Les débuts de Moonseong à la cour (ci-dessus une jeune femme de bonne famille) sont conformes aux prévisions du Daewongun. La nouvelle reine semble douce, docile, et décidée à se conformer au rôle que l’on attend d’elle. Elle n’a même pas la faveur du roi, qui préfère sa concubine Yi Gwi-in et les banquets festifs.
Mais le Daewongun commet la même erreur que la reine Sinjeong en son temps : il sous-estime sa belle-fille. Mettant à profit l’oisiveté de sa vie de palais, la jeune femme lit énormément et commence à s’intéresser aux affaires politiques.
Elle rassemble dans ses appartements les lettrés les plus instruits et les fonctionnaires les plus au fait des théories politiques modernes. Quelques années à la cour suffisent à Moonseong pour devenir experte des intrigues de cour et pour créer un parti qui lui est dévoué. Le Daewongun se rend compte de son erreur, trop tard.
En 1871, la jeune reine met au monde un fils, qui meurt au bout de quatre jours. Le régent saisit l’occasion pour reprocher à sa belle-fille son incapacité à donner un héritier à la couronne. Il encourage le roi à se rapprocher de ses concubines et nomme prince héritier le fils de la concubine Yi. En réponse, la reine Moonseong accuse son beau-père de lui faire administrer des potions contraceptives en cachette.
En 1874, la faction favorable à la reine, composée de lettrés, de haut-fonctionnaires et de membres de son clan, décide de passer à l’action. Le demi-frère de la reine présente une pétition officielle défendant le droit du roi Gojong, maintenant âgé de vingt-deux ans, à régner seul.
Gojong et son fils, Yi Cheok (Sunjong)
Défait par cette révolution de palais, le Daewongun est contraint par son fils de se retirer des affaires et de s’exiler dans son domaine de Yangju.
Petite vengeance personnelle de la reine, la concubine Yi et son fils sont eux aussi bannis et déchus de leurs titres. Plaçant ses fidèles aux postes clés, la reine Moonseong, à vingt-trois ans, contrôle le Royaume, qu’elle compte bien réformer.
Présage heureux, la reine met au monde l’héritier tant attendu la même année : le futur empereur Sunjong, qui sera le dernier souverain de la Corée indépendante. Après Sunjong, elle donnera naissance à deux autres fils qui ne vivront pas.
Le premier objectif de la reine est d’ouvrir la Corée au monde qui l’entoure. Il faut se souvenir qu’au XIXème siècle, la Corée était tout aussi isolationniste que ses voisins chinois et japonais. Des missions avaient bien essayé de pénétrer le « Royaume érmite », mais sans succès, et le Daewongun, farouche partisan d’une Corée fermée, avait soutenu le parti isolationniste. La chute du régent entrouvre les portes du royaume : en 1876, les ports coréens s’ouvrent aux japonais – peu scrupuleux sur l’usage de la force armée, il est vrai.
La fin des années 1870 est donc une période d’ouverture mutuelle des deux pays, et les envoyés coréens ne peuvent que s’émerveiller de la prospérité du Japon de l’ère Meiji.
Kim Hong-jip, un jeune fonctionnaire envoyé en mission à Tokyo, comprend que l’intérêt du Royaume passe par sa modernisation. Partisan d’une transformation à la Meiji, il encourage l’envoi de jeunes lettrés dans les pays occidentaux et au Japon et parvient à convaincre la reine.
Moonseong, en dépit de l’opposition de l’aristocratie et des conservateurs, soutient le mouvement réformiste : en 1881, une première mission coréenne est envoyée officiellement au Japon pour s’imprégner de la modernité impulsée par l’Empereur.
En 1883, une deuxième mission se rend aux Etats-Unis. Leurs rapports serviront de base à la réforme initiée par la reine. Joseon se dote ainsi, pour la première fois de son histoire, d’administrations consacrées aux affaires étrangères, tandis qu’une Bureau des affaires militaires est chargé de moderniser l’armée et son équipement. Enfin, des départements civils sont créés afin de développer la recherche, l’économie et les sciences. (Merci à Raphaëlle)
particule
29 janvier 2022 @ 07:39
Elle a un bien mauvaise mine ……
Wally
30 janvier 2022 @ 00:09
la légende de la photo ne dit pas qu’il s’agit de la reine mais d’une jeune fille de bonne famille. Je me demande si ces illustrations (illustration de la 2ème partie: Photo ci-dessus : Une jeune fille noble sous Joseon.) ne cachent pas l’absence de représentation de la reine
Raphaëlle
30 janvier 2022 @ 11:59
En effet Wally, aucune représentation de la reine n’a été confirmée par les experts. Cette photo, comme d’autres, était identifiée comme une photo de la reine mais les chercheurs ont infirmé cette hypothèse.
Elle permet en revanche d’avoir un aperçu des coiffures cérémonielles coréennes de l’époque Joseon.
Auberi
29 janvier 2022 @ 07:50
On se croirait sous les Qing où couvaient évidemment les mêmes intrigues, je souriais en lisant qu’il y avait dans ce récit une concubine Yi, idem en Chine pour l’empereur Xianfeng (1850-1861) qui en avait une du même nom laquelle lui avait aussi donné un fils mais a réussi à renverser tous ses adversaires pour régner sous le nom de la redoutable Cixi (ou Ts’eu-Hi) et garda le pouvoir pendant 47 ans. Je connais sa vie par cœur, j’aurais dû être sinologue 😪
Encore merci Raphaëlle 😊
JAusten
29 janvier 2022 @ 09:45
Il faut toujours se méfier de l’eau qui dort, souvent bien plus que les chiens qui aboient.
Aldona
29 janvier 2022 @ 10:11
Passionnant, merci Raphaëlle, de nous avoir fait voyager dans ces pays lointains, cette si jeune reine avait une intelligence innée, car ce n’est pas toujours la culture, l’éducation, le savoir qui donnent cette intelligence
DEB
29 janvier 2022 @ 10:11
J’imagine que l’aristocratie ne devaient guère l’aimer car elle devait craindre de perdre une partie de ses privilèges.
Pistounette
29 janvier 2022 @ 10:12
Raphaëlle,
A part le Japon et la Chine (pays dont je connais assez bien l’Histoire), je suis moins séduite par les autres « petits » pays de l’Asie du Sud-Est.
J’apprécie cependant beaucoup votre récit de l’évolution de la Corée… et je vous félicite surtout pour la qualité de votre travail. Et je parle en connaissance de cause, sachant toute la recherche qu’il a fallu pour rédiger cet article !
Antoine
29 janvier 2022 @ 10:35
Cette série d’articles très intéressants nous plonge dans des mondes très méconnus. La morale que j’en retire est que toutes les cours, de l’Orient à l’Occident, se ressemblent et véhiculent leurs lots d’intrigues et de révolutions de palais. Ce morceau d’histoire de la Corée donne envie d’en savoir davantage.
Gérard
29 janvier 2022 @ 11:09
Merci à Raphaëlle pour cette belle chronique sur une dynastie négligée.
Erato deux
29 janvier 2022 @ 11:27
Quelle force de caractère cette reine. Un femme moderne, à sa manière,
avant l’heure. Quelle leçon aussi sur la lente progression et la nécessité de l’ instruction pour les femmes.
Vraiment merci pour ces récits très instructifs et la riche iconographie.
Cg
29 janvier 2022 @ 11:31
A l’air sympathique la demoiselle !!
Actarus
29 janvier 2022 @ 12:56
Ah… l’ouverture aux Japonais… quelle erreur ! Nous le verrons dans un prochain épisode. Banzai !!!
Trianon
29 janvier 2022 @ 13:10
Je savoure toujours avec plaisir vos récits , Raphaëlle !merci beaucoup.
Charlotte 78
29 janvier 2022 @ 13:48
Comment par le hasard, une grande reine naît et change le cours de l’histoire de son pays.Merci encore Raphaëlle!
Severina
29 janvier 2022 @ 14:35
Tout très interessant et, pour moi, inconnu, merci Raphaëlle
Juliette d
29 janvier 2022 @ 14:52
Dossier très intéressant qui prouve encore une fois si cela est nécessaire à quel point les femmes, à cause de leur ouverture d’esprit et de leur capacité à voir plus loin que le bout de leur nez peuvent amener un pays plus loin que ne le voient les hommes. Elles ne pensent pas qu’ã la guerre, elles.
Auberi
30 janvier 2022 @ 08:03
et oui… sacrée testostérone !
Jacob van Rijsel
29 janvier 2022 @ 23:55
Merci. Exotique et instructif la Corée étant largement méconnue (du moins, de moi)
On voit que les jeux et luttes de pouvoirs sont partout les mêmes.