Philippe II de Habsbourg, roi d’Espagne, de Naples et de Sicile, archiduc d’Autriche, duc de Milan et prince souverain des Pays-Bas, roi de Portugal et roi d’Angleterre de 1554 à 1558. Il est à la tête de toutes les possessions espagnoles en Amérique et en Asie. Ici, Philippe II par Sofonisba Aguissola.
Elisabeth de Valois, Fille de France par Antonio Moro
Philippe II est né à Valladolid, en Espagne, le 21 mai 1527, fils de Charles Quint et d’Isabelle Aviz, infante du Portugal. Sa vie est entourée, injustement, d’une légende noire.
Il eut une éducation soignée grâce à des précepteurs de renom. Il parlait, outre l’espagnol, le portugais, le latin, l’italien et le français.
Philippe II par Le Titien
A 16 ans, son père l’initia aux affaires publiques. Il le maria aussi à sa double cousine germaine, Marie-Manuelle d’Aviz, infante du Portugal. Elle meurt deux ans après en donnant naissance à don Carlos, prince des Espagnes (1545-1568). Carlos dut sa gloire et sa renommée, non à ses capacités propres mais à Schiller et à Verdi qui en firent le héros d’une histoire d’amour malheureuse avec sa belle-mère, Elisabeth de Valois.
Tout ceci releva de la légende et non de la vérité historique.Mais les rapports du père et du fils furent exécrables. L’infant, peut-être en raison de son ascendance consanguine ( Il avait 6 arrière-grands-parents au lieu des 16 normaux ), montrait des signes d’instabilité mentale. Son père songe à le marier à Elisabeth de Valois, fille de Henri II et de Catherine de Médicis, mais veuf son père la prend pour femme.
Don Carlos par Alonzo Sanchez Coello
En 1564, devant ce qu’il juge l’incapacité de son fils à lui succéder, Philippe II fait venir en Espagne ses neveux, les archiducs Rodolphe et Ernest, afin de leur assurer la succession de ses États. Irrité de cette conduite, don Carlos traite, en 1567, avec les Pays-Bas révoltés contre son père, et promettre aux rebelles de se mettre à leur tête. Philippe semble croire que don Carlos a conspiré contre sa vie et le fait arrêter : il est condamné par l’Inquisition. Quelques mois après, il meurt dans sa prison, selon les uns, de consomption, selon d’autres, empoisonné (1568).
Marie Tudor, reine d’Angleterre
Mais Philippe II avait conclu une alliance matrimoniale prestigieuse, en 1554. Il avait épousé sa double cousine germaine, Marie Tudor, reine d’Angleterre. Ce mariage devait permettre à Marie de restaurer le catholicisme en Angleterre. Il semble que la reine ait été amoureuse de son mari. Mais elle ne put lui donner un héritier. Elle meurt en 1558.
Elisabeth de France, reine d’Espagne par Juan Pantoja de la Cruz vers 1565
Le royaume d’Espagne n’ayant toujours pas d’héritier digne de lui, Philippe épousa Elisabeth de Valois, le 22 juin 1559.
Fille des souverains français, elle apportait avec elle les prémisses de la paix entre les deux royaumes.
Élisabeth est la première fille et le deuxième enfant du roi Henri II de France et de son épouse Catherine de Médicis. À sa naissance son père était encore dauphin.
François Ier meurt l’année suivante et le père de la petite Élisabeth devient roi de France sous le nom de Henri II laissant le titre de Dauphin à son fils aîné, François.
Élisabeth grandit à la cour au côté de la jeune reine d’Écosse Marie Stuart, fiancée du dauphin, dont elle partageait la chambre jusqu’au mariage de celle-ci en 1558, et de sa sœur cadette Claude qui épousera le duc Charles III de Lorraine, lui aussi élevé à la cour de France.
Marie Stuart, reine de France et reine d’Ecosse par François Clouet
Très tôt, le mariage d’Élisabeth a été un enjeu politique; la jeune princesse est promise au roi Édouard VI d’Angleterre qui meurt à l’âge de 16 ans en 1553 laissant le trône à sa demi-sœur Marie I d’Angleterre qui épouse le roi Philippe II d’Espagne, alors en guerre contre la France.
Le traité du Cateau-Cambrésis entre l’Espagne et la France stipule que le mariage de la jeune Élisabeth et du roi Philippe II d’Espagne, devenu veuf, scellera la réconciliation des deux royaumes.
Le mariage par procuration eut lieu à Notre-Dame de Paris le 22 juin 1559, le duc d’Albe représentant Philippe II, peu après le mariage de Claude, sœur cadette d’Élisabeth, avec le duc Charles III de Lorraine. Ce fut durant les festivités de son mariage que mourut tragiquement son père Henri II, victime d’un éclat de lance dans l’œil.
La princesse n’étant pas nubile, son départ pour l’Espagne fut repoussé jusqu’au 18 novembre. Elle ne rencontra le roi que le 31 janvier 1560. Il se raconte que lors de cette première rencontre, Élisabeth aurait dévisagé longuement son mari et ce dernier lui aurait demandé avec humour : « Vous regardez si j’ai des cheveux blancs ? » Le mariage — qui fut heureux — ne fut consommé que plus tard, en mai 1561, en raison du jeune âge de la mariée qui avait quatorze ans.
Fille et petite-fille de roi, Élisabeth fut aussi la sœur des trois derniers rois de France de la dynastie Valois, François II (1544-1560), Charles IX (1550-1574) et Henri III (1551-1589). François d’Alençon, duc d’Anjou, était également son frère cadet. Elle était aussi la sœur de Claude de France (1547-1575), duchesse de Lorraine, et de Marguerite de Valois, dite la Reine Margot, reine de Navarre. Elle fut donc la belle-soeur de Henri IV et de Marie Stuart.
Après une fausse couche, la reine d’Espagne donna naissance à deux filles.
Les infantes Isabelle et Catherine par Alonso Sánchez Coello
Isabelle Claire Eugénie de Habsbourg (1566-1633) qui épousa son cousin l’archiduc Albert. Ils furent les régents très appréciés des Pays-Bas espagnols, soit l’actuelle Belgique. En 1621, à la mort de son mari, Isabelle entra dans l’ordre des Clarisses.
L’Infante Isabelle par Frans Pourbus le Jeune
Sa titulaire était Isabelle-Claire-Eugénie par la grâce de Dieu infante de tous les Royaumes d’Espagne, Duchesse de Bourgogne, de Lothier, de Brabant, de Limbourg et de Luxembourg, comtesse de Flandre, d’Artois, de Bourgogne Palatine, de Hainaut, de Hollande, de Zélande, de Namur, de Zutphen, marquise du Saint-Empire, Dame de Frise, de Salins, de Malines, des pays et cités d’Utrecht et de Groninge.
Elle fut même pressentie pour monter sur le trône de France à la mort de son oncle Henri III. On lui doit, selon la légende, la couleur “Isabelle”. Devant Ostende tenue par Maurice de Nassau et les rebelles des Provinces du Nord, elle jure de « ne changer de linge de corps qu’après la prise de la place ». Or après cette harangue à la troupe, Ostende résiste trois années, ce qui fit dire aux conteurs et soldats plaisantins qu’il existait bien une teinte fauve et une odeur particulière, bref une robe que l’on pourrait nommer « isabelle ». Son prénom célèbre allié à sa chevelure fauve aurait ainsi justifié la couleur isabelle d’un habit puis d’un cheval.
L’Infante Isabelle en clarisse
Catherine Michelle de Habsbourg (1567-1597) qui épousa à Saragosse le 11 mars 1585 Charles-Emmanuel Ier de Savoie avec lequel elle eut dix enfants. Elle est l’ancêtre de tous les Bourbons et Habsbourg vivant aujourd’hui.
L’Infante Catherine-Michelle, duchesse de Savoie par Sofonisba Anguissola
L’Infante Catherine-Michelle par Alonzo Sanchez Coello
Élisabeth mourut le 3 octobre 1568, 6 mois après son 23e anniversaire, alors qu’elle portait un fœtus de cinq mois de sexe féminin. Elle laissa son mari inconsolable. Le mariage de Philippe II avec la princesse Elisabeth fut éminemment politique mais il aima sa femme.
Le besoin d’avoir un héritier et de conforter les relations avec l’Empire, amenèrent Philippe II à se remarier peu après avec sa nièce, l’archiduchesse Anne d’Autriche qui lui donna le fils tant espéré pour lui succéder. Les filles du couple, toutefois, restèrent très proches de leur père.
Anne d’Autriche, reine d’Espagne par Antonis Mors
On peut noter que Marie-Anne avait aussi été fiancée à don Carlos. Ce dernier eut donc deux fiancées qui lui furent enlevées par son père.
Philippe III par Pierre paul Rubens
Philippe III continua la lignée des Habsbourg d’Espagne et comme sa soeur Catherine, il est l’ancêtre de tous les Habsbourg et Bourbons vivant aujourd’hui.
Le règne de Philippe II apparait sombre, dicté par l’Inquisition et la répression notamment aux Pays-Bas, avec le fameux duc d’Albe, mais il ne fut pas que cela. Il marqua l’apogée de la puissance espagnole pour laquelle on parle de Siècle d’or. Les richesses affluent d’Amérique, pourtant, à plusieurs reprises, la monarchie espagnole se place dans des situations économiques de crises dues aux banqueroutes. L’assainissement financier traduit la première banqueroute en 1557 puisque Philippe II refuse de payer les dettes de son père. D’autres banqueroutes auront lieu en 1575 et en 1597. Il fut le siècle de l’Escorial et du Greco.
L’Escorial
Le Titien enrichit les collections royales par tous les portraits qu’il fit des princes de la Maison d’Autriche, espagnole ou allemande. (Merci à Patrick Germain pour cet article)
Armes de Philippe II de 1580 à 1598
framboiz 07
28 janvier 2019 @ 04:19
Petit Rappel : Fernand Braudel rédigea sa thèse d’Histoire sur la Méditerranée au siècle de Philippe II.
Damien B.
28 janvier 2019 @ 07:42
Merci cher Patrick pour cette belle promenade matinale au XVI è siècle.
Le propos et les illustrations rendent très plaisant cet article que j’ai eu grand plaisir à lire.
Bien cordialement,
Damien B.
ps : toujours les mêmes difficultés à poster un commentaire :)
Dominique Charenton
28 janvier 2019 @ 08:04
Cosmo
Quelques extraits d’un ouvrage montrant un Philippe II autre que l’image habituelle :
« Lettres de Philippe II à ses filles les infantes Isabelle et Catherine écrites pendant son voyage en Portugal (1581-1583) « , 1884
in introduction pages 67 et 68
» Si la correspondance que nous publions fait apparaître sous un jour nouveau les sentiments paternels de Philippe II, à un autre point de vue encore elle modifiera l’idée qu’on s’est faite jusqu’ici du monarque espagnol : nous voulons parler de sa familiarité avec ses serviteurs domestiques. Il y a surtout une Madalena envers laquelle il se montre d’une mansuétude extraordinaire : il tolère qu’elle se fâche contre lui à propos de quelques observations qu’il lui fait et qu’elle le menace même de s’en aller ; il a pour elle les plus grands égards. Cette Madalena devait être depuis de longues années au service de la maison royale ; une de nos lettres la représente comme « « vieille, sourde et à moitié caduque » » ce qui n’empêchait pas que les pieds lui démangeassent quand elle entendait un air de danse, et qu’elle aimât beaucoup les courses de taureaux. Au mois de septembre 1582 elle tomba malade ; il fallut la saigner : à cette occasion , selon l’usage d’Allemagne, l’impératrice Marie lui fit présent d’une chaîne d’or, et elle reçut des bracelets de l’archiduchesse Marguerite.
Citons aussi un Morata, à qui Philippe II , donne des nouvelles de ses filles, « « afin » » – leur écrit-il – « « qu’il ne soit pas mal avec moi, bien que quelquefois il le soit trop, cependant pas autant qu’il en avait coutume « «
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» A las infantas mis hijas
Almada, à 26 de junio 1581
…..
….. J’aurais encore des choses à vous dire de ces derniers jours, mais je n’en ai pas le temps, Madeleine et d’autres doivent d’ailleurs les écrire.
……
Madeleine montre une grande tristesse de ce que son gendre est parti aujourd’hui pour Madrid ; je crois qu’elle le fait pour la forme. Elle a été très fâchée contre moi, parce que je l’ai grondé à propos de certaines choses qu’elle avait faites à Bélem et sur les galères ; elle a été très hardi avec Luis [ autre membre de la domesticité] pour le même motif. «
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» A las infantas mis hijas
Lisboa, à 23 de octubre 1581
…… Madeleine est très fâchée contre moi depuis qu’elle vous a écrit, et c’est parce que je n’ai pas grondé Luis Tristan à propos d’une querelle qu’ils eurent ensemble devant mon neveu. Je n’étais pas présent et je crois que ce fut elle qui commença en traitant Luis Tristan avec mépris. Elle s’en est allée de très mauvaise humeur contre moi, disant qu’elle veut partir et qu’elle le tuera : mais je crois que demain elle aura tout oublier «
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» A las infantas mis hijas
Lisboa,, à 15 de enero 1582
……Il me semble que Madeleine n’est plus si fâchée contre moi ; mais il ya quelque temps qu’elle est malade : elle s’est purgée, et elle est restée de très mauvaise humeur. Hier elle vint ici : elle est dans un triste état, faible, vieille, sourde et à moitié caduque. Je crois que cela provient de ce qu’elle boit, et que, pour cette raison, elle est enchantée de ne pas avoir son gendre auprès d’elle. Aujourd’hui je ne l’ai pas vue, je pense que sa mauvaise humeur l’empêchera de vous écrire. Hier elle me dit qu’elle n’en voulait pas à celle dont elle vous a parlé , qu’on appelle Mariola, et qui se nomme Maria Fernandez : je l’en crois , parce qu’elle a, au contraire, du plaisir à entendre chanter Mariola, et avec raison , car celle-ci chante très bien, seulement elle est si grosse et si grande qu’elle ne peut quasi passer par la porte.. »
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» A las infantas mis hijas
Lisboa,, à 29 de enero 1582
…..Madeleine m’a dit aujourd’hui qu’elle écrirait; jusqu’à ce moment elle n’est pas venue : je ne sais ce qu’elle a eu ces jours ci, mais je crois que c’est peu de choses ; peut-être le vin n’y est pas étranger. Si elle savait que je vous écrit cela, elle m’en ferait de belles
» A las infantas mis hijas
Lisboa,, à 25 de junio 1582
….Madeleine fait très bien de vous écrire elle est auprès de moi en ce moment, et elle me prie de vous dire qu’elle aimerait mieux être avec vous que de vous donner de ses nouvelles par correspondance : moi je dis que, quoique les pieds lui démangent quand elle entend quelque air de danse, elle se fatigue maintenant si vite qu’elle ne peut plus danse. L’autre jour elle eut une défaillance et elle en est demeurée très faible. On dit que Morata est rétabli, mais il ne vient pas encore ici : assez souvent il m’a demandé de vous envoyer ses compliments ; il voulait me les donner si longs que je ne vous en ai pas écrit. Il ne faut pas qu’il le sache, car il le prendrait très mal. Quelques fois je lui donne de vos nouvelles . Tout cela est nécessaire pour qu’il ne soit pas mal avec moi , bien que quelque fois il le soit assez, cependant pas autant qu’il en avait coutume. Je ne sais ce qu’il en sera après cette maladie.
» A las infantas mis hijas
Lisboa,, à 17 de setiembre 1582
…. Madeleine a dans son logement un bout de petite terrasse qui donne sur la place ; elle a été si occupée à l’arranger qu’elle n’a pu vous écrire , je crois même qu’elle ne l’a pas voulu, car je lui ai rappelé plusieurs fois : elle dit que, la veille d’une course de taureaux , elle ne saurait se mettre à écrire. Elle se fait une fête du spectacle de demain comme si les taureaux devaient être excellents ; je crois, moi, qu’ils seront mauvais, et ce qu’il y aura de mieux , ce seront les danses qui dit-on, auront lieu sur la place. Elle écrira ce qu’il en aura été , si elle ne l’oublie pas d’ici là, comme elle est capable de le faire. » » »
» A las infantas mis hijas
Lisboa,, à 1 de octubre 1582
» ….. mais il me faut parler de Madeleine,qui, depuis lors, a eu la fièvre et a été saignée deux fois et purgée ; à l’heure qu’il est , elle va bien. Aujourd’hui elle est venue me voir, quoique très faible encore et de mauvaise couleur : elle m’a dit qu’elle n’avait pas de goût au vin, ce qui pour elle est un mauvais signe. Vous n’avez pas cette fois à vous plaindre d’elle,car, sans nous rien dire , elle a apporté le pli pour le comte qui doit refermer ses lettres. Véritablement elle m’a paru aujourd’hui si faible que je crois que quelque raison particulière l’aura fait venir : mais, d’ordinaire elle se remet vite, et ce qui y contribuera beaucoup, c’est une petite chaîne d’or qui lui a été envoyée par ma sœur et des bracelets par ma nièce, à l’occasion de la saignée qu’elle a subie, ainsi que cela se pratique en Allemagne. .
Robespierre
28 janvier 2019 @ 08:39
C’était vraiment intéressant. On connait mal la vie de Philippe II qui a l’air d’avoir été un homme intéressant et complexe. J’ai lu quelque part que l’or rapporté des Amériques par les Espagnols contribua à la ruine de l’Espagne. Et justement Patrick Germain parle de banqueroutes. Pourrait-il développer car c’est un point assez intéressant.
On est toujours atterré quand on lit ces mariages consanguins. Philippe II a la lippe des Habsbourg et d’après le premier chapitre du livre de Patrick Germain ( « Le roi légitime » )on lit que cette famille d’Espagne finit completement tarée à cause de la consanguinité.
Patrick Germain
28 janvier 2019 @ 17:54
Cher Robespierre,
Voici un article du Monde, publié le 06 septembre 2010, par Pierre Bezbakh, maître de conférences à l’université Paris-Dauphine. Il répondra mieux que je ne saurais le faire à vos questions légitimes sur les banqueroutes de Philippe II:
« En 1519, Charles Quint se trouve à la tête d’un immense empire : descendant des Habsbourg autrichiens, héritier du trône d’Espagne et de possessions flamandes, il a été porté à la tête du Saint Empire romain germanique par de grands électeurs cupides. Grâce au pillage des colonies américaines, l’or et l’argent arrivent en Espagne en grande quantité.
Ainsi, quand le fils de Charles Quint, Philippe II, succède à son père en 1556, l’Espagne est en apparence la plus grande puissance européenne. Mais il ne s’agit que d’une illusion. En effet, Philippe II a du mal à financer ses dépenses dues à la construction de palais, à l’entretien des grands d’Espagne et aux guerres contre la France, les Turcs, l’Angleterre et les Flamands révoltés…
Or, les arrivées de métal précieux sont intermittentes : il faut extraire l’argent des mines du Potosi (aujourd’hui en Bolivie), l’acheminer jusqu’à la mer et le charger sur des galions qui doivent affronter les tempêtes et les corsaires anglais et français.
Aussi, quand les caisses sont vides, le royaume espagnol émet des emprunts, pratique peu originale mais qui devient récurrente et de grande ampleur. Ils sont souscrits par des prêteurs étrangers, comme les Fugger allemands et les banquiers génois, qui accumulent des « créances douteuses », mais continuent à prêter en sachant qu’ils perdront tout s’ils cessent de le faire, comme aujourd’hui les grandes banques continuent à prêter aux Etats surendettés. La différence est qu’à l’époque, les prêteurs attendaient l’arrivée promise des métaux américains, tandis que de nos jours, les prêteurs attendent que d’autres Etats ou les banques centrales soutiennent les pays en difficultés.
Pourtant, à trois reprises (1557, 1575, 1598), Philippe II ne put honorer ses dettes, tout comme ses successeurs, Philippe III et Philippe IV, en 1607, 1627 et 1647. Ces banqueroutes à répétition ruinèrent ceux qui avaient fait confiance à l’Etat espagnol, et par ricochet restreignirent encore plus les possibilités de financement de l’économie réelle, alors que les banquiers privilégiaient déjà les prêts aux seigneurs laïcs et ecclésiastiques, qui les dilapidaient en dépenses militaires et fastueuses.
Pour n’avoir pas voulu mettre à contribution les plus riches ni su stimuler sa production intérieure, l’Espagne du XVIe siècle s’enfonça dans la crise et fut, au siècle suivant, dépassée par les pays de l’Europe du Nord à l’artisanat et au commerce dynamiques. »
En résumé, l’or et l’argent d’Amérique ont à la fois enrichi et déstabilisé une société patriarcale, avec une terrible augmentation des prix. La politique européenne de Philippe II fit le reste. Pas plus que les Etats-Unis aujourd’hui ne peuvent diriger le monde, la Russie soviétique ou l’empire romain en son temps, l’Espagne de Philippe II ne pouvait diriger l’Europe. Il n’en avait pas les moyens et s’endetta au-delà du raisonnable, à court et à long terme. Il faisait ce que l’on appelle aujourd’hui de la cavalerie et mène ses auteurs tout droit en prison.
Amicalement
Patrick Germain
Robespierre
29 janvier 2019 @ 15:53
Merci Monsieur Germain, pour cet article que vous avez eu le génie de dénicher. En bon historien que vous êtes. Il est très clair et j’ai bien compris l’enchainement des evenements qui ont appauvri l’Espagne malgré l’or des Amériques.
J’ajouterai que comme toujours votre iconographie est superbe.
Corsica
31 janvier 2019 @ 11:08
Effectivement en dépit de tout l’or tiré d’Amérique du sud, en 1557, l’Empire des Habsbourg et ses banquiers, les Fugger d’Augsbourg, sont en faillite et l’Espagne subit un défaut souverain. Ce sera la même chose en 1560. Et ce n’est pas l’envoi du duc d’Albe, de ses troupes et de ses mercenaires en tunique rouge, les Rhoode rox, qui va y changer quoique ce soit car, sous prétexte de combattre les hérétiques, ils auront beau saigner à tous les sens du terme la riche Flandre, l’Espagne sera encore en rupture de paiement en 1575 puis en 1596.
Patrick, je voudrais vous remercier pour la qualité de vos articles et la richesse de votre iconographie. C’est toujours un immense plaisir de vous lire.
Comme Pierre- Yves, je suis frappée par la « modernité » de la représentation de l’infante Catherine-Michelle par Sofonisba Anguissola. Le portrait d’une belle femme, au regard intense qui aurait pu être peint à la fin du XIX e siècle.
Patrick Germain
31 janvier 2019 @ 21:08
Chère Corsica,
Merci pour vos compliments ! En voyant ce portrait j’ai eu du mal à croire qu’il était contemporain du sujet. Vérification faite, il l’est.
C’est certainement le plus moderne des portraits royaux que l’on connaisse. On pense au Greco mais ce n’est pas lui.
Amicalement
Patrick
Jean Pierre
28 janvier 2019 @ 09:02
Oui, Don Carlos (Carlo) de Verdi est bourré de contresens. Même si le compositeur italien n’a jamais été ma tasse de thé, depuis que j’ai vu il y a bien longtemps Hampson dans le rôle je pense qu’on ne peut qu’être bouleversé par la mort de Posa. Pourtant je sais bien que ni Don Carlos, ni Posa ne se préoccupaient vraiment du sort des flamands.
La ville de Bayonne se souvient encore de la rencontre manquée entre Catherine de Médicis et son gendre qui se déroba et seule Elisabeth vint saluer sa mère. Une plaque en témoigne encore sur le château.
DEB
28 janvier 2019 @ 10:10
Le moins que l’on puisse dire c’est que Philippe II ne laissa pas, dans ce qui allait devenir la Belgique, un bon souvenir.
Il nous avait envoyé le terrible duc d’Albe qui fît exécuter, parmi d’autres, les comtes d’Egmont et de Hornes, qui s’étaient rebellés ( compromis des nobles) contre les restrictions aux chartes et libertés en vigueur.
Pierre21
28 janvier 2019 @ 16:21
La légende noire née aux Pays-Bas n’a pas non plus beaucoup contribué à ce bon souvenir… 😉 curieusement quand on parle de persécutions catholiques ou religieuses ou d’extrémisme dans ce sens, on pense directement à l’Espagne. Ou quand on parle de génocide colonial, d’extermination des natifs…
Pourtant toutes les données historiques le démentent… quelques milliers d’Espagnols n’ont raisonnablement pas pu tuer des millions d’amérindiens. Quant-aux britanniques et dans une moindre mesure les Français… il faut se rapporter au nombre de populations natives qui existent encore aujourd’hui en Amérique du Nord…
Patrick Germain
28 janvier 2019 @ 18:01
Tout à fait d’accord avec vous, DEB !
Il a fallu attendre les archiducs Albert et Isabelle, Charles et Marie et enfin Albert et Marie-Christine pour que les Habsbourg trouvent grâce aux yeux des Belges. Il y avait eu toutefois avant Philippe II Marguerite d’Autriche et Marie de Hongrie, respectivement tante et soeur de Charles Quint, qui y ont laissé de bons souvenirs.
Bonne semaine
Patrick Germain
Cecicela
28 janvier 2019 @ 18:19
Je vous rejoins sur le fait que la politique de Philippe II envers les protestants de ses états reste une tache indélébile sur sa personne et qu’il aime ses filles et ses proches n’y change rien, comme la bonhommie d’Hitler, par exemple, envers les enfants de ses collaborateurs ne peut faire oublier le reste de son « œuvre »…
Pour l’exécution des comtes d’Egmont et de Hornes, il me semblait qu’elle avait été motivée, non par une rébellion de leur part mais parce que Philippe II les trouvait trop mous à appliquer les mesures qu’il avait prises contre les hérétiques. Ces hommes, pourtant bons catholiques, ont payé très cher leur loyauté à leur souverain (ils n’avaient pas pris la fuite, comme le prince d’Orange) et leur humanité.
Dominique Charenton
29 janvier 2019 @ 16:30
Comparer Philippe II à Hitler n’est pas très sérieux . Les guerres civiles sont toujours cruelles, plus encore pour le perdant.
Il serait intéressant d’avoir le nombre de victimes protestantes durant le règne de Philippe II avant d’épiloguer plus sur sa cruauté vis à vis des Protestants.
Par ailleurs ceux-ci du moins en France n’étaient pas plus des anges que les catholiques, la cruauté du baron des Adrets vaut largement celle de Montluc.
Cecicela
31 janvier 2019 @ 20:03
Je crois que vous m’avez mal comprise. Il ne s’agissait pas de comparer Philippe II à Hitler mais seulement de donner mon point de vue sur des personnages que de bons cotés, tels que l’affection qu’ils avaient pour leurs proches, ne sauraient les dédouaner de sombres actions.
Hitler n’était qu’un exemple parmi d’autres.
Esquiline
28 janvier 2019 @ 13:02
En raccourci, des Flandres à la Sicile, de la Sicile à l’Amérique latine, pour n’évoquer que les périodes récentes, quelle riche et passionnante Histoire que celle de l’Espagne!
Mayg
28 janvier 2019 @ 13:48
Intéressant comme article.
Tous ces mariages consanguins me répugnent. Il n’y a qu’à regarder le résultat de tout ça, avec Charles II d’Espagne
Gilles d'Arago
28 janvier 2019 @ 14:24
Très intéressant mais pourquoi écrire « Élisabeth de Valois » et pas « Élisabeth de France » ?
En tant que fille d’un roi régnant il me semble que c’est le nom du pays qui prime sur celui de la dynastie.
Patrick Germain
29 janvier 2019 @ 13:04
Le choix est difficile. Elle est en effet, Elisabeth de France, mais elle est connue sous le nom d’Elisabeth de Valois. Il eut mieux valu encore Valois-Angoulême. l’important est de savoir de qui on parle.
Patrick Germain
luisa
28 janvier 2019 @ 14:57
Il Marchese di Posa è una figura positiva ma nella realtà mai esistita, inventata da Schilller e ripresa da Verdi nel Don Carlos. Serviva a dare un certo risvolto politico a vicende si scarso rilievo. Carlos a causa della consanguineità era un giovane malato, con molti problemi di salute,anche mentale. Per i suoi comportamenti fu allontanato dalla Corte e rinchiuso,aggravandosi e lasciandosi probabilmente morire a 23 anni.
PIerre-Yves
28 janvier 2019 @ 16:36
On a du mal à ressentir une quelconque sympathie pour un souverain qui fit régner l’Inquisition. Qu’il ait été un bon époux pour Elisabeth de Valois, qu’il aima sinccèrement, ce qui n’était pas si si courant à cette époque, tant mieux, mais pour le reste, franchement, ce Siècle d’Or a tendance à me faire frissonner.
Un grand merci à Patrick pour son article et pour l’iconographie qui l’accompagne. Le portrait de l’Infante Catherine-Michelle est étonnant. On croirait qu’il a été exécuté au XIXème.
Robespierre
29 janvier 2019 @ 16:02
Je ne sais pas s’il fait penser au XIXe S mais la princesse est incroyablement belle, et fait tache d’huile parmi les dames pas trop séduisantes de l’époque avec des nez « difficiles » ou des traits plébéiens sinon grossiers. Quand le duc de Savoir vit arriver sa promise, la belle Catherine-Michelle, il dut être agréablement surpris. Autre chose que Henry VIII avec Anne de Clèves.
Guy Coquille
29 janvier 2019 @ 18:28
Pierre Yves, les personnages de l’histoire n’ont pas à nous inspirer de sympathie, ou alors, c’est un sentiment « littéraire ». Philippe II incarna magnifiquement le siècle d’or espagnol. Pour le souvenir mitigé qu’en ont gardé les belges, il ne faudrait pas oublier que les armées espagnoles ne firent jamais que passer en Belgique. La seule armée permanente pour défendre l’autorité du roi d’Espagne était la Garde Wallonne, qui lui resta fidèle même après le traité d’Utrecht, et même après 1815. La légende hostile à l’Espagne date d’après 1830. Du reste, durant tout les XVII° et XVIII° siècle, les wallons se méfièrent de la France, pour des raisons nobiliaires et fiscales. Ce sont, paradoxalement les flamands qui regardaient vers la France avec sympathie, jusqu’à la révolution évidemment.
Pierre-Yves
30 janvier 2019 @ 14:22
Votre remarque m’a fait réfléchir. Les personnages historiques, c’est vrai, ne devraient pas être regardés sous l’angle des affects, alors que, c’est souvent plus fort que soi, on se surprend à le faire.
Reste que si on dresse la liste des actions accomplies sous l’autorité de ce roi, il y a des choses qu’on peut quand même, avec nos lunettes d’aujourd’hui, trouver détestables. Tous les règnes ont eu leur face sombre, je crois.
Vieillebranche
28 janvier 2019 @ 16:57
Merci i nfin iment pour ce rappel historique accompagné d’une i onographie exceptionnelle – ah que les Reines avaient l’air de reines…avec de drôle de vies à base de sacrifices -il en était de même dans le reste de la societe d’ailleurs
casimira
28 janvier 2019 @ 17:16
l’infante Catherine-Michelle est incroyablement jolie et ne ressemble en rien à ses ancêtres.
Cecicela
28 janvier 2019 @ 17:47
J’avais été désagréablement surprise de la non mention de cette union dans la série d’articles sur les alliances Capétiens/Habsburg et Cosmo avait expliqué que ce chapitre était passé à la trappe, sans doute par erreur. Cet oubli est réparé et ce n’est que justice car, d’une part, ce mariage était, historiquement, important et ne pas l’évoquer dans le contexte de cette série était incompréhensible. De plus, c’était irrespectueux envers Cosmo et le gros travail de recherche qu’il a du effectuer, même s’il l’a fait aussi par plaisir et passion ce dont je ne doute pas.
On ne doit pas y perdre au change puisque l’article est surement plus étoffé en étant publié à part.
Merci, Cosmo, pour votre investissement et pour nous le faire partager.
mousseline
28 janvier 2019 @ 20:09
merci pour ce bel article, très instructif et intéressant
Caroline
28 janvier 2019 @ 22:48
Patrick Germain,
Merci pour votre mini- livre d’histoire sur la biographie du roi Philippe II !
Juliette
28 janvier 2019 @ 23:39
Merci pour cet article passionnant.
Je me souvenais de l’infante Isabelle Claire Eugénie certains pour accéder au trône de France, malgré la loi salique, afin d’éviter un roi protestant à la France.
En revanche, je ne me souvenais plus qu’elle avais terminé sa vie dans l’ordre des Clarisses et sans héritier, tandis que sa jumelle a eu des héritiers et demeure l’ancêtre d’une partie des dynasties actuelles.
Merci encore à Cosmo.
Maria
29 janvier 2019 @ 00:05
Articolo molto bello ,interessante grazie
Lady Chatturlante
29 janvier 2019 @ 10:04
Je pensais lire une histoire de mariage mais en fait il y en plusieurs… sans une seule robe de mariée, hélas !
Mon mari me souffle que c’est une impropriété d’écrire « Élisabeth de Valois » pour évoquer Élisabeth de France. C’est un peu comme si l’on écrivait Anne Mountbatten-Windsor pour parler de la Princesse Royale en Grande-Bretagne.
Patrick Germain
29 janvier 2019 @ 13:07
Milady,
Nous n’avons pas de portrait des princesses de cette époque dans leur robe de mariage. Il est à parier qu’elle ne pouvait être blanche – couleur de deuil des reines de France – mais qu’elles étaient aussi somptueuses que celles que nous voyons sur leurs portraits.
Elisabeth de France ? Elisabeth de Valois ? C’est sous ce dernier nom qu’elle est passée à la postérité.
Patrick Germain
Baboula
29 janvier 2019 @ 12:03
Superbe iconographie , mais je n’ai pas fait que regarder les images. Ce rappel de notre Histoire est toujours surprenant,tant il y a de rebondissements. Merci Cosmo d partager votre culture.
josaintvic
29 janvier 2019 @ 13:20
je me permets de recommander l’excellente biographie de Philippe II par Yvan Cloulas.. et bien sûr la visite d’El Escurial, des couvents de l’Incarnation et des Clarisses à Madrid, la biographie de Don Juan d Espagne par Edmonde Charles Roux, les tableaux d’El Gréco ….etc..
Brigitte - Anne
29 janvier 2019 @ 14:18
Passionnant, merci infiniment !
Kardaillac
29 janvier 2019 @ 19:08
Merci à Patrick Germain pour cet article intéressant si bien illustré décrivant des situations complexes de manière compréhensible. C’est un exploit. Bravo.