Charlotte-Eléonore de La Mothe-Houdancourt (1651-1744), duchesse de Ventadour », d’après Pierre Mignard, vers 1717 (Château de Versailles)
Charlotte-Eléonore de La Mothe-Houdancourt (1651-1744) avait été mariée à l’âge de 20 ans, à Louis-Charles de Lévis, duc de Ventadour, un homme débauché et brutal qui la maltraita.
Peu après la naissance de leur unique fille, elle se réfugia dans un couvent pour échapper à son mari. Enfin séparée de lui, elle mena d’abord une vie fort galante. Devenue en 1684 dame de d’honneur de Madame, princesse Palatine, qui l’appelait sa « belle Doudou », elle obtint à ce titre un logement à la Cour. Elle se lia alors au petit cercle animé par Fénelon, autour de lectures pieuses, et devint dévote.
Selon Saint-Simon, la duchesse de Ventadour était « parfaitement bien faite, n’avait nul esprit, mais de la bonté, (…) gouvernée toute sa vie et faite pour l’être ». En 1704, sa jeunesse tumultueuse était oubliée et ne fit pas obstacle à sa nomination.
Madame de Maintenon savait pouvoir compter sur son dévouement absolu, et disait d’elle : « C’est la meilleure femme du monde, et qui se donne tout entière à ce qu’elle fait ».
Les deux femmes, passionnées par l’éducation, sont devenues amies. Leur correspondance montre une attention à la petite enfance rare à cette époque, où on s’attache peu, en général, aux enfants en bas âge, dont on ne porte même pas le deuil.
Or, Madame de Ventadour éprouve un chagrin extrême lors de la mort du frère aîné du futur Louis XV, le petit duc de Bretagne, âgé de 5 ans, le 8 mars 1712.
Ses échanges avec Madame de Maintenon révèlent aussi chez elles un sens de la psychologie, également précurseur, et des idées novatrices : par exemple, elles critiquent l’emmaillotage des nourrissons, et prônent une pédagogie adaptée au rythme de l’enfant, tout en lui inculquant très tôt fermement les règles de morale et de tenue.
Leurs lettres ne nous laissent rien ignorer des problèmes d’allaitement, des dents qui percent, ou de la question de savoir s’il faut commencer la bouillie avant l’âge de huit mois.
« Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon, en sainte Françoise Romaine », par Pierre Mignard, 1694 (Château de Versailles)
En mars 1712, Madame de Ventadour sauva la vie du futur Louis XV, alors duc d’Anjou, âgé de deux ans, malade de la rougeole, en le soustrayant aux remèdes aberrants des médecins.
Le petit duc de Bretagne, atteint de la même maladie, venait de mourir après avoir été saigné. « M. le duc d’Anjou tétait encore. La duchesse de Ventadour, aidée des femmes de la chambre s’en empara, ne le laissèrent point saigner ni prendre aucun remède. », raconte Saint-Simon.
La Princesse Palatine écrit aussi, le 10 mars 1712 : « … les femmes (…) se sont enfermées avec lui et lui ont donné un biscuit et un peu de vin. Hier l’enfant avait une forte fièvre, ils (les médecins) ont voulu le saigner, mais Madame de Ventadour et la sous-gouvernante du prince, Madame de Villefort, s’y sont fortement opposées et n’ont absolument pas voulu le souffrir. Elles l’ont simplement tenu bien au chaud, et cet enfant a été sauvé, à la honte des docteurs. Si on les avait laissés faire, sûrement il serait mort. »
La santé de cet enfant fragile était d’autant plus précieuse qu’il était devenu l’unique héritier mâle, en France, de Louis XIV. Sa disparition pouvait réactiver les prétentions de Philippe V d’Espagne, (qui avait dû renoncer à ses droits au trône de France en 1713 pour pouvoir garder sa couronne) et donc ranimer la guerre en Europe. La survie de Louis XV était donc un enjeu politique et diplomatique essentiel.
Consciente de son immense responsabilité, Madame de Ventadour est terriblement angoissée par la santé de cet enfant, qu’elle adore. Elle ne le quitte jamais.
Son amie, Madame de Maintenon, la rassure régulièrement : « On ne peut rien ajouter à vos soins pour notre trésor (…) je n’ai jamais vu directement ni indirectement qu’on vous accusa de le négliger, l’idée qu’on a de vous est bien différente car on croit que vous n’avez d’attention que pour lui et qu’outre l’importance dont il est, vous avez une tendresse extrême pour sa très charmante personne ».
Orphelin depuis l’âge de 2 ans, Louis XV aimera toujours sa gouvernante comme une mère, l’appelant « Maman Ventadour », « Maman Doudou », ou tout simplement « Maman ».
Louis XV à l’âge de six ans, marbre d’Antoine Coysevox, 1716, (New York, Metropolitan Museum)
Le 15 février 1717, jour de son septième anniversaire, Louis XV « passa aux hommes » : il fut donc séparé de sa gouvernante pour relever de l’autorité du maréchal de Villeroy, le gouverneur que Louis XIV avait désigné dans son testament.
Ce jour-là, le petit roi ne cessa de pleurer et refusa de manger. Il n’accepta de dîner que lorsqu’on fit revenir « Maman Ventadour » (tout aussi affligée que lui mais cachant ses larmes) pour le raisonner. On apporta alors de magnifiques bijoux qui lui furent offerts en présence de Louis XV. Celui-ci trouva ces présents insuffisants et déclara : « C’est bien peu, ma bonne en mérite davantage par les bons soins qu’elle a pris de moi ».
Un tableau de la Wallace Collection, représente la duchesse de Ventadour dans toute la dignité de sa fonction de gouvernante et son intimité avec la famille royale. Il la montre tenant en laisse le futur Louis XV, qui tend la main vers son arrière-grand-père Louis XIV, entouré du Grand Dauphin et du duc de Bourgogne. La présence des bustes d’Henri IV et de Louis XIII souligne le caractère dynastique du tableau.
Celui-ci a été commandé, par Madame de Ventadour ou par sa sœur, la duchesse de La Ferté; il faisait partie d’une série de portraits célébrant la lignée de gouvernantes issues de leur famille.
« Madame de Ventadour avec Louis XIV et ses héritiers », autrefois attribué à Nicolas de Largillière ou François de Troy, vers 1715-1720, (Londres, Wallace Collection).
Dans la même série, la duchesse de La Ferté, également gouvernante en « survivance » se fit représenter avec à ses côtés le petit duc de Bretagne, et sur ses genoux, le futur Louis XV, dont elle était la marraine.
En effet, le 7 mars 1712, Louis XIV ayant ordonné qu’on baptise immédiatement les deux petits princes atteints par l’épidémie de rougeole, en prenant pour parrains et marraines « ceux qui se trouvaient dans la chambre », Madame de Ventadour avait choisi des personnes de sa propre famille.
Malgré l’affolement, elle avait eu assez de présence d’esprit pour ne pas laisser échapper l’honneur insigne de lier de cette façon les siens à la famille royale…
« Marie-Isabelle-Angélique de La Mothe-Houdancourt (1654-1726), duchesse de La Ferté, avec le duc de Bretagne et le duc d’Anjou, futur Louis XV », par François de Troy, (Leeds City Art Gallery)
La duchesse de Ventadour reprit son service en 1722 lors de l’arrivée, à la Cour de l’infante Marie-Anne-Victoire, destinée à épouser Louis XV dont elle était la cousine germaine.
Elle avait trois ans, son fiancé onze ! Celui-ci ne témoignait aucun intérêt à la fillette, pourtant délicieuse, et Madame de Ventadour s’évertua en vain à rapprocher les deux enfants.
En 1725, l’infante fut renvoyée en Espagne pour raisons politiques : il fallait marier Louis XV au plus tôt avec une princesse en âge de lui donner des enfants immédiatement.
Son union avec Marie Leszczynska, célébrée la même année, porta en effet ses fruits dès 1727 : deux jumelles naquirent et « Maman Ventadour » reprit à nouveau du service, à l’âge de 76 ans, avant de se retirer finalement en 1735, comblée d’honneurs. Elle mourut le 15 décembre 1744 à l’âge de 93 ans.
« Louis XV et l’infante Marie-Anne-Victoire », par François de Troy, (Florence, Palais Pitti)
La fille de Madame de Ventadour, Anne-Geneviève (1673-1727) avait épousé en premières noces en 1691 Louis-Charles de La Tour d’Auvergne, prince de Turenne, qui fut tué l’année suivante à la bataille de Steinkerque.
Elle se remaria en 1694 avec Hercule-Mériadec de Rohan, prince de Soubise. Cette alliance prestigieuse fit entrer la charge de gouvernante dans la famille de Rohan.
À Madame de Ventadour succédèrent ainsi sa petite-fille la duchesse de Tallard, puis en 1754 son arrière-petite-fille la comtesse de Marsan, enfin en 1775 son arrière-arrière-petite-fille la princesse de Guéménée (toutes les trois nées Rohan-Soubise). (merci à Pascal-Jean Fournier)
Régine ⋅ Actualité 2021, Bourbon, France, Portraits 21 Comments
JAusten
7 septembre 2021 @ 05:59
Merci beaucoup pour ce travail.
Ces deux articles m’ont tout simplement donné envie d’en lire plus sur cette dame et son travail avec Mme de Maintenon sur la petite enfance.
Cosmo
7 septembre 2021 @ 06:18
J’ignore qui je préfère de Mignard ou Largillière.
Merci pour cet article intéressant.
Aldona
7 septembre 2021 @ 06:33
Quelle vie extraordinaire jusqu’à 93 ans, assez rare à cette époque, merci à vous Pascal-Jean
Ciboulette
7 septembre 2021 @ 18:04
Une dame fort appréciée pour ses talents d’éducatrice , tout comme Madame de Maintenon l’avait été en son temps .
Merci à l’auteur pour cette lecture agréable et instructive .
Mademoiselle Heloïse
7 septembre 2021 @ 08:00
Un article de qualité.
Merci pour ces moments de plaisir et d apprentissage.
Vous avez éveillée ma curiosité.
Merci.
Jeanne
7 septembre 2021 @ 08:41
Article vraiment très intéressant: merci beaucoup!
tigrette
7 septembre 2021 @ 09:43
Merci Pascal-Jean pour cet article passionnant comme le précédant.
Je m’étais déjà beaucoup intéressée à cette personne dans le passé mais grâce à cette rubrique, je découvre encore plus de qualités à cette personne, malgré » sa vie agitée » d’après veuvage.
Mais vu les affres qu’elle avait connus dans sa courte vie de mariée, on peut lui trouver des excuses!
Antoine
7 septembre 2021 @ 09:53
Cet intéressant article m’a rappelé l’ancienne expression « tenir en lisière » (et non « en laisse ») la lisière étant les rubans tenus par la gouvernante et attachés à l’enfant pour l’empêcher de tomber.
Menthe
7 septembre 2021 @ 10:20
Merci beaucoup à Pascal-Jean Fournier.
Article très intéressant sur une de ces mères de substitution qui était au quotidien la véritable maman du duc d’Anjou et du duc de Bretagne.
Actarus
7 septembre 2021 @ 10:49
Elle a vécu très longtemps, pour l’époque. Un peu comme mon ancêtre Marie Anne Charlotte Gosselin (20 février 1726 – 14 juillet 1818).
Léa 33
7 septembre 2021 @ 11:37
Bonjour et merci pour ces articles passionnants. Comme d’autres je suis curieuse d’en savoir plus sur cette dame qui semble avoir été en avance sur son temps en matière éducative.
Lionel
7 septembre 2021 @ 11:48
Mme de Ventadour est l’arrière-grand-mère du fameux cardinal de Rohan. Elle est également l’aïeule de l’actuelle famille princière de Monaco, des ducs d’Ursel et de l’actuelle famille ducale de Brissac (par les Schneider), entre autres.
Catherine
7 septembre 2021 @ 12:02
Très intéressants les échanges entre V et M. finalement elle n était pas si sotte que les mémorialistes hommes le prétendent. Un roman et un film sur l’histoire de la petite Victoire: Chantal Thomas, L’échange des princesses et le film du réalisateur Marc Dugain portant le même titre.
Trianon
7 septembre 2021 @ 13:22
Merci infiniment pour cet article, instructif et agréable à lire !
Gérald
7 septembre 2021 @ 14:03
« Il la montre tenant en laisse le futur Louis XV, qui tend la main vers son arrière-grand-père Louis XIV »
Non pas « en laisse » mais « en lisière ». On tenait en lisière les jeunes enfants commençant à marcher.
Désormais, au figuré, l’expression veut dire « tenir sous contrôle ».
https://www.expressions-francaises.fr/expressions-t/3365-tenir-en-lisiere.html
Mayg
7 septembre 2021 @ 14:03
La fonction de gouvernante des enfants de France est donc un immense honneur transmis de génération en génération.
Les enfants élevés par les gouvernantes ont plus d’affection pour ces dernières que pour leurs propres parents. Maman Ventadour ou tout simplement maman, ça veut tout dire.
Par contre j’ai du mal avec l’enfant tenu en laisse…
Merci pour cet article très intéressant.
Par contre
Lunaforever
7 septembre 2021 @ 14:21
Dur,dur d’être un bébé à cette triste époque 😨
Brigitte Anne
7 septembre 2021 @ 15:03
Merci beaucoup pour cet article fort intéressant . Comme JAusten j’ai envie de mieux connaître Madame de Ventadour . Décédée à 93 ans , ce qui était très rare pour l’époque .
Isa
7 septembre 2021 @ 21:28
Merci pour l’évocation de la vie touchante et hors du commun de Mme de Ventadour! elle sauva le futur Louis XV des médecins: sans son intervention, l’histoire de France aurait pu en être bouleversée.
Les tableaux choisis sont de toute beauté!
Michelle
8 septembre 2021 @ 01:24
Merci à vous M. Fournier pour cet article, contente de savoir que les préoccupations des mères d aujourd hui sont presque les mêmes qu autrefois, plus ça change plus c’est pareil.
Leclercq
4 octobre 2023 @ 08:47
Lire « l’échange des princesses » de Chantal Thomas et voir le film avec Lambert wilson.