Les années 1840 sont liées dans l’histoire du palais au nom de l’architecte suisse Bernard Simon. Ayant reçu la commande de reconstruire les orangeries situées des deux côtés de l’escalier d’honneur, il les remplaça par deux intérieurs nouveaux : le jardin d’hiver (qui ne nous est pas parvenu) et la Salon des Tapisseries dans le décor duquel furent utilisés des motifs de la Renaissance française.
Un bal grandiose donné le 8 février 1846 à l’occasion de la fin des travaux fut décrit en détail par le journaliste et écrivain B. Feodorov, témoignage précieux car il évoque le palais au zénith de sa magnificence.
Il compara le jardin d’hiver aux merveilles des 1000 et une nuits. mais la meilleure partie du décor fut constituée par les tapisseries qui valurent son nom au salon. D’après une légende de la famille, quatre tapisseries uniques des armoiries de Louis XIV avaient été offertes au prince Nikolaï.
Salon des Gobelins
Dans les années 1860, le nouveau propriétaire du palais, le prince Nikolaï Borissovitch Youssoupov le Jeune entreprit une nouvelle reconstruction de sa demeure. Ecrivain et cultivé, collectionneur passionné de joyaux et instruments de musique, il voulait approprier la vieille maison tant à ses propres besoins qu’aux goûts de l’époque.
Pour réaliser ses projets, il fixa son choix sur l’académicien architecte Hippolyte Monighetti. Dans une lettre du prince adressée à l’architecte et datée de la fin de 1857, on lit « Mon désir consiste à avoir à mes côtés un architecte sûr et doté d’un goût infaillible pour assumer la direction des travaux que j’envisage…« .
Un contrat fut signé le 3 janvier 1858, stipulant que l’architecte s’engageait à terminer en trois années les travaux de reconstruction de la maison pour une somme de 3,5 millions de roubles.
Parti en voyage, le prince dicte à l’architecte ses exigences en lui envoyant de Paris des dessins exécutés par l’architecte français Rouault sur « 47 grandes et de nombreuses petites feuilles ».
Les motifs orientaux étant très à la mode à l’époque, Monighetti les utilise à profusion dans le décor exotique du Salon Mauresque.
Détails du Salon Mauresque
Sur la « moitié du prince », Monighetti créa une enfilade de pièces dont la Salle de Henri II, le Cabinet Turc, l’Office, la Salle Musicale et la Salle des Cariatides.
Détail du Salon des Cariatides
Un ensemble original de miniatures architecturales se constitua dans les appartements de la princesse Zinaïda, fille du prince Nikolaï. L’enfilade s’ouvrait sur le Corridor Pompéien peint de motifs évoquant les fresques de Pompeï. Le Boudoir de la princesse et son Salon frappaient par la richesse de leur décor.
La Salle Persane semblait toute pénétrée de l’exotisme des pays orientaux, ce qui était mis en valeur par l’ameublement de la pièce et les objets d’art faisant partie de son décor.
Le Salon des Miroirs
La Chambre Bleue de la princesse
Le Boudoir de Porcelaine (cabinet de toilette)
Pour décorer leur palais, les Youssoupov ont acquis en Italie et en France des cheminées ouvragées en marbre, en onyx et en malachite, des instruments de musique, un superbe escalier en marbre de Carrare, des lustres…
Les travaux de reconstruction terminés, Karl Rusca dressa un plan d’accès d’après nature sur lequel figuraient toutes les pièces du palais avec leurs noms.
En même temps, l’artiste A. Redkovski peignit trente aquarelles représentant ses plus remarquables intérieurs qui, avec des aquarelles et dessins de Vassili Sadonikov, présentent un matériel iconographique permettant de reconstituer certaines pages de l’histoire du palais Youssoupov.
La restauration suivante du palais, entreprise en 1892-1894 et dirigée par l’architecte A. Stepanov, toucha tout l’ensemble des intérieurs. C’est alors que le jardin d’hiver fut remplacé par la Salle à Manger de Chêne et revêtue de panneaux sculptés en chêne fumé.
La Salle à manger de Chêne
Dans le théâtre, l’architecte abaissa le parterre, installa un bel escalier en marbre de Carrare avec une balustrade sculptée, enrichit l’ornementation, mettant ainsi un point final dans son décor.
De dimensions modestes, destinée à un cercle restreint d’habitués de la maison, la salle est décorée dans un faste voulu et accusant les traits d’un style rococo. Une composition allégorique représentant « Aurore venue remplacer la nuit » décore le plafond.
Toutes les peintures, y compris celle du rideau représentant le domaine Youssoupov à Arkhanguelskoïé, furent réalisés par Ernst Friedrich von Liphart.
Pareil à une tabatière pécieuse, ce théâtre garde le souvenir de Mikhaïl Glinka, Franz Liszt, Frédéric Chopin… Les poètes Alexandre Block, Sergueï Essenine y lisaient leurs oeuvres.
La période limitée par les années 1911-1918, où s’est constitué l’aspect définitif du palais Youssoupov tel que nous le voyons aujourd’hui, est lié aux noms de ses derniers propriétaires : le prince Félix Félixovitch Youssoupov comte Soumarokov et son épouse Irina Alexandrovna.
Fils de Zinaïda Nikolaïevna Youssoupova, la fille unique du dernier prince Youssoupov et l’héritière de tous ses biens, et du comte Félix Soumarokov-Elston qui, par ukase spécial du tsar, avait reçu le droit de rajouter à son nom et à son titre ceux de sa femme, Félix Youssoupov épousa Irina Romanova, petite fille d’Alexandre III et nièce du dernier empereur Nicolas II.
Vers cette époque, la fortune des Youssoupov apportait 1258 mille roubles de revenu annuel. Ils possédaient dix-sept domaines dans différentes régions de Russie, une mine à Donbass, huit maisons de rapport à Moscou et à Saint-Pétersbourg, des centaines d’usines et d’entreprises de toutes sortes.
Félix et Irina Youssoupov
Lors de la dernière reconstruction du palais confiée par Félix aux architectes Andreï Weitens et Andreï Beloborodov, les appartements privés du jeune couple furent décorés dans le goût du néo-classicisme alors en vogue.
Le décor peint des nouvelles pièces par Vladimir Konachevitch, Nikolaï Tyrsa et Sergueï Tchekhonine, révèle leurs recherches originales dans le domaine de l’art monumental et décoratif.
Ainsi, le décor raffiné du Boudoir Argenté d’Irina, de même que les plafonds et murs des salons, évoquent les idéaux esthétiques des peintres de la deuxième génération du groupement artistique « Le monde de l’Art ».
Boudoir argenté d’Irina
A partir du début du 18è et jusqu’au début du 20ème siècle, chaque étape de l’histoire du palais Youssoupov était étroitement lié au développement des différents courants artistiques qui exerçaient une influence plus ou moins forte sur l’architecture russe.
Malgré cela, la diversité stylistique ne nuit aucunement à l’impression d’homogénéité et d’harmonie qu’il produit et à la perfection de sa réalisation. (Merci à Pistounette – Le texte de ce sujet est inspiré du livre « Le Palais Youssoupov – 94, quai de la Moïka -Saint-Pétersbourg » de Galina Svechnikova, Directrice du Palais Youssoupov)
A suivre…
Jahannot catherine
28 avril 2021 @ 03:15
Bonjour, merci pour vos articles et votre site que je lis depuis de nombreuses années mais depuis un mois je ne peux ouvrir les suppléments (more) et surtout ouvrir les articles individuellement depuis la page d’accueil ? Pourquoi ? Merci pour votre reponse catherine
Régine
28 avril 2021 @ 07:31
1) Peut être changer de navigateur (exemple Firefox)
2) Cliquez sur le titre de l’article qui se met alors en pleine page et vous devriez pouvoir activer la touche « More »
Bambou
28 avril 2021 @ 05:49
Quelle magnificence….quel luxe….superbe le boudoir argenté d’Irina….
Avait fait un beau mariage, le Félix…..!!!
Comment une seule famille peut elle avoir autant de richesses ???
La liste de leurs biens donne le tournis…
Cosmo
28 avril 2021 @ 10:25
Des millions d’hectares, des mines, des puits de pétrole, des immeubles, des sociétés industrielles, sans oublier palais, châteaux et collections d’art…bref un mélange bien compris de féodalité, de capitalisme et parfois de bon goût. Le tout lié à une politique de l’enfant unique.
Jean Pierre
28 avril 2021 @ 08:36
Frédéric Chopin en Russie ?
Pistounette
28 avril 2021 @ 15:37
Jean-Pierre, vous avez raison de vous étonner… j’ai donc cherché… et j’espère que ma réponse vous conviendra
Présence physique, certes pas… mais… après la retraite de Russie de Napoléon, la Russie occupe la Pologne à partir de 1813. Le traité de Vienne (1815) conforte la Russie à l’Est et au centre de la Pologne, dont Varsovie. Chopin, né à Varsovie en 1810, légalement est russe ! D’ailleurs, quand il souhaite quitter Vienne le 20 juillet 1831 pour venir à Paris, il s’adresse à l’ambassade russe pour obtenir son passeport. Son père Nicolas lui envoie le 7 septembre 1834 une lettre lui demandant de « faire régulariser ses papiers à l’ambassadeur russe, pour éviter d’être mis au rang des réfugiés politiques »
En outre, Chopin est « lié » à Maria Szymanowska (née Wolowska à Varsovie) par Jozef Elsner qui fut professeur de Chopin et grand ami de Maria. Elle-même était une grande pianiste. Elle va s’installer à Saint-Pétersbourg, devient pianiste de la cour impériale en 1822, et amie avec Mikhail Glinka, familier du palais Youssoupov. C’est en partie elle qui « popularisa » Chopin (jeune prodige dès 8 ans) à Saint-Pétersbourg et plus spécialement au Palais Youssoupov où il fut souvent joué.
Bien que revendiquant farouchement son identité polonaise, Chopin, « légalement » a été citoyen russe
Ciboulette
29 avril 2021 @ 12:33
Et sa famille paternelle est lorraine !
Trianon
28 avril 2021 @ 08:38
Merci beaucoup ,vos récits sont vraiment intéressants, c’est très agréable !
Agnese
28 avril 2021 @ 09:56
Ont-ils eu une descendance? Nous n’entendons plus parler de cette grande famille et surtout qu’est devenue cette immense richesse sachant que les bolcheviks ont dû passer par là????
Nicolette
28 avril 2021 @ 12:19
Une fille Irina (1915-1983) épouse en 1938 le comte Nicolas Dimitrievitch Cheremetiev. De ce mariage nait une fille Xenia Nicolaievna Chemeretieva-Sfiris (1942- ) qui fit revivre en 2008 la maison de couture IRFE de ses grands parents.
Leonor
28 avril 2021 @ 10:04
Epopustouflant. REuh, aprdon. Epous – tou- flant. Suis dyspraxique.
BEQUE
28 avril 2021 @ 12:16
J’ai lu qu’un prince Youssopov était courtier en meubles anciens, mais je ne sais pas où ? A Paris ?
Pistounette
28 avril 2021 @ 15:48
Franchement je ne sais pas… je vous laisse chercher… je sais que vous aimez ça 😉 J’ai beaucoup de travail en ce moment, mais quand vous aurez trouvé je serai heureuse de connaître la réponse😊
Ciboulette
28 avril 2021 @ 17:15
Le salon des Gobelins me plaît particulièrement , le boudoir aussi .
Gérard
29 avril 2021 @ 15:44
Le dernier prince, Félix, n’eut qu’une fille. Il n’y a plus de prince Youssopov.
Nivolet🦝🐈🐕
28 avril 2021 @ 13:40
Magnifique, je crois que c’était la famille la plus riche de Russie. Merci pour cet article très intéressant.
Léa 33
28 avril 2021 @ 17:04
Bonjour
Merci pour ce récit passionnant sur ce palais.
Je trouve dommage que le jardin d’hiver ait été remplacé par cette salle à manger sombre ! J’ai une grande préférence pour le salon argenté, élégant, clair et bien agencé. Ceci dit je me contente de déambuler virtuellement dans ces lieux superbes !
Guizmo
28 avril 2021 @ 19:21
Merci beaucoup pour cette lecture passionnante.
Danielle
29 avril 2021 @ 17:24
Superbe ! quelle richesse ! les architectes devaient être au taquet.
Dommage que les tentures de la salle à manger l’obstruent ; le salon argenté d’Irina est magnifique.
Merci Pistounette.
miloumilou
30 avril 2021 @ 12:10
Merci Pistounette pour ces articles intéressants en cette période où nous ne pouvons plus voyager, visiter!