En 1730, les Corses proclament leur indépendance. La puissante et prestigieuse République de Gênes, la Sérénissime, est défiée par un peuple de bergers mené par des notables. Et c’est là que commence l’histoire de Pascal Paoli (ci-dessus les armes de la famille Paoli) puis celle de Napoléon Bonaparte.
La société corse au XVIIIe n’est pas une société égalitaire, tant s’en faut. Il y a des riches et des pauvres. Il existe une véritable hiérarchie sociale mais il n’existe pas de noblesse telle qu’elle existait en France à la même époque. La naissance et la fortune ne donnent droit au respect que tout autant que l’on est respectable.
Pascal Paoli nait en 1725 le 6 avril à Morosaglia, un village à la limite de la Castagniccia, assez loin de la mer, mais pas vraiment en montagne, juridiquement dépendant de Bastia, et donc sous influence génoise profonde.
Giacinto Paoli
Son père Giacinto (1690-1768), issu d’une lignée paysanne, a toutefois fait d’excellentes études à Gênes. Il était un latiniste distingué, occupant dans son village des fonctions entre le juge de paix et l’avocat. Il fut même élu Noble Douze en 1726, c’est-à-dire représentant des Corses auprès de Gênes. Il appartient à une classe montante. C’est un roturier distingué.
La mère, Dionisia Valentini, cousine de son mari, appartient à un milieu un peu supérieur, où du moins dont l’ascension sociale a commencé plus tôt.
Maison natale de Pascal Paoli à Morosaglia
Le couple aura quatre enfants survivant, deux garçons Clemente et Pascal, deux filles, Maria Chiara et Francesca. Même si elle habite une belle maison, vaste et solide, la famille n’est pas fortunée. Le contexte social est agro-pastoral. beaucoup de bouches à nourrir, peu d’argent, de la culture et de l’ambition. Une sorte de monde à l’antique où la vertu prime la gloire.
Intérieur de la maison de la famille Paoli
En 1730, Giacinto Paoli entre dans le gouvernement national corse. C’est le sens de la justice face aux exactions de Gênes qui lui fait prendre cette position contre ceux avec lesquels sa famille avait collaboré jusque là. A la même époque, à l’autre bout de l’île, se trouve la famille Bonaparte.
Le chef de famille est Giuseppe Maria Bonaparte, né en 1713 et mort en 1763. Il est qualifié de Nobile dans les actes de l’époque. La famille est une des plus éminente d’Ajaccio de par les fonctions qu’elle remplit dans les différents conseils de la ville, comme le “Conseil des Anciens”, sorte de conseil municipal avec de vagues attributions judiciaires. Les alliances matrimoniales des Bonaparte sont dans la noblesse locale, liée à Gênes, comme les Paravicini, ou l’antique noblesse corse, comme les Colonna de Bozzi.
Armes de la famille Bonaparte au XVIIIe siècle
Ils sont d’un milieu urbain, socialement bien supérieur aux Paoli, mais égal à cette génération, quant à la culture et aux aspirations. Carlo Bonaparte, fils de Giuseppe, naîtra en 1746 et Napoléon, petit-fils de Giuseppe naîtra en 1769.
Maison natale de Napoleon Ier à Ajaccio,par L.A. Daligé de Fontenay
La mère de Napoléon, Laetitia Ramolino, appartient au même milieu que son mari, que nous pourrions définir comme la grande bourgeoisie occupant des charge, alliée à la noblesse.
Il y a entre Pascal Paoli et Napoléon Bonaparte deux générations d’écart. L’un aurait pu être le grand-père de l’autre.
Intérieur Maison Bonaparte à Ajaccio
Durant toute cette période qui va de 1730 à 1768, globalement la période d’une Corse conquérant puis perdant son indépendance, Les Paoli et les Bonaparte sont du même côté.
Enjeux en Corse au milieu du XVIIIe
On peut considérer les premiers évènements comme une jacquerie. Des paysans, essentiellement montagnards qui refusent de payer plus d’impôts. En mars 1730, le sang coule car Gênes régresse la jacquerie. Les élites prennent conscience de la gravité de la situation et parmi eux Giacinto Paoli.
Gênes envoie un nouveau gouverneur, qui, une première fois, au début du siècle, avait su capter la confiance des Corses. Il ne peut que constater les revendications des différentes catégories sociales.
- La bourgeoisie marchande réclame le droit de porter les armes et l’accès pour leurs rejetons aux fonctions ecclésiastiques majeures, tels qu’évêchés et abbayes, jusque là réservés aux seuls Génois.
- Les patrons marins réclament la liberté de cabotage et le droit d’exporter librement les produits corses.
- Les ruraux demandent la diminution du prix du sel.
Ces demandes n’ont rien d’exorbitant. Mais Gênes ne répond à aucune d’entre elles. La rébellion s’étend au sud de Bastia dans la Castagniccia, la Casinca, et le Niolu. Saint-Florent et Algajola sont attaquées, Bastia est mise à sac en février 1730. Dès lors, les élites font corps avec les classes populaires.
A la Consulte de San Pancrace, en décembre 1730, à Biguglia, dix kilomètres au sud de Bastia, en plein territoire contrôlé par les Génois, des notables se réunissent et se donnent pour chefs “Généraux de la Nation Corse”, Luigi Giafferi, Andrea Ceccaldi, Lucca d’Ornano et Gio Franco Lusinchi.
Gênes en appelle alors aux troupes de l’Empereur Charles VI. Son intervention, début 1731, est repoussée, mais après quelques semaines, d’importants renforts viennent à bout des rebelles. Gênes accorde aux Corses des concessions garanties par l’Empereur, mais jugées insuffisantes dans l’île et ce en juin 1733. La rébellion reprend après quelques mois, sous le commandement de Giacinto Paoli, père de Pascal.
Promotion étonnante quand on connait le caractère effacé de Giacinto Paoli, socialement bien éloigné des élites urbaines qui ont pris la tête de la révolte.
Veuf depuis peu, Giacinto se voyait jusque là en pacificateur, prêt à aider l’entente entre rebelles corses et autorités génoises. Le 4 août 1731, il se rend avec d’autres à Orezza, sans armes, avec l’espoir de réconcilier les parties.
Les Corses trouvent en face d’eux, un gouverneur génois, furieux, entouré d’un état-major de princes allemands, comme Wurtemberg, Lowenstein et autres.
Paoli est jeté en prison, en compagnie d’un certain Marengo, et fut déclaré passible de la peine de mort pour avoir osé parler du “ consentement public et général des populations”, avec lequel doit se faire toute demande d’impôts.
Le Parlement de Londres avait donné l’exemple presqu’un siècle auparavant et les Révolutions américaine et française se feront exactement pour la même cause, le consentement à la levée et au paiement de l’impôt.
Selon l’historien corse, Costa : “La fortune lui ( Giacinto Paoli) fut inique et traîtresse. S’étant rendu à Bastia, en sa qualité de procurateur de sa province, il fut jeté dans le cachot le plus sordide et le plus exigu de tous ceux qui sont en cette ville, et cela pour n’avoir commis d’autre crime que d’avoir signé avec les autres otages et procurateurs, un mémoire et une liste de requêtes du Royaume qui devait être présenté au prince de Wurtemberg.”
Mais sur l’intervention du Grand-duc de Toscane, dont Marengo était le consul à Bastia, les deux hommes furent libérés.
Voltaire écrit alors “ Les Corses commençaient à avoir des chefs très intelligents, tels qu’ils s’en forment toujours dans le guerres civiles, un Giafferi, un Paoli.”
Général Gjiafferi
L’Europe commence à se passionner pour les évènements de Corse et Gênes est aux abois. L’empereur, Charles VI, avait prêté main forte aux Génois. Il intervint à nouveau pour l’élargissement des nouveaux prisonniers faits par Gênes.
En 1735, nouvelle déclaration d’indépendance et proclamation de la Première Constitution Corse, la première écrite au monde, plus de quarante ans avant la Constitution des Etats-Unis. Rédigée par Costa, un avocat ajaccien, elle est adoptée à Corte le 30 janvier 1735, en même temps que l’hymne corse, “Dio Vi Salvi Regina”.
Entre temps, les Corses avaient pu acheter des armes, leur permettant de lutter contre les troupes de Gênes. Mais les Corses ne sont pas unis. On trouve globalement quatre groupes :
- Des pro-génois, largement majoritaires, habitants de Bastia, Ajaccio, Calvi, Saint-Florent, Sartène, Bonifacio, les Cap-Corsins
- Des pro-venitiens, tradition du service de certaines familles dans les armées de la Sérénissime.
- Des pro-espagnols, les Royaumes d’Espagne constituant encore la plus grande puissance méditerranéenne.
- Les Corses du Rostino, la région d’où est issue la famille Paoli, seuls à représenter un véritable sentiment national.
Les 26 et 27 avril 1734, Paoli est reconnu avec Gjiafferi, l’autre grand nom de la période comme”Chef Suprême et Commandant du Royaume.”
Les manoeuvres des uns et des autres, l’habileté et la volonté de Giacinto Paoli les amènent à la Consulte de janvier 1735 où on y nomma constitution ce qui en fait n’étaient que quinze propositions en vue d’organiser le gouvernement de la Corse. Elles prônent, entr’autres, l’élection des futurs gouvernants.
Cette constitution préfigure celle de 1755, qui sera l’oeuvre de Pascal Paoli.
Mais en fait le désaccord est total entre Giacinto Paoli et Gjiafferi. Et les partisans des deux clans tout au long de l’année 1735 vont s’affronter violemment. Meurtres, incendies, mis à sacs des demeures sont monnaie courante. De guerre lasse, les deux ennemis en viennent à accepter des propositions génoises de paix.
Un nouveau gouverneur est installé à Bastia, dans l’allégresse générale et Giacinto Paoli se sent enclin à discuter avec lui. Il considère que la paix est de l’intérêt des Corses. Il faut donc négocier. Gjiafferi et Costa, proches des intérêts espagnol et vénitien, veulent continuer la lutte en s’attaquant à un fort génois en mars 1736, malgré l’opposition de Paoli. C’est la déroute des Corses et c’est un sauve qui peut.
Un renfort inattendu vient de deux navires anglais au mouillage de l’Ile Rousse qui apportent vivres et munitions aux insurgés.
Royaume de Corse
Cette aide inespérée permet à Paoli, Gjiafferi et Costa de négocier avec Gênes en position de moindre faiblesse.
C’est alors qu’arriva en Corse un des personnages le plus extravagants du XVIIIe, Théodore de Neuhoff (1694-1756).
Théodore de Neuhoff
Véritable aristocrate, de noblesse westphalienne, mais aussi véritable aventurier, jouissant de relations dans le monde princier européen, lié aux Jacobites Stuart, il est difficile de s’étendre sur sa nombreuse parentèle et ses faits d’armes avant son arrivée en Corse. Sa soeur, Marie-Anne-Léopoldine, était dame d’honneur de la Princesse Palatine qui la prend sous sa protection. Théodore est dans le corps de pages à Versailles. Il y approche le monde jacobite, soutien de Jacques II Stuart, roi d’Angleterre, victime de la Glorieuse Révolution, puis de son fils Jacques III et de son petit-fils Charles, “Bonnie Prince Charlie”.
Théodore de Neuhoff, débarquant en Corse
Débarqué sur les plages d’Aléria le 17 ou 18 mars 1736, Jour de l’Annonciation, un mois plus tard, il est couronné roi de Corse au couvent d’Alesani. Il semble qu’avant de débarquer en Corse, il ait été en contact avec Gjiafferi et Costa à Livourne. Paolo, lui était resté en Corse. Il eut assez de partisan pour ceindre l’unique couronne corse. Il proclame une constitution monarchique qui donne un rôle certain à une diète pour la levée des impôts et la déclaration de guerre. Il instaure des décorations, crée une noblesse avec des titres de marquis, comte et baron.
Couvent d’Alesani, lieu du couronnement
Paoli et Gjiafferi, ralliés sont créés marquis…
Le 10 novembre 1736, il quitte la Corse pour aller chercher des secours, en confiant la régence à Paoli, Gjiafferi et Ornano.
Après avoir fait le tour des capitales européennes et échappé, à Rome et à Paris, à des attentats à la bombe et avoir reçu le soutien de banquiers hollandais, il revient en Corse le 15 septembre 1738 avec trois vaisseaux contenant notamment 174 canons, 3 000 fusils, 50 000 kilos de poudre et 100 000 kilos de plomb.
Il est bien accueilli par les paysans et reçu triomphalement à L’Île-Rousse, mais plusieurs personnages très importants, dont Giacinto Paoli, ne croient plus en lui. Ils considèrent avoir été trompés par ses promesses non tenues. Certains pensent que rien n’est possible contre Gênes sans l’appui d’une puissance étrangère et principalement l’Espagne et Naples. Les autres hésitent à repartir en guerre contre la France, au beau milieu de négociations de paix. Théodore, en l’occurrence, arrive ou trop tôt, ou trop tard. Il doit se résigner à repartir pour Naples.
Véritablement roi de sept mois, Neuhoff, si haut en couleur, souvent moqué est un personnage plus important que l’on imagine car, homme des Lumières, et en cela proche de Giacinto, il influença le jeune Pascal qui passa de longs mois à ses côtés. Il ouvrit au monde l’esprit du jeune corse de onze ans.
Neuhoff fut accueilli comme un espoir libérateur par les Corses et c’est ainsi qu’il fut vu par Giacinto Paoli et ses pairs. Mais l’espoir ne fut pas au rendez-vous. Le roi des Corses ayant promis plus qu’il ne pouvait tenir.
Le roi de Corse
Sur le continent à la même période se joue le sort de l’empereur. François de Lorraine, pour pouvoir être élu à l’Empire, à la mort de son beau-père, cède tous ses droits sur son duché à Stanilas Leczinsky, en attendant que ceux-ci soient transférés au roi de France.
La France, tranquille du côté de l’Empire, se trouve libre d’avoir aux côtés de Gênes sa politique méditerranéenne. Et la Corse se profile à son horizon.
Le massacre par les Génois de femmes et d’enfants corses affaiblit encore plus sa position dans l’île. Désormais la Sérénissime sait qu’elle ne peut compter que sur l’aide étrangère pour tenter de garder la Corse.
En 1737 est passée une convention entre Gênes et la France, à Fontainebleau. Le roi de France s’engage à envoyer des troupes en Corse pour prêter main forte aux Génois. En novembre à Versailles, le comte de Maurepas Secrétaire d’Etat à la Marine ne se berce pas d’illusions, écrivant à M. de Campredon son représentant à Gênes : « Certainement ce ne sera pas par des sièges et par des batailles que l’on réduira les révoltés, s’ils veulent faire aux troupes du Roi une résistance aussi longue et aussi obstinée que celle qu’ils ont faite jusqu’à présent aux Génois. »
Le comte de Maurepas
Toutefois, la République dit s’en rapporter au Roi seul juge « s’il convient ou non qu’il reste quelque partie de ses troupes dans l’île », étant convenu que la plupart des révoltés se disent « disposés à se soumettre à des conditions équitables que la France imposera. » Maurepas conseille au commandant des troupes royales « de s’aboucher avec M. Wachtendonk » – chef de guerre allemand ayant combattu dans l’île – afin de s’informer sur la réalité du terrain.
Pour les troupes françaises, la mission est claire : prêter main forte aux Génois en empêchant la Corse de passer sous une autre domination que celle de la République.
En février 1738, les troupes françaises débarquent en Corse, avec à leur tête le comte de Boissieux, qui refuse de tirer sur les Corses. Mais ceux-ci attaquent les troupes françaises le 14 décembre 1738. Boissieux est remplacé par le marquis Maillebois au début 1739. Ce dernier reçoit l’aide d’un certain nombre de Corses qui fournissent des compagnies de volontaires.
Giacinto Paoli est vaincu à Lento et doit se soumettre. Le marquis de Maillebois négocie avec eux leur départ de Corse pour Naples. L’exil commence pour le jeune Pascal et son père.
Fin 1739, l’île est pratiquement soumise et les Français ayant rempli leur contrat rembarquent. En 1741, les Français ont tous quitté l’île.
Et les Bonaparte ?
Que faisaient ils pendant toute cette période de trouble et de grandeur avortée ? Pas grand chose !
En effet, durant tous ces évènements, la famille Bonaparte reste à Ajaccio et ne participe en rien aux différents soulèvements, batailles, consultes et autres. Il faut dire que la révolte est concentrée dans la partie nord et est de l’île. Ce n’est que plus tard que les Bonaparte s’inscrivent dans l’histoire de la libération de la Corse.
Charles, père de Napoléon, n’est pas encore né.
Les Paoli en exil à Naples
Giacinto Paoli finira sa vie à Naples où il mourut en 1763. Pascal y passera seize ans.
Naples au XVIIIe
Les deux premières années furent de misère car ils étaient partis de Corse avec un petit pécule qui fondit. Ne pouvant payer les frais d’un collège, c’est le père qui enseigna au fils. On ignore s’il eut d’autres maîtres.
En 1741, Giacinto Paoli fut nommé colonel honoraire du Régiment Corsica, composé de la plupart des Corses ayant du fuir. Pascal y est admis comme cadet, puis fut nommé sous-lieutenant surnuméraire.
C’est de la part du roi de Naples, à l’époque, Charles de Bourbon, roi de Naples depuis peu et futur roi d’Espagne, une façon élégante de pensionner les exilés. Giacinto aura ainsi un revenu permanent jusqu’à la fin de sa vie. Naples était à l’époque la ville la plus peuplée d’Europe et l’une des plus élégantes.
Il songe à faire entrer son fils dans l’Eglise afin de lui assurer une vie paisible. Mais le jeune Pascal préfère la liberté de la vie militaire, sans toutefois en abuser, à la sécurité de la soutane.
Voici ce qu’il est dit de lui par ses supérieurs : “ Conduite : moyenne – Application : moyenne – Valeur : non prouvée – Santé : bonne – Costumes : bons – Age : 19 ans – Qualité : venu de Corse – Etat : célibataire”
Puis en 1747 : “Valeur : non prouvée – Expérience : peu – Application : bonne – Conduite : bonne – Robustesse : bonne – Age 22 ans – Nation : Corse – Cet officier se trouve à la Royale Académie. Il a toujours fait son devoir avec honneur.”
Rien d’extraordinaire pour un homme qui quelques années plus tard fera l’admiration de l’Europe entière.
Mais il ne se contente pas de la seule vie militaire. Il suit l’enseignement d’Antonio Genovesi, titulaire de la première chaire européenne d’économie politique, qui, humaniste, place au premier plan de la légitimité du pouvoir l’intérêt du peuple et prône la séparation du spirituel et du temporel. En économie, Antonio Genovesi insiste sur le commerce international comme source de richesse et valorise en particulier le travail, conceptions qui seront plus tard appliquées par Pascal Paoli.
Antonio Genovesi (1712-1769), Prêtre, philosophe et économiste napolitain
Pendant ce temps-là, Théodore de Neuhoff tente de reconquérir son trône de Corse, avec l’aide ses amis anglais. Mais sa tentative de débarquement échoue.
Il sort définitivement de l’Histoire de la Corse et mourra dans la misère à Londres, malgré l’appui que lui prodigua Horace Walpole.
Pascal Paoli poursuit sa carrière militaire. Lieutenant au Real Farnese, il s’intéresse à l’artillerie, aux fortifications, aux mathématiques. Son séjour à Naples, lui apporte des connaissances générales qui seront utiles au général et à l’homme d’état.
Situation en Corse
Si les troupes françaises ont bien quitté la Corse en 1741, la France n’en a pas moins conservé un intérêt certain pour l’île, les puissances européennes, Londres, Naples, Madrid, Parme également.
Tout le monde sent que la fin de la domination génoise en Corse est proche. Et les Corses les premiers !
On sent un véritable frémissement dans les esprits insulaires et ce depuis 1748, après le Traité d’Aix la Chapelle qui met fin à la Guerre de Succession d’Autriche.
Les différences entre les factions corses, dont certains étaient favorables à l’Espagne, d’autres à Venise, d’autres à la Sardaigne, s’effacent. Leurs chefs se rallient à l’idée d’une nation corse qui n’aurait pas besoin de l’intervention étrangère pour exister.
La tendance dite “nationale”, incarnée par Giacinto Paoli de 1726 à 1739, prend le pas dans les esprits. Giacinto Paoli, en exil à Naples, continue de symboliser les espoirs des Corses.
Il est vrai que les rapports entre Gênes et les Français se gâtent. Ces derniers sont revenus en Corse pour prêter à nouveau main-forte et surtout pour éviter que l’Autriche, Naples, la Sardaigne ou Parme ne mettent les pieds dans l’île.
Gênes est attaqué et occupé par les Autrichiens. Elle doit pour se défendre, dans une guerre qui la ruinera définitivement, retirer ses troupes de Corse. Pour l’aider à y maintenir sa souveraineté, la France y envoie ses troupes.
En septembre 1747, le comte de Choiseul, débarque à Saint-Florent avec 550 hommes et attaque les 1500 rebelles qui assiégeaient Bastia la génoise. En 1748, le marquis de Cursay est en Corse avec 1400 hommes.
Plus qu’une occupation militaire, c’est une opération de séduction à laquelle se livre la France. Création d’une imprimerie à Bastia, construction de ponts, de jetées et de moles, distribution de pensions et d’honneur, politique de pacification douce qui n’est pas au goût de Gênes qui préférait la répression mais n’en a pas les moyens.
Cette politique séduit aussi le jeune Pascal Paoli, qui, de Syracuse, écrit en 1749 : “Je servirais volontiers dans les troupes françaises…” Il pose des demandes pour servir sous les ordres de Cursay, demandes qui n’aboutissent pas.
En 1752, Gênes rompt avec la France en renvoyant Cursay. Et les Français quittent l’île à nouveau le 4 avril 1753.
Le vent de l’histoire tourne désormais en faveur des Corses et de la famille Paoli.
Nous n’avons parlé, jusqu’à présent que de Giacinto et Pascal. Il nous faut aussi parler de Clemente, le frère aîné. Il est né en 1711 et a donc 14 ans de plus que Pascal.
Relativement absent, ou tout du moins à l’ombre de son père, durant les évènements qui ont mis ce dernier en avant, en Juillet 1739, il reste en Corse, pour vendre les biens et subvenir aux besoins des exilés.
En 1748, il est nommé Magistrat Civil mais aussi capitaine d’un escadron volant de 300 hommes pour lutter contre les Génois et leurs alliés corses. Comme Pascal, il est séduit par la politique de conciliation du marquis de Cursay et des bonnes intentions de Louis XV à l’égard du peuple corse.
Il signe une lettre avec dix-sept autres chefs corses, envoyée au Roi de France dans laquelle les Corses le prient de recevoir leur soumission sans réserve, et lui promettent de se conformer à toutes les instructions de son représentant.
En Mai 1751, il est désigné parmi les quatre députés qui accompagneront le maréchal de Cursay à Toulon, pour y rencontrer le Lieutenant Général du Roi de France à Gênes, le marquis François Claude de Chauvelin.
En Décembre, avec les “Chefs de la Nation” et le maréchal de Cursay, il écrit au Roi de France dénonçant comportement du commissaire général génois Giovanni Giacomo Grimaldi, qu’il juge louche et hypocrite.
En Août 1752, à la Consulte de Ghisoni, à laquelle assiste Clemente Paoli avec tous les chefs corse, le gouverneur Giovanni Giacomo Grimaldi fait l’unanimité contre lui, mais le maréchal de Cursay, critiqué pour son laxisme envers le Génois. En Octobre 1753, à la Consulte de Corte, après l’assassinat de Ghjuvan Petru Gaffori, il est nommé membre d’une Inquisition d’Etat, “Secretu Cunsigliu di Statu”, chargée, entre autre, de maintenir la cohésion de tous. Il fait le serment de venger Ghjuvan Petru Gaffori : “Donnez-moi un fusil pour défendre la Liberté de mon Pays et cherchez un Chef plus digne pour gouverner !”
Giovan Giacomo Grimaldi, gouverneur génois de Corse (1705-1777)
Ayant sous ses ordres 7000 “rebelles”, Clemente Paoli en janvier 1754, exhorte “tous les peuples à une parfaite union pour le salut de la patrie” et déclare “ une guerre perpétuelle contre les Génois jusqu’à ce qu’on leur ait remis les complice de l’assassinat de Gaffori” (Merci à Patrick Germain)
Carte de Corse en 1741, aux armes du marquis de Maillebois
Ami des Bataves
19 janvier 2016 @ 14:06
Merci monsieur Germain pour cette fresque historique. D’abord sur l’histoire de la Corse que personne ne connait, et ensuite pour expliquer qui est Paoli dont on a entendu parler mais dont on ne sait rien.
Léonor
19 janvier 2016 @ 14:15
Oups ! Va falloir prendre le temps de lire cela en détail .
Francois
19 janvier 2016 @ 14:41
Corse par mon père
C’est toujours agreable de voir l’histoire d’une partie
de ses racines
Jean Pierre
19 janvier 2016 @ 16:29
Passionnant.
Je m’interroge quand même en décortiquant si tout cela n’explique pas le système clanique.
Cosmo
19 janvier 2016 @ 18:22
En effet, Jean Pierre, le système clanique repose sur une vision ancienne de la société. J’espère, à travers ces articles, faire comprendre une partie de la complexité de la Corse.
Cordialement
Patrick
Helme12
19 janvier 2016 @ 19:07
Non, le système clanique est infiniment plus ancien et pas spécifiquement corse ; relisez Homère !
Esquiline
19 janvier 2016 @ 18:55
Génois n’est pas la Sérénissime, mais la Superbe.
Caroline
19 janvier 2016 @ 23:41
Patrick Germain,merci beaucoup pour cette ‘Histoire de Corse’ assez méconnue! Je la relirai avec plus d’attention demain.
Madame Régine,merci pour la publication de cet article d’un nouveau genre!
kalistéa
20 janvier 2016 @ 10:43
Mes messages ne partant qu’une fois sur deux , et encore! je suis souvent frustrée, parce que j’écris souvent longuement pour rien! Aussi je serai brève dans mon admiration pour un aussi bel article tellement instructif et utile que nous devons à notre historien minutieux et toujours impartial ; Cosmo .
Francine du Canada
21 janvier 2016 @ 13:15
Je plussois. FdC
Mary
21 janvier 2016 @ 10:29
Très intéressant Cosmo,
Vivement la suite !
Baronne Manno
25 janvier 2016 @ 10:44
Un grand bravo cher Patrick pour cette magnifique leçon d’histoire corse peu connue ( de moi en tous les cas !). Je vais vite lire la suite.