la route de l’exil
Une fois terminée l’affaire, le gouvernement provisoire installé dans les palais des divers ministères, accueillant et simple, on s’inquiéta du sort de la famille royale. Elle était loin, hors d’atteinte, et ce fut, au surplus pour ces hommes, un soucis de moins que de n’avoir plus à s’en préoccuper. On avait vu le yacht royal Amelia, mouillé dans le Tage, à la hauteur de Belem, non loin des autres navires, allumer ses feux, chauffer, puis lever l’ancre, sans chercher même à lui demander où il allait. Ce fut lui qui assura la fuite des deux reines Maria Pia et Dona Amélie, du roi et de l’infant Alphonse.
A suivre!
Claude-Patricia
2 juin 2014 @ 14:18
Les événements avaient surpris la famille royale disséminée sur divers points. Tandis que le roi demeurait au palais des Necessidades, retenu par ses devoirs, la reine Maria-Pia se reposait dans sa maison des champs, son petit chalet d’Estoril, près de Cascaes, au bord du Tage; la reine Amélie était à Cintra, son séjour de prédilection; l’infant Alphonse, héritier du trône,…on ne sait où,- mais il fut le premier à arriver à bord du yacht royal.
Dès les premiers coups de feu, le gouvernement avait exhorté, on l’a vu, le roi Manoel à quitter les Necessidades et la capitale. Il s’y résolu dès que deux obus eurent atteint le palais. Une automobile le conduisit, accompagné du comte de Sabugosa, grand-maître de la cour, du capitaine de frégate Caldeira, son aide de camps, et d’une escorte réduite de lanciers, au château de mafra, qui allait être son asile en terre portugaise. La reine Maria-Pia, informée de ce déplacement et au courant par ailleurs des troubles, quittait, sitôt après déjeuner, Estoril pour aller voir son petit-fils. Déjà l’abandon précurseur de l’infortune se faisait autour d’elle : son veador, son écuyer, n’avait pas paru de la matinée, et elle fut partie seule, avec sa dame d’honneur, la comtesse d’Unhâo, si un galant homme, le comte de Mesquitella, ne lui eût offert, et respectueusement imposé même ses services, car elle comptait, dit-elle, revenir vers quatre heures, après avoir embrassé son petit-fils et s’en allait en tenue de promenade, simplement.
A Mafra, elle rencontrait la reine Amélie, accourue, elle aussi, vers son fils. Elle avait reçu à Cintra des nouvelles très alarmantes et dissipa l’optimisme de la vieille reine au point que celle-ci ne songea plus à retourner à Estoril. Puis elle repartit à Cintra, vaillamment.
Le lendemain, elle revenait, résolue à la fuite. Elle avait fait ses préparatifs, apportait un tout petit bagage. Sa dévouée femme de chambre française, Mme girard, l’accompagnait. Le yacht royal, portant déjà à son bord l’infant Alphonse, était mouillé à Ericeira souriante petite plage atlantique. Ce fut de là que les deux reines et le roi partirent pour l’exil.
J’ai voulu voir ces lieux où se joua le dernier acte d’un règne désormais impossible. J’ai suivi, mélancolique pèlerinage, la route qu’avait prise, quelques heures avant moi le jeune roi, prêt à abandonner sa patrie. L’automne souriait comme à Olympio; un automne d’une ineffable douceur, avec un ciel de saphir pâle versant sur toutes choses une lumière alanguie, attendrissante : sur les arbres touchés à peine d’or, sur les collines aux molles pentes, sur les vignes fauves, où s’empressait ce peuple de noirs vendangeurs, de paysans jadis prosternés sur le passage des équipages royaux et qui, peut-être, la veille, n’avaient pas daigné reconnaître leur souverain qui s’enfuyait, leurs reines en proie au malheur.
Juché au haut d’une aire, Cintra découpait dans l’azur défaillant sa silhouette dentelée, baroque, orientale, ses coupoles et sa tour, sur laquelle flottait, à la place de l’étendard écarlate de bragance, le brutal pavillon vert et rouge.
Le soir venait; la lande par degrés s’assombrissait; la blonde lumière de cet émouvant crépuscule ne caressait plus que les crêtes arrondies des coteaux, dont les flancs se drapaient de mauve, puis de pourpre sombre.
A suivre…
Claude Patricia
4 juin 2014 @ 14:54
Bonjour à tous,
Suite du récit.
L’adorable paysage, dans la sérénité de cette fin de jour! Et comme son souvenir est pour emplir à jamais d’un nostalgique regret le cœur de ces exilés dont les yeux l’ont contemplé naguère pour la dernière fois sans doute!
L’étroite plage d’Ericeira, jusqu’où, le 5 octobre, la petite troupe des vingt cavaliers indéfectibles vint accompagner son roi fugitif et ses deux reines, étend son tapis de sable clair au bas de hautes falaises granitiques qui l’enserrent en hémicycle, et les vagues y viennent mourir en larges nappes écumeuses.
Un aimable jeune homme qui, avec toute la population, très loyaliste, d’Ericeira, vit les reines et le roi détrôné s’embarquer dans deux grandes barques de pêche échouées sur la grève, M;Fransisco da Gama Ochôa, fils d’un conseiller à la cour de cassation, m’a conté par le menu cette scène de tristesse.
Par la rampe en pente douce qui donne accèsà la plage, le groupe auguste exilés, avec la petite poignée de fidèle, associés jusqu’à ce moment suprême à leur infortune, descendit vers la mer houleuse, où roulait et tanguait là-bas au large, le yacht Amelia, battant pavillon du royaume de Portugal. La reine Maria-Pia marchait en tête, au bras du conte de Mesquitella, dont le dévouement recevait là une suprême et douloureuse récompense. Le roi, la reine Amélie venaient à quelques rangs plus loin. La foule, là-haut, penchée au dessus du parapet de pierres, regardait, respectueuse, ce dramatique cortège.
On dit qu’en s’embarquant à Belem, la veille, l’infant Alphonse avait pleuré. On se fût moins étonné de voir des larmes aux yeux de ces deux femmes et de cet enfant. Manoel II avait les yeux secs, mais semblait las et accablé. La reine Maria-Pia, au moment de dire à sa patrie d’adoption, où elle avait été jadis si heureuse, un adieu éternel, avait fait prendre chez un boulanger d’Eiceira un pain commun, le pain des paysan, si savoureux au palais des humbles qui le mangeaient au coin de leur foyer natal, une « boule » grossière, qu’elle emportait sous son bras, comme un souvenir. La reine Amélie-qui fut vraiment, dans ces circonstances, pour reprendre le mot fameux qu’appliquait l’empereur à une autre princesse de sa race « le seul homme de la famille »- la reine Amélie demeura droite, ferme, opposant à l’adversité un front impassible. On eût dit qu’à un moment donné qu’elle allait refuser de s’embarquer, refuser d’abandonner la partie, de déserter le devoir si rude : « va devant », disait-elle au roi qui, veule, indécis les mains dans les poches, son chapeau de feutre vert rabattu sur les yeux, allait d’un pad hésitant vers la barque qu’on armait. Et on entendit encore la vaillante femme dire en français : « c’est une infamie! » et puis se tournant vers la terre : « au revoir! ».
Mais son fils avait murmuré le décisif « Adieux! A jamais » de l’homme qui renonce, puis avait pris place dans le bateau aux bancs grossiers, pas même recouverts d’un chiffon, où le commandant Caldeira l’avait suivi et s’était assis à sa gauche. Alors le coeur de cette mère ne balança plus : elle suivit l’enfant de sa chair, que déjà la barque emportait vers le large, vers quelle patrie nouvelle, quelle terre accueillante, mais pour lui sans chaleur et sans sourires! Et le second canot fut lancé par des bras vigoureux dans le sillage du premier sur la mer orageuse…
J’ai bien peur qu’un tel récit, même illustré des impressionnants lichés qu’eut le bonheur de prendre un habile photographe du petit village désormais historique, ne vous paraisse bien froid, à distance, avec le recul. Je ne saurai vous dire de quelle émotion il m’emplit, dans la pauvre salle d’auberge où je l’écoutais, sous les solives de chêne d’un logis familial où des générations et des générations se succèderont en
paix, mes yeux pleins des visions de ces sites exquis que je venais de parcourir. Au fond, tout au fond, je comprenais, à cette heure-là, les larmes de l’infant Alphonse;
j’eusse approuvé que le roi eût pleuré. Car comment abandonner sans que le cœur vous défaille ce pays entre tous séduisant et doux, où les hommes semblent si bons, où la terre est si belle, le ciel si limpide, la lumière si caressante! L’une des plus délicieuse patrie qui soient au monde!
Article signé Gustave Babin.
Claude Patricia
4 juin 2014 @ 15:37
Lendemain de révolution. (22 octobre 1910)
Le surlendemain, il abordait une terre étrangère. Le jeudi, à la nuit tombée, du pont de l’Amelia, ils purent apercevoir au loin les feux de Gibraltar, et à 9heures, ils jetaient l’ancre devant la rébarbative forteresse anglaise, leur première escale dans l’exil.
Ils y furent accueillis avec tous les égards dus à leur rang et à leur infortune. A peine le yacht royal était-il mouillé que les premières autorités maritimes les venaient saluer à bord de la part du gouverneur, Sir Archibald Hunter.
Le roi banni, les deux reines et l’infant demeurèrent sur l’Amelia jusqu’au 9 octobre. Mais celui-ci, navire de l’Etat devait retourner à Lisbonne. Il leur fallait l’abandonner à son nouveau sort. Donc le dimanche matin, ils lui dirent, à lui et à son commandant, à son équipage dévoué, un dernier adieu. Une mouche du gouverneur britannique les vint prendre à bord. Au quai, des voitures les attendaient qui les conduisirent tout d’abord à l’église de Sainte-Marie-Couronnée, où ils désiraient entendre le service divin, célébré par le R.P. Grigg. Mais à leur arrivée, plus de clairons sonnants, plus de tambours battant aux champs. Plus d’étendard incliné au parvis sur leur passage. Et quand, après l’office, le R.P. Chiucota les accompagna jusqu’à la grille, à voir le simple groupe qu’il formaient, le roi attendant, le chapeau à la main, que sa mère eût pris place dans la voiture pour s’assoir à sa gauche, on eût dit queque jeune homme pieusement élevé, et qui ne saurait manquer au devoir d’accompagner, chaque dimanche, ses parents à la messe.
Les équipages amenèrent les exilés au palais du gouverneur où jusqu’à leur départ, Sir Archibald Hunter leur offrait l’ hospitalité. Dimanche, ils se séparaient; et tandis que le croiseur italien Regina Elena emmenait vers sa patrie la reine Maria Pia et son fils, la reine Amélie et le roi Manoel s’embarquaient sur le yacht royal Victoria and Albert, mis à leur disposition par le roi Georges pour les conduire en Angleterre.
Gustave Babin
La fin d’un roi en exil (9 juillet 1932)
L’ex-roi Manuel de Portugal est mort brusquement, le 2 juillet dans sa résidence de Twickenham, près de Londres, d’une affection foudroyante de la gorge. La veille encore, il avait assisté au tournoi de Wimbledon, car il était un fervent amateur de ce sport qu’il pratiquait régulièrement. Le lendemain, souffrant de la gorge, il s’alitait et ne devait plus se relever. L’ex-reine était à son chevet. Ce fut une mélancolique destinée que la sienne. A quarante-deux ans-il était né le 15 novembre 1889-il était le doyen des monarques en exil après avoir été le plus jeune des rois d’Europe.
Fils du Roi Dom Carlos et de la reine Amélie, elle-même fille du comte de Paris, il était de sang français par son origine maternelle.
En 1912, il avait épousé une nièce de Ferdinand de Roumanie, la princesse Augusta-Victoria de Hohenzollern-Sigmaringen, dont il n’a pas eu d’enfant. Il résidait tantôt au château de Sigmaringen, tantôt dans sa jolie propriété de Twickenham et faisait de fréquents séjours à Paris et à Cannes. Il aimait les arts, les lettres et les sports. Jamais il n’avait cherché, malgré toutes les convulsions qui, depuis son départ, agitèrent encore le Portugal à reconquérir un trône qu’il avait échangé sans trop de regret, semble-t-il, pour une existence éclectique.