En 2007, lorsque j’arrivai à Moncton dans le cadre de mes fonctions consulaires, je me suis souvenu que le prince Philippe de Bourbon des Deux-Siciles était passé de vie à trépas dans ma circonscription. Lorsqu’il mourut, le consulat général de France était encore à Halifax. Cependant, les registres de l’état-civil étaient rangés dans un bureau à deux pas du mien. Ce fut un jeu d’enfant d’y trouver la transcription de l’acte de décès du prince, effectuée le 15 juillet 1955, à partir de l’original rédigé en anglais en 1949. Il est intéressant d’en décortiquer les termes, dont certains paraîtront certainement curieux.

« Nom de la personne décédée : Prince Philippe de Bourbon des Deux-Siciles. Domicile : Paris, France. Sexe : masculin. Nationalité : française. Origine raciale : française. Situation conjugale : marié. Lieu de naissance : Cannes, France. Date de naissance : dix neuf décembre mil huit cent quatre vingt cinq. Age : soixante-trois ans, deux mois, dix-sept jours. Profession : sans. Nom de l’époux ou de l’épouse : Odette Fernande Labori, Princesse de Bourbon. Nom du père : Prince Alphonse de Bourbon des Deux-Siciles, Comte de Caserte. Nom de jeune fille de la mère : Princesse Marie Antoinette de Bourbon, Comtesse de Caserte. Nom du déclarant : Odette Fernande Labori, Princesse de Bourbon, par Robert Picard, Consul de France à Halifax, N.-É. Lien de parenté : épouse. »

De l’analyse du paragraphe ci-dessus, il ressort que Philippe de Bourbon et Odette Labori étaient toujours mariés, mais en outre, que le prince résidait à Paris. Qu’est-ce qui a donc bien pu le conduire à finir ses jours sur la côte atlantique du Canada, durant l’hiver 1949 ? Je n’ai pas les moyens de le savoir. Peut-être que ses descendants en ont une idée, voire en connaissent-ils la raison. La suite du document fournit des renseignements de nature médico-légale.

« Date du décès : huit mars mil neuf cent quarante neuf. Cause du décès : a) broncho-pneumonie b) sclérose coronaire. » Le certificat médical, enregistré le 17 mars 1949, porte la signature du Dr. H.A. Farris. L’original du certificat de décès a été délivré à Fredericton le 8 juillet 1955, vraisemblablement à la demande d’Odette Labori aux fins de transcription à l’état-civil consulaire.

L’acte mentionne par ailleurs que le prince a été inhumé localement, au cimetière Saint-Joseph. A l’époque, je me suis dit que j’allais y faire un tour, un de ces jours. Un prince français reposait là, dans la plus ancienne ville du Canada, à seulement 145 kilomètres de chez moi. Au printemps 2010, la presse locale rapporta que le cimetière avait été vandalisé. Un grand nombre de pierres tombales furent saccagées. La tombe princière existait-elle encore ? Figurait-elle au nombre des victimes de ce vandalisme ? Il fallait que je le sache. J’avais peut-être déjà trop tardé.

Au moment de la Toussaint, ou le lendemain, jour des défunts, il est coutumier d’aller fleurir les tombes de nos parents disparus. Celles de mes grands-parents, et même de quatre arrière-grands-parents, existent encore. Tout le monde n’a pas cette chance. Au nom de ceux qui n’ont pas connu leur grand-père, je pris donc le volant comme on prend son bâton de pèlerin, direction Saint Jean. Certaines stèles y datent encore du XIXe siècle. Tout n’était pas, a priori, perdu d’avance. Comme Indiana Jones, j’accomplissais une quête. C’est après avoir tourné pendant une vingtaine de minutes – une éternité ! – que je pus ressentir l’excitation de l’archéologue quand il met à jour le sarcophage d’un pharaon.

 

La dalle funéraire est extrêmement simple. A seulement quelques mètres de là, d’autres sont plus grandioses et sophistiquées. L’inscription commence à souffrir des outrages du temps qui passe, mais elle est encore bien visible. Ce serait une tombe absolument anonyme, si elle ne donnait l’identité du défunt qui, entouré de gens ordinaires, repose sous son ombre. Les gens qui viennent fleurir les tombes contiguës savent-ils que, dans leur dernier sommeil, leurs parents côtoient un descendant des rois de France ? (merci à Damien Dauphin pour cet article et ses recherches au Canada)