La nouvelle impératrice n’a aucune ambition politique, et confie la gestion de l’Etat à ses favoris les frères Razoumovski, Chouvalov, Vorontsov et Alexis Bestoujev-Rioumine.
Ci-desssus, Elisabeth I de Russie – Georg Kaspar von Prenner – 1750.
Dès son accession au trône, elle envisage le retour aux règles de Pierre le Grand et l’activité de la Chancellerie secrète est très réduite.
Élisabeth Ière – Louis Caravaque – 1750 – Galerie Tretiakov
Sa « politique sociale » élargit les droits et privilèges des aristocrates et limite les droits des paysans : en 1746 seuls les nobles peuvent posséder la terre et les paysans et en 1760 ils ont le droit d’exiler en Sibérie les paysans qui les menacent
Sa plus remarquable action politique touche à la peine de mort : par l’oukaze du 23 août 1742, elle abolit la peine capitale pour toute personne âgée de moins de 17ans, et « subordonne son application aux adultes à son droit absolu de commuer la sentence ». Durant son règne, ainsi qu’elle l’avait promis, il n’y eut pas d’exécutions en Russie
Elle n’aime pas s’occuper des affaires de l’Etat et souvent met des mois pour apposer sa signature sur un document. On raconte que lors de la signature d’un traité avec l’Autriche, elle a déjà écrit la moitié de son nom sur le document lorsqu’une abeille se pose sur sa plume : de peur elle rejette la plume et ne revient à cette signature que six mois plus tard.
Elle s’intéresse davantage à la politique étrangère, qui lui confère une grande autorité.
Les relations avec la France s’assombrissent et, fin 1743, La Chétardie est chassé de Russie.
Par le jeu des alliances, Elisabeth se trouve engagée, de 1746 à 1748, dans la dernière phase de la guerre de succession d’Autriche, qui l’oppose à la France et la Prusse et qui prend fin avec la paix d’Aix-la-Chapelle. Son prestige grandit en Europe… encore renforcé par sa participation à la guerre de Sept Ans (1756-1762).
Elisabeth déteste personnellement le roi Frédéric II de Prusse, et il y a un basculement d’alliances : Russie et France contre Prusse et Angleterre. La Russie obtient de brillantes victoires sur l’armée prussienne. Si elle s’est rendue à l’idée de renversement d’alliance, c’est aussi parce qu’elle est naturellement attirée par tout ce qui est français.
Les relations avec la France redeviennent plus cordiales… et Louis XV envoie auprès d’Elisabeth le Chevalier d’Eon… dont on dit qu’il/elle joua un rôle dans ce renversement d’alliance !
Frédéric II – Anton Graff
Elle ouvre à Moscou la première université, le 25 janvier 1755 et fonde en 1756 le premier théâtre public sous la direction de Fiodor Volkov.
D’un autre côté, elle est très dévote, visite les monastères et les lieux de pèlerinage, assiste à toute la liturgie. L’historien Klioutchevski la qualifie de « jeune fille intelligente, bonne, mais désordonnée et capricieuse » qui cherche à unir « les nouvelles tendances européennes » aux « pieuses coutumes des temps passés.«
Avant de porter la couronne, Elisabeth a un amant, le beau et jeune chanteur de la capella de la cour, Alexeï Razoumovski (1709-1774)
Alexeï Razoumovski – Auteur inconnu
Après avoir perdu la voix, il est nommé musicien de la cour (il joue de la bandoura) et il obtient ensuite le poste d’administrateur des biens immobiliers d’Elisabeth.
Razoumovski est honoré du titre de comte et, le 17 mars 1756, le jour de son anniversaire, il est élevé au grade de général-feldmaréchal, bien qu’il n’ait que de vagues notions des affaires militaires et n’ait jamais commandé aucune division.
D’après une légende, après le couronnement d’Elisabeth, ils se marient secrètement dans l’église du village de Perovo, près de Moscou. Ils auraient eu une fille, religieuse cloîtrée toute sa vie sous le nom de Soeur Dossiphéa.
Elisabeth a encore un autre « homme de coeur », Ivan Chouvalov, personnalité non moins intéressante.
Comte Ivan Chouvalov – Fedor Rokotov
Ses parents lui ont donné une très bonne instruction pour ce temps. Il connait plusieurs langues européennes et est érudit. Ayant un beau physique, il se distingue aussi pour ses bonnes manières, sa courtoisie et sa digne tenue dans la haute société.
Chouvalov est amoureux de la princesse Anna Gagarina, jeune fille intelligente, érudite, beaucoup plus âgée que lui. Leurs sentiments sont réciproques et leur mariage est en perspective.
Cependant les proches d’Ivan Ivanovitch et, plus particulièrement ses cousins, les comtes Chouvalov, décident que ce beau jeune homme instruit peut apporter plus de profit s’il devient le favori de l’impératrice. Ils font rompre le mariage entre Ivan et Anna et organisent sa rencontre avec l’impératrice alors âgée de 40 ans.
L’impératrice, « Joyeuse Elisabeth », ayant un faible pour la beauté masculine, apprécie immédiatement les qualités du jeune homme et le prend à son service.
En septembre 1749, elle le fait page de chambre de sa cour. Cette nomination est suivie de la classique suite de titres : chambellan, général-lieutenant, général-adjudant, chevalier des ordres de Saint-Alexandre et de l’Aigle-Blanc.
Cette série aurait pu être prolongée. Les hauts dignitaires, voulant plaire au favori, préparent pour l’impératrice des projets de nouvelles décorations et grades dont il devait être honoré : membre de la conférence, sénateur, comte, chevalier de l’ordre de Saint-André. Cependant, il est parfaitement satisfait de son statut de conseiller privé.
Il est le principal rapporteur et secrétaire de l’impératrice, peut à tout instant avoir une audience. Ses commentaires peuvent résoudre le sort de n’importe quelle affaire. Son grade peu important le dégage de toute responsabilité judiciaire. D’un autre côté, accéder à l’impératrice sans passer par Chouvalov est impossible.
Pierre le Grand attendait de sa fille préférée qu’elle accomplisse une part essentielle de son oeuvre en embellissant Saint-Pétersbourg, qui compte à l’époque 75000 habitants.
Plan topographique de Saint-Pétersbourg vers 1720
Avec l’arrivée sur le trône de Russie d’Elisabeth, un nouveau monde s’ouvre sur la vie de cour. Elle adore la musique, introduit la harpe, la mandoline et la guitare au palais. Elle incarne le lustre éblouissant du baroque elisabéthain, comme en témoignent les permanentes distractions et le minutieux ordonnancement de la vie au palais.
La langue et les manières françaises vont désormais briller sur les bords de la Neva.
Elle fait construire les merveilleuses architectures qui nous éblouissent encore de nos jours. Elle donne carte blanche à un génie, l’architecte d’origine italienne Bartolomeo Rastrelli (1700-1771) pour transtormer Saint-Pétersbourg en une véritable ville impériale
Bartolomeo Rastrelli – Pietro Antonio Rotari
Le style dominant est le baroque, dont le trait caractéristique est la construction monumentale où se mêlent la richesse, le brillant, la magnificence, l’animation émotionnelle.
On lui doit le Palais d’Hiver (1754-1762)
Le palais Catherine (1752-1756)
Le couvent Smolny (1748-1764)
Et bien d’autres constructions à Saint-Pétersbourg, Moscou, Kiev…
Elisabeth est aussi réputée pour sa grande passion des robes, et les tissus français ont sa nette préférence.
A l’été 1753, un incendie se déclare dans le palais de l’impératrice, à Moscou… près de 4000 robes partent en fumée.
A partir de son couronnement, elle ne portera jamais deux fois la même robe, et interdit à toute femme de porter une robe identique à la sienne. A sa mort, on en trouvera encore 15000 dans ses armoires !
Elisabeth Ière – Georg Christoph Grooth – State collection Sergei Grigoryants
A la fin des années 1750, la santé de l’impératrice devient précaire, avec de fréquents évanouissements. Elle devient très grosse, souffle au moindre effort, et avait probablement aussi des maux d’ordre psychique. Elle se renferme sur elle-même, tout l’irrite et elle ne désire prendre aucun médicament. Il est interdit de prononcer en sa présence le mot « mort ».
Elisabeth Petrovna décède le 5 janvier 1762, à Saint-Pétersbourg. Elle est enterrée dans la cathédrale Saints-Pierre-et-Paul.
Avec la mort d’Elisabeth s’éteint la dynastie des Romanov.
De son vivant Elisabeth envisage la question de sa succession et elle choisit son neveu, alors âgé de 14 ans, Karl Pierre Ulrich, qui prend le nom de Pierre après sa conversion à l’orthodoxie
Tous les héritiers suivants au trône impérial, bien qu’ils portent le nom de Romanov, ne sont déjà plus d’origine russe : commence la lignée des Holstein-Gottorp. (merci à Pistounette)
Jean Pierre
16 septembre 2021 @ 09:10
La mort d’Élisabeth n’a donc pas signifié la libération de ses neveux Brunswick-Wolfenbüttel. Rancune tenace aussi des successeurs de la tsarine.
Aldona
16 septembre 2021 @ 09:44
Magnifique Pistounette, très instructif, quel personnage complexe, comme tant d’autres bien sûr. Merci pour ce reportage
Dominique Charenton
16 septembre 2021 @ 10:45
C’est Daria Olivier qui a fait connaître en 1962 à un plus large public cette impératrice en publiant son « Elisabeth de Russie » chez Perrin
Auparavant K.Walidzewski avait également publié chez Plon un excellent : » La Russie au temps d’Elisabeth Iere dernière des Romanov » en 1933
Mayg
16 septembre 2021 @ 14:22
Comment se fait -il qu’elle n’ai jamais voulu ce marier,pour assurer sa descendance et l succession au trône ?
Ciboulette
16 septembre 2021 @ 14:22
Merci à Pistounette pour l’histoire de cette figure intéressante , quelque peu éclipsée ensuite par Catherine II .
Cosmo
16 septembre 2021 @ 14:32
Étrange personnage qu’il est difficile de trouver sympathique mais combien de souverains russes l’on été ? Et combien de souverains au monde ?
aubert
17 septembre 2021 @ 21:45
d’hier et d’aujourd’hui
Beque
17 septembre 2021 @ 08:30
Jean des Cars écrit : « L’entrée en scène du nouveau protégé n’échappe pas à Voltaire : toujours en quête de mécénat et prêt à chanter les louanges d’un bel esprit, le philosophe propose à Chouvalov d’écrire une « Vie de Pierre le Grand ». La démarche est acceptée et… financée. Ce projet contient, dans une lettre de Voltaire en date du 11 juin 1761, une réflexion prémonitoire sur la nécessité d’établir une voie de communication régulière vers l’est, pour atteindre la Sibérie en franchissant un nombre relativement restreint de montagnes. A sa façon, cette correspondance fait de Voltaire un pionnier de l’idée du futur Transsibérien. »