Le 3 mai dernier, le Portugal a mis en circulation une pièce commémorative de 2 EUR pour célébrer l’équipe qui le représentera cette année aux Jeux olympiques de Rio. Le rapport entre les Jeux olympiques et le visuel de la pièce n’est pas immédiat : on ne voit pas d’athlète, ni de drapeau, ni de médaille. Le Portugal a osé un thème décalé – pourquoi pas ?
Une fois n’est pas coutume : je ne vais pas décrire la pièce telle qu’elle est, mais telle que je l’aurais souhaitée. C’est-à-dire sans la mention « Joana Vasconcelos » à gauche. Oublions-la pour le moment. J’y reviendrai plus tard.
La pièce représenterait alors une variante du « coração de Viana », d’un « cœur de Viana », Viana do Castelo étant une ville du nord du Portugal où l’art du filigrane s’est particulièrement développé. Il est intéressant de noter que l’entrée « filigrane » dans un dictionnaire français fait d’abord référence à la papeterie, alors que l’entrée « filigrana » dans un dictionnaire portugais fait d’abord référence à l’orfèvrerie. Et c’est bien d’orfèvrerie qu’il s’agit ici : c’est l’art qui consiste à entrelacer et souder de très fins fils d’or, d’argent ou de cuivre, et qui aboutit à des réalisations telles que celle que nous voyons ci-dessous.
Le motif du cœur en orfèvrerie se serait développé dans le nord du Portugal à partir du XVIIIe siècle, en même temps que la dévotion au Sacré-Cœur. Par ailleurs, l’or à cette époque commençait à arriver en grandes quantités du Brésil. Cet or a bien sûr permis à João V d’avoir une cour, des monuments et des fastes comparables à ceux de Louis XIV, mais il n’est pas étranger non plus au développement de l’orfèvrerie traditionnelle.
C’est sans enthousiasme que je reviens au motif exact et officiel de la pièce de 2 EUR : une œuvre d’art de Joana Vasconcelos pour célébrer l’équipe olympique.
Cette artiste portugaise est née en 1971. Ses créations traduisent entre autres ses préoccupations en matière de condition féminine. Elle avait été en 2012 invitée au château de Versailles, où elle avait exposé son œuvre suspendue « Coração Vermelho Independente» (« cœur rouge indépendant »), dont le motif s’inspire clairement des « cœurs de Viana » et qui est représenté sur la pièce.
C’est une pièce réalisée à base de couverts de plastique rouges, tordus de manière à imiter les fils du filigrane. Les formes sont plus échancrées sur le haut, plus sensuelles et plus voluptueuses de manière générale que les formes du « cœur de Viana ».
Pour résumer, la pièce commémorative rend hommage à l’artiste qui rend hommage à l’orfèvrerie traditionnelle. Pourquoi passer par un intermédiaire ? Je n’ai certes rien contre l’artiste mais j’aurais préféré que la pièce rende directement hommage au savoir-faire traditionnel portugais. Il me semble même que cela aurait été plus fédérateur, parce que tous les athlètes portugais connaissent l’art du filigrane et la représentation du « cœur de Viana ». J’ignore s’ils connaissent tous Joana Vasconcelos. Je serais curieuse de savoir ce que nos amis portugais en pensent. Après tout, ce sont peut-être les athlètes eux-mêmes qui ont choisi ce visuel. Il faudra que je me renseigne. (Merci à Sedna pour cet article)
DEB
16 mai 2016 @ 06:27
Je suis entièrement d’accord avec vous, Sedna, la référence l’orfèvrerie traditionnelle aurait suffit.
Je ne connaissais pas ces cœurs de Viana.
Merci pour vos explications.
JAusten
16 mai 2016 @ 07:17
Ah un peu de challenge pour Sedna :)
je trouve ce motif très beau et son modèle encore plus. Il me rappelle les croix en or filigrane que l’on pouvait trouver en Ethiopie à une certaine époque
http://i.ebayimg.com/00/s/MTM2NFgxMDc3/z/5OAAAOSwPcVVuduw/$_35.JPG
Caroline
16 mai 2016 @ 12:36
Sedna, toujours merci pour votre article admirablement détaillé et fort intéressant!
Cette pièce me rappelle un peu un des tatouages indiens!
framboiz 07
16 mai 2016 @ 13:14
J’en arrive à me demander , si vraiment, il n’y a pas une erreur, au niveau de la gravure…ou si les Portugais n’ont pas choisi ce cœur pour les maillots , par hasard ?
Juliette
16 mai 2016 @ 19:19
Terriblement intéressant, comme toujours avec Sedna. Votre analyse nous aide à décrypter les différentes pièces de monnaie. Merci à vous, et à Régine.
ciboulette
16 mai 2016 @ 21:22
Le cœur en orfèvrerie est d’une beauté à couper le souffle .
La pièce , du coup , paraît moins travaillée , et le nom n’est pas opportun .