On oublie souvent le caractère familial qu’avaient les relations maître-serviteur à la Cour de France. Le roi considère en effet que les enfants de ses serviteurs, « ayant, avec le lait de leur nourrice, sucé l’affection de servir sa Majesté, puis y étant élevés et appris continuellement par leurs pères », sont les plus qualifiés, en capacité et en fidélité, pour le servir à leur tour.
De plus, assurer la transmission de ces prestigieux offices à leurs héritiers est une façon pour le prince de récompenser ses serviteurs. Le successeur était souvent nommé par le roi « en survivance », du vivant du titulaire de la charge, qu’il pouvait ainsi seconder, en même temps que se former.
C’est ainsi que la charge de gouvernante des Enfants de France, confiée à Françoise de Souvré, marquise de Lansac, lors de la naissance du futur Louis XIV, s’est transmise dans sa descendance sur huit générations, de grand-mère à petite-fille, mère à fille, ou tante à nièce, de 1638 à 1782.
Il est vrai que cette charge confère à la famille qui la détient un prestige exceptionnel. Veillant sur les enfants royaux, donc sur l’avenir de la dynastie, la gouvernante est un personnage-clé de l’Etat et a une position éminente à la Cour.
Elle a les petites entrées chez le roi, monte dans le carrosse de la reine, et peut circuler en chaise à porteurs à l’intérieur des palais royaux. Elle a la préséance sur les princes du sang lorsqu’elle accompagne un enfant de France. En l’absence des souverains, elle commande « aux gens de guerre et officiers destinés pour la garde de Mgr le Dauphin ». Elle couche dans la chambre du Dauphin, ou de la fille aînée du roi.
Jusqu’au début du XVIIIe siècle, la gouvernante est souvent une femme relativement âgée, veuve et sans enfant à charge : elle doit pouvoir mettre de côté sa vie personnelle. Tel ne sera pas le cas à la Cour de Louis XVI, où les gouvernantes seront des mères de famille assez jeunes.
Françoise de Souvré, marquise de Lansac et les Enfants de France : Louis XIV et son frère Philippe, duc d’Anjou, dit Monsieur, 1643, (Château de Versailles)
Lorsqu’une naissance est attendue dans la famille royale, la gouvernante est responsable du recrutement des nourrices. Celles-ci sont soumises à une vie monacale et à un régime alimentaire rigoureux. La nourrice en titre reçoit une gratification lors de la première dent, et la vaisselle en vermeil de l’enfant ainsi que sa layette au moment du sevrage.
Allaiter le futur roi était évidemment un honneur recherché, promesse d’ascension sociale, comme le montre l’exemple de Marie-Madeleine Mercier, nourrice de Louis XV (1ère photo).
Le Dauphin, futur Louis XIV et sa nourrice, Elisabeth Ancel, dame Longuet de La Giraudière, 1638 (Château de Versailles)
« Madame Mercier, entourée de sa famille, tenant le portrait de Louis XV», par Jacques Dumont, dit « le Romain », vers 1731, (Paris, Musée du Louvre)
La gouvernante des Enfants de France est secondée par une (ou plusieurs) sous-gouvernante(s) et règne sur tout un peuple de nourrices, femmes de chambre, remueuses, empeseuses, valets…, dont l’effectif varie en fonction du nombre d’enfants royaux.
Les « remueuses » étaient chargées de laver et d’habiller les enfants, d’où leur nom, car on emmaillotait les bébés en les tournant soigneusement pour les envelopper dans des bandes d’étoffes.
« Remueuse de M. le duc d’Anjou », gravure, (Château de Versailles)
À l’âge de sept ans, les garçons quittaient ce gynécée pour « passer aux hommes », c’est-à-dire sous l’autorité d’un gouverneur et de précepteurs.
La transmission héréditaire s’observe aussi chez les gouverneurs : le gouverneur de Louis XIV sera le père de celui de Louis XV, le maréchal de Villeroy, dont la famille était apparentée à celle des gouvernantes.
Quant aux princesses, elles restaient sous l’autorité de leur gouvernante jusqu’à ce qu’on leur constitue une Maison, ou à leur mariage, qui était précoce : 12 ans pour Madame Infante en 1739, 16 ans pour Madame Clotilde en 1775, les seules filles de France mariées pendant la période.
À Versailles, la gouvernante et les enfants royaux habitèrent d’abord le premier étage de la Vieille Aile. De 1704 à 1744, ils furent logés au bout du premier étage de l’aile du Midi, emplacement choisi pour son ensoleillement et son calme, à l’écart du tumulte des Grands Appartements.
À partir de 1750, ils s’installèrent au rez-de-chaussée, dans un espace plus grand : les Enfants occupaient la moitié de l’aile du Midi, les pièces donnant sur le parterre, tandis que la gouvernante avait un appartement contigu, au bout de l’aile.
Il ne reste rien aujourd’hui de ces espaces, anéantis par les travaux de Louis-Philippe. À l’emplacement de l’appartement de la gouvernante des Enfants de France se trouve aujourd’hui la salle Marengo du Musée.
La salle Marengo, au château de Versailles (rez-de-chaussée de l’aile du Midi), à l’emplacement de l’appartement que les gouvernantes des Enfants de France occupèrent à partir de 1744
La maréchale de La Mothe-Houdancourt
Lors de la naissance de son fils en 1661, Louis XIV désigna comme gouvernante la marquise de Montausier, Julie d’Angennes, fille de la marquise de Rambouillet.
Cette célèbre précieuse était férue de poésie et de théâtre, sujets qui étaient, selon la Grande Mademoiselle, « mieux de la portée de son esprit que le choix du lait des nourrices et que le jargon qu’il faut avoir pour élever des enfants ». En 1664, elle demanda à être relevée de cette charge pour mieux se consacrer à son autre fonction de dame d’honneur de la reine Marie-Thérèse.
Julie d’Angennes, marquise puis duchesse de Montausier (1607-1671), par Claude Duruet (Strasbourg, Musée des Beaux-Arts)
On fit alors appel à la petite-fille de la marquise de Lansac, Louise de Prie, veuve du maréchal de La Mothe-Houdancourt qui depuis la mort de son mari vivait retirée avec ses enfants au château de Montpoupon.
Si elle avait plus la vocation que Madame de Montausier, elle n’en avait pas les capacités intellectuelles, si l’on en croit Saint-Simon, qui nous dit qu’elle « n’eut jamais le sens commun et de sa vie ne sut ce qu’elle disait, mais la routine et le grand usage du monde la soutint ». Elle éleva les enfants de Louis XIV jusqu’en 1672, et reprit du service pour élever ses petits-fils, de 1682 à 1693.
Louise de Prie (1624-1709), maréchale de La Mothe-Houdancourt
Mais lorsqu’en 1704 naquit le premier arrière-petit-fils de Louis XIV, le roi, sur le conseil de Madame de Maintenon, nomma « en survivance » la duchesse de Ventadour, fille de la maréchale de La Mothe-Houdancourt. (merci à Pascal-Jean Fournier)
Régine ⋅ Actualité 2021, Bourbon, France, Portraits 24 Comments
Vitabel
6 septembre 2021 @ 02:51
Un plaisir de lire ce sujet 🤩
Pistounette
6 septembre 2021 @ 04:21
Passionnant !
jul
6 septembre 2021 @ 05:14
Grand merci pour ce très intéressant article enrichi de ces belles illustrations, avec notamment le portrait de Madame Mercier et de sa famille. J’ai déjà hâte de lire la suite.
Aristocrate
6 septembre 2021 @ 06:51
Que de lectures fort intéressantes aujourd’hui, je vais en garder pour cet après-midi, j’ai hâte d’y être!
JAusten
6 septembre 2021 @ 07:27
Très très instructif. Je ne savais pas qu’il y avait autant de fonction nécessitant chaque fois un personnel différent. Je découvre les coulisses de la petite enfance de nos princes et rois.
Auberi (e)
6 septembre 2021 @ 07:56
Une lecture qui déroule son fil très agréablement, merci à Pascal-Jean pour ce joli moment 😊
Aldona
6 septembre 2021 @ 08:22
Merci pour ce documentaire sur les gouvernantes, c’est tout simplement passionnant à lire, vivement la suite !
Pastelin
6 septembre 2021 @ 08:49
Merci pour cet article instructif et très plaisant ! Vite, la suite …
PATRICIA
6 septembre 2021 @ 09:11
Un prestige, un honneur et une vie personnelle entre parenthèse peut-être trop longtemps pour faire sa vie ensuite. Je crois que la fille de la gouvernante de la fille de Louis XVI était l’une de ses meilleures et fidèles amies et ce très longtemps. C’était aussi l’intérêt d’avoir de jeunes mères en charge des enfants royaux.
Jean Pierre
6 septembre 2021 @ 10:03
Malgré sa sottise, Louise de Prie était une des rares femmes à assister parfois au « petit couvert » du roi même quand elle n’était plus gouvernante, car elle avait pris l’habitude d’y amener les enfants de France quand elle en avait la charge.
Elise
6 septembre 2021 @ 10:11
Passionnant , j’attends la suite de ce récit avec impatience .
Grand merci !
Menthe
6 septembre 2021 @ 13:15
J’ai appris plein de choses ! Ne serait-ce que les « remueuses ».
mousseline
6 septembre 2021 @ 11:46
merci beaucoup pour cet article très intéressant. Je lirai la suite avec plaisir
HRC
6 septembre 2021 @ 12:51
J’aime beaucoup lire ce sujet.
Brigitte - Anne
6 septembre 2021 @ 13:14
Merci beaucoup. Très bel article bien illustré. Vivement le prochain 😀
Mayg
6 septembre 2021 @ 15:20
Merci à monsieur Fournier pour cet article très intéressant. J’attends la suite avec impatience.
Dominique Charenton
6 septembre 2021 @ 17:20
Sur les charges de la cour de France , je recommande un livre remarquable de Leonhard Horowski : Au cœur du palais, Pouvoirs et carrières à la cour de France 1661-1789 :
http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=4770
JAusten
7 septembre 2021 @ 08:41
Merci pour l’information
aphie
6 septembre 2021 @ 17:30
Un récit très instructif et très agréable à lire .
Ciboulette
6 septembre 2021 @ 18:21
Signé » Ciboulette » et non » aphie » !
Mivonne
6 septembre 2021 @ 19:55
Très intéressant, merci!
Michelle
7 septembre 2021 @ 01:28
Merci, c’est toujours agréable de se cultiver, moi aussi j attends la suite.
Carole 007
7 septembre 2021 @ 09:16
N&R dans ce que je préfère, loin de la rubrique people.
Merci.
Noëlle et Gaël
8 septembre 2021 @ 21:23
Avec ce que l’on apprend dans cet article, cela rend les rois et reines plus proches de nous et plus humains.