Voici ce qui est passé à la postérité comme l’affaire « Prince Gamelle », surnom donné au prince Louis Philippe dit Philippe d’Orléans, duc d’Orléans, fils du comte de Paris (1869-1926).
« Celui-ci atteint ses 21 ans (la majorité) dans la soirée du 6 février 1890. Sans en informer son gouverneur le colonel de Parseval ni sa famille, il quitte secrètement Lausanne avec son ami le duc de Luynes pour se rendre à Paris. Ils arrivent en gare de Lyon le lendemain à 7 heures.
En début d’après-midi, le duc d’Orléans se présente au bureau de recrutement de la rue Saint-Dominique pour demander à accomplir son service militaire comme les jeunes hommes de son âge. L’officier commandant du bureau le renvoie à la mairie du 7ème arrondissement qui le renvoie à son tour au ministère de la Guerre.
Il y est reçu par un officier supérieur qui lui suggère d’écrire au Ministre lui-même, ce que le prince fait sur le champ. Troublé, l’officier sort et revient avec le général Gallimard, le quel ne voudrait pas à avoir l’arrêter et préfère le reconduire jusqu’à sa voiture. Ce n’est que dans la soirée que la police vient arrêter le duc d’Orléans chez son ami le duc de Luynes devant un public de choix, la nouvelle de la présence du fils aîné du comte de Paris s’étend répandue dans la capitale.
Les royalistes saluent l’audace du prince. Ce que personne ne sait, hormis un petit cercle d’initiés, c’est que le prince n’a pas agi de lui-même. Derrière cette aventure se cache Arthur Meyer (le directeur du Gaulois) qui figure parmi les partisans d’une abdication du chef de la Maison de France au profit de son fils aîné.
Pour Meyer, il faut hisser le duc d’Orléans sur le pavois et rien de mieux pour cela qu’un coup d’éclat. Le journaliste connaît bien le ministre de l’Intérieur Ernest Constans. Le jour de l’arrestation, il s’est rendu en début d’après-midi chez le ministre pour le prévenir de l’équipée.
Il lui a demandé de ne pas faire reconduire le prince à la frontière par sa police secrète (le geste aurait eu l’inconvénient de passer presque inaperçu) mais de le faire arrêter et condamner à deux ans de prison puis deux ou trois mois plus tard, de plaider auprès du Président de la République la grâce pour le prisonnier.
Meyer et ses complices surestiment la valeur personnelle du fils aîné du comte de Paris : plus dures seront les désillusions qui suivront. Le duc d’Orléans est emmené en fiacre à la Conciergerie et lors du trajet qui le fait passer devant la statue de Henri IV, il n’oublie pas de saluer de son chapeau agité hors de la portière le premier roi de la lignée des Bourbons.
Ce geste, qui lui a été suggéré par le marquis de Beauvoir, suscite l’admiration des royalistes dès qu’il est connu. Arrivé à la prison, le duc d’Orléans est écroué dans une cellule spacieuse réservée aux coupables de délits non infâmants. Le duc de Luynes lui fait apporter d’alléchant repas ce qui suscite l’indignation de certains feuilles républicaines.
Apprenant ce qu’on lui reproche, le duc d’Orléans réplique : « Mais je ne demande qu’à manger à la gamelle ! ». Arthur Meyer fait reproduire le propos dans le Gaulois. Le fils aîné du comte de Paris vient d’acquérir le surnom de « Prince Gamelle ».
Dans les jours qui suivent, des gamelles remplies de bonbons ou de fleurs sont envoyées d’un peu partout à la Conciergerie. Le soir du 8 février, afin d’entretenir l’agitation, le duc d’Orléans écrit au Président de la République une lettre où il expose le motif de sa conduite.
Le brouillon de cette lettre a été rédigé par Arthur Meyer et porté au prisonnier par le duc de Luynes. Le 12 février se tient le procès devant la 8ème chambre du tribunal des flagrants délits pour infraction à la loi d’exil de 1886. Le jeune prince conquiert la sympathie du public par sa tenue élégante et ses déclarations apprises en coulisses.
Il est condamné à deux ans de prison, peine pouvant être réduite en fonction de l’attitude qu’il prendra en tant que prisonnier. En réalité, il ne fera pas 4 mois.
Dans sa cellule, une foule de visiteurs se presse dont des royalistes et membres de la famille : Edouard Bocher, la duchesse de Chartres et sa fille Marguerite, le colonel de Parseval et, le matin du 13 février, le duc d’Aumale qui gronde le duc d’Orléans pour son acte qu’il soupçonne de ne pas être spontané.
Le 24 février, le duc d’Orléans est transféré à la prison de Clairvaux et logé dans un petit appartement de trois pièces destiné aux détenus politiques.
Il lui est permis de se nourrir comme il le souhaite, d’avoir des correspondances, de recevoir des visiteurs et même de répondre à des interviews. Fumant, buvant et jouant des sonneries au cor de chasse, le prince ne vit pas désagréablement son séjour à Clairvaux.
Le prince est finalement libéré dans la nuit du 3 au 4 juin. »
« Philippe d’Orléans, comte de Paris. 1838-1894 », Préface Jean de France, Thibault Gandouly, Via Romana, 2020, pp.298-299
Actarus
18 janvier 2021 @ 03:06
Wow ! Mais que se passe-t-il ? Serait-ce la Journée nationale, mondiale, internationale et universelles des Orléans pour que vous mettiez quatre sujets en ligne sur cette famille ? ;-)
Bon, Mayg, voici Louis-Philippe III, celui qui n’a pas eu d’enfant avec son archiduchesse d’Autriche d’épouse.
Cette fois-ci, pas d’erreur, c’est le sieur ! ^^ Pardon, Monseigneur. ;-)
Mayg
18 janvier 2021 @ 13:52
A croire que ce prince ne sait pas prendre ses propres décisions ni faire quoi que ce soit par lui même. Durant tout le récit, on nous dit que le prince n’a pas agit de lui même, qu’on lui a suggérer de faire tel ou tel geste, que le brouillon de sa lettre au président de la république a été écrit par quelqu’un d’autre, que ses déclarations ont été apprises en coulisses, qu’il s’est même fait gronder pour un acte qu’on soupçonne de ne pas être spontanée…
On voudrait le faire passer pour une marionnette ou un personne facilement manipulable, qu’on ne s’y prendrait pas mieux…
Anne de Bretagne
18 janvier 2021 @ 22:08
Ce ne doit pas être facile de trouver des thèmes chaque jour.
jul
18 janvier 2021 @ 04:33
Le duc d’Aumale, voix de la sagesse comme toujours.
Merci pour cette lecture amusante.
Comment ont réagi Louis Philippe et Marie Isabelle d’Orléans ?
Teresa2424
18 janvier 2021 @ 21:29
Bonito teatro bien representado
Instal
19 janvier 2021 @ 01:50
Si le duc d’Aumale avait été l’aîné des Orléans, il serait mort roi.
Mais je suis sûr que la France serait quand même maintenant une république, la monarchie n’ayant pas pu survivre aux affres des années 1934-1947.
Bambou
18 janvier 2021 @ 07:22
C’est l’année des Orléans…??? Voir tous les articles ci-dessous qui leur sont consacrés ….!
Philippe H.
18 janvier 2021 @ 08:46
Passionnant récit !!!!!
Merci…….
Françoise
18 janvier 2021 @ 09:06
Comme quoi tout est toujours de la manipulation c est a vomir
Jean Pierre
18 janvier 2021 @ 13:42
Vous avez l’indigestion facile.
Jakob van Rijsel
18 janvier 2021 @ 14:06
Sourions-en plutôt. Petit roman de cape et d’épée sans conséquence.
Robespierre
18 janvier 2021 @ 09:27
Au moins il aura passé un peu de temps dans la doulce France, qu’importe dans quel hébergement. Faut voir le bon côté des choses. Et c’est peut-être le seul moment de sa vie d’exilé où il a été heureux.
Leonor
18 janvier 2021 @ 09:37
Parmi les articles d’aujourd’hui sur les Orléans de tous poils, je ne trouvais pas vraiment l’inspiration ad hoc pour une petite zizique . Donc, recours à Internet, au hasard. En tapant » gamelle », puisque de Prince gamelle question il est .
Voilà le résultat :
Un chant populaire des ouvriers du port de Brest ….
https://www.youtube.com/watch?v=cSUh_zRWGsw&ab_channel=LesGoristes-Topic
…. dont on comprend mieux les paroles ici :
https://www.youtube.com/watch?v=JS2PEcrsA34&ab_channel=Gueveld
Vous aurez reconnu l’air de » Auprès de ma blonde » ! Souriez, vous êtes filmé.
Bonne journée !
Carolus
19 janvier 2021 @ 09:50
Merci Leonor ! 😋
Elena1
19 janvier 2021 @ 11:02
Grand merci Leonor.
Leonor
19 janvier 2021 @ 14:18
Ca me fait plaisir de vous faire plaisir . :-)
Stéphane G.
18 janvier 2021 @ 10:24
et bien mes aïeux, on va manger du Orléans à toutes les sauces toute la semaine!
Carolus
19 janvier 2021 @ 09:52
C’est un peu comme les 3J des Galeries Lafayette qui duraient une semaine. 😉
Karabakh
18 janvier 2021 @ 10:32
Finalement, tout n’est (toujours) que machination et suggestion pour ces princes quémandant la gamelle. Rien de nouveau.
ciboulette
18 janvier 2021 @ 10:43
Le surnom lui est effectivement resté . Bel homme , mais pas très malin , apparemment : on devait lui dicter sa conduite !
Phil de Sarthe
18 janvier 2021 @ 10:56
Belle prestance….
Muscate-Valeska de Lisabé
18 janvier 2021 @ 11:15
Selon que vous serez puissant ou misérable…
Sigismond
18 janvier 2021 @ 11:42
Où l’on voit tout le machiavélisme des patrons de presse orléanistes, et le terme de « complices » (complices d’Arthur Meyer) est particulièrement bien choisi par l’auteur du présent texte.
Cet article démontre très clairement combien dans cette affaire, le futur duc d’Orléans (qui porta, rendons-lui cet hommage, son vrai titre, du moins son vrai titre à partir de 1894) ne fut que le pantin des orléanolâtres, parmi lesquels des ducs et marquis déshonorant leurs titres.
Mais cet article passe sous silence le fait que Gamelle recevait dans sa geôle les visites de la danseuse Émilienne d’Alençon et de la chanteuse Nellie Melba (oui, celle de la pêche) et que c’est cela qui fit scandale et amena le président de la République (Carnot) à faire reconduire le godelureau à la frontière (scandale qui causa aussi la rupture des fiançailles de Gamelle avec sa cousine germaine Marguerite d’Orléans).
Rappelons que pendant toute cette grotesque affaire, le véritable chef de la Maison de France, reconnu comme tel par les légitimistes français, était le duc de Madrid, Charles de Bourbon, « de jure » Charles de France, le Roi Charles XI, et la Reine « de jure » n’était autre que Marguerite de Parme, duchesse de Madrid, nièce du comte de Chambord et arrière-petite-fille de Charles X. Le couple royal était également roi et reine « de jure » d’Espagne, pour les carlistes espagnols. Comme on l’avait dit et prédit en 1700, il n’y avait plus de Pyrénées – sauf pour l’usurpateur Alphonse XIII trônant « de facto » à Madrid.
Aetius
18 janvier 2021 @ 12:18
Quels légitimistes français ? Il n’y en a que deux qui soutenaient alors les droits des Bourbons d’Espagne : d’Andigné et Du Bourg. Toutes les voix influentes de l’ancien parti légitimiste (Albert de Mun, La Rochefoucauld, Mgr Freppel, Cazenove de Pradines, Chesnelong, La Tour du Pin, etc.) avaient reconnu le comte de Paris.
jul
18 janvier 2021 @ 13:25
Il n’y a pas de quoi, au vu des résultats, considérer avec admiration et gratitude « ces voix influentes.
HRC
18 janvier 2021 @ 15:39
Joli pseudo.
Sigismond
18 janvier 2021 @ 17:28
Il y en avait beaucoup plus, à commencer par le confesseur (père Bole), l’aumônier (Mgr Curé) et l’exécuteur testamentaire (Huet du Pavillon) du comte de Chambord, mais aussi le général de Cathelineau, le comte de Sainte-Suzanne, le comte de La Viefville, le marquis de Scorraille, le comte de Chardonnet, le comte de Cibeins, le comte de Montbel, Maurice de Junquières, Octave Hermand, Henri Marchand, Jules Delmas, Adrien de Cléry, Hilaire de Curzon, Urbain de Maillé, Victor Coquille, et tant d’autres.
cerodo
19 janvier 2021 @ 14:23
Sigismond, vos messages courtois me manquaient ! Vraiment !
Sigismond
22 janvier 2021 @ 08:33
Merci Cerodo, vous êtes trop aimable, d’autant plus que nous ne soutenons pas le même Capétien :-)
Cosmo
19 janvier 2021 @ 17:15
Mais il manquait les principaux.
beji
18 janvier 2021 @ 13:14
C’est lui que le meurtrier de Sissi voulait assassiner un contretemps a fait que le projet a avorté et Lucchini voulant tuer une personnalité a visé Sissi.
Gérard
18 janvier 2021 @ 15:30
Le prince fut surtout explorateur et passionné de sciences naturelles. Il a laissé ses collections au Museum qui sont à l’origine de la galerie de l’évolution.
Gérard
18 janvier 2021 @ 16:24
Quatre jours après sa libération dans la nuit du 3 au 4 juin 1890 et son
départ pour l’Angleterre le prince reçut un mot de ses anciens geôliers :
« Il a été si doux de vivre auprès de vous que vous serez toujours présent à
notre mémoire et que nous n’oublierons jamais toutes vos bonté pour nous. »
Il tentera ensuite de s’engager dans l’armée russe car le tsar Alexandre III
avait été impressionné par son cran mais le comte de Paris refusa car les
relations russo-britanniques n’étaient pas alors au beau fixe et la comtesse
de Paris regretta : « Nous ne pouvons pas nous passer de l’hospitalité de
l’Angleterre. Si Philippe se mettait au service du tsar, nous serions forcés
de quitter ce pays, et pour aller où ? Nulle part, même en Espagne, au
Portugal, en Belgique ou en Suisse où les chefs d’État sont tenus à une
certaine déférence vis-à-vis du gouvernement français, nous n’aurions la
liberté qu’on nous laisse ici. Le territoire anglais quitté, il nous resterait la
ressource d’aller vivre aux États-Unis. Jolie perspective ! » Et le comte de
Paris écrivit une lettre à la reine Victoria pour l’assurer qu’un officier de
l’armée anglaise ne saurait porter l’uniforme russe.
Le prince avait commencé ses études militaires à Saint-Cyr mais l’exil l’empêchant de
les poursuivre, la reine Victoria le fit entrer à Sandhurst où il ne pouvait faire
carrière parce qu’il aurait fallu l’accord du chef d’État français, mais il fut classé parmi les sous-lieutenants et servit en Inde comme officier d’état-major de Lord Roberts commandant en chef.
Caroline
18 janvier 2021 @ 22:49
Ce prince Gamelle ne mérite pas son surnom si on admire son plastron piqué par une jolie broche en forme de fleur de lys!
Merci pour cet article captivant sur sa volonté d’ aller à l’ armée française comme ses compatriotes !
framboiz 07
19 janvier 2021 @ 00:13
J’ai visité la prison de Clervaux , ce n’est pas un palace ! Surtout la cellule de Blanqui !
Elena1
19 janvier 2021 @ 11:04
Merci Régine.
Naucratis
19 janvier 2021 @ 13:46
Le ton de l’article rappelle l’histoire écrite au XIXe siècle par des « historiens » qui n’avaient jamais suivi un cours d’histoire à l’université. Il est artificiellement enjoué et frise le mépris. Heureusement, une histoire plus sérieuse et moins futile a ouvert une nouvelle page de l’historiographie.
Gérard
21 janvier 2021 @ 16:23
Il y a donc plusieurs manières selon vous de raconter des faits et celle qui consiste à le dire simplement n’est sans doute pas la bonne à votre sentiment.
Naucratis
22 janvier 2021 @ 13:52
Au contraire, Gérard, j’aime la sobriété et ne goûte guère au style ampoulé et artificiel.