Grandes Armes d'Autriche-Hongrie

A Schwarzau, tout était à la fête. Du village au château, ce n’étaient qu’oriflammes et orphéons. Personne ne se souvenait d’autant d’agitation dans la petite bourgade. Il est vrai que l’on n’y recevait pas tous les jours la famille impériale, et pour quelle circonstance !

Cha¦éteau de Schwarzau

Un grand soleil luisait sur les maisons jaunes aux toits bas, rendant encore plus gaie l’avalanche de banderoles et de bouquets, les uns bleus et rouges, les autres noirs et jaunes, aux couleurs des Maisons de Parme et de Habsbourg.

Les habitants du village et de tous les alentours étaient dans la rue. Ils attendaient de voir leur Empereur. Leur impatience était partagée par les hôtes du château.

Gare de Scwarzau le jour du mariage

La gare de Schwarzau le jour du mariage

  • Quand Sa Majesté arrive-t-elle ? demanda Charles au prince Zdenko
  • Encore deux minutes, Altesse Impériale, lui répondit-il en contrôlantl’heure sur sa montre.

En attendant l'arrive¦üe de l'empereur

Devant le château de Schwarzau, de gauche à droite, l’archiduc Charles, Alfonso de Bourbon duc de Madrid, chef de la Maison de Bourbon, le prince Félix de Parme, frère de Zita, l’archiduc Max, le frère de Charles, légèrement obscurcie par (à sa droite) et les prince Sixte et René de Parme, deux frères Zita.

  • Vous entendez, reprit Charles, je crois que l’Empereur arrive.

Le fiancé portait l’uniforme de capitaine du 7ème dragon, son régi­ment, dolman bleu sur pantalon garance, et arborait en sautoir l’Ordre de la Toison d’Or.

En effet, au loin la clameur enflait. Les bravos et les vivats se rappro­chaient. La grande grille du parc, qui n’avait plus servi depuis 1894, date de sa dernière visite, avait été rouverte spécialement pour François-Joseph.

La voiture de l’Empereur la franchit. C’était une splendide automobile, aux armes impériales peintes de manière discrète sur les portières, pein­ture laquée et cuivres rutilants.

Le chauffeur et le mécanicien, militaires, casquettes galonnées sur la tête, médailles de service sur la poitrine et bottes lustrées aux pieds, en occupaient la partie avant ouverte.

A l’arrière, fermé, était assis l‘Empereur avec à sa gauche l’un de ses aides de camp, le capitaine de vaisseau Nicolas Horthy de Nagyhana, en grande tenue.

Fanc¦ºois-Joseph et son aide de camp, le futur amiral, Horthy

Un vacarme terrible couvrit les musiques de la ville et le bruit de la voiture impériale, qui remontait la Kaiserallee : les officiers aviateurs de Wiener Neustadt, à bord de leurs avions, survolaient le château.

Survol du cha¦éteau

A l’entrée principale, devant la grande porte cochère dont les deux battants étaient ouverts pour la circonstance, au milieu de l’immense façade du château, se tenait Charles, en compagnie du chef de la Maison de Bourbon, don Jaime, duc de Madrid. Ce dernier était bien marri de se trouver à côté de celui qui lui ravissait le cœur de Zita, mais il savait faire contre mauvaise fortune bon cœur. Un peu en arrière se tenaient les jeunes princes de Parme, Sixte, Xavier et Gaétan

Devant le porche

Le comte d’Avernas, l’archiduc Max, le prince Louis de Parme, le comte Pietro-Lucchesi Palli regardant l’évolution de l’avion.

Tous les hommes levèrent la tête pour voir exécuter les acrobaties aériennes des amis de Charles.

La voiture de l’Empereur vint se ranger devant le portail, dont les montants avaient été parés de feuilles de myrte pour la circonstance. François-Joseph, alerte, en descendit, suivi par Horthy.

  • Que Votre Majesté me permette de lui souhaiter la bienvenue et de lui exprimer toute ma joie de la savoir parmi nous aujourd’hui, complimenta Charles en accueillant son oncle.
  • Mon cher Charles, c’est un tel bonheur d’être avec vous aujourd’hui que c’est moi qui devrais te remercier, lui répondit l’Empereur avec sa bonhomie habituelle.
  • Puis, se tournant vers le duc de Madrid : Mon cher Jaime, quelle joie de te voir aussi pour sceller une nouvelle union entre nos maisons.

–    Que Votre Majesté me permette de la remercier, au nom de ma Famille, de l’honneur qu’elle nous fait aujourd’hui, dit le duc de Madrid.

–  Allons Jaime, l’honneur est pour nous de voir entrer dans ma Famille une aussi jolie princesse. J’ai hâte de l’embrasser, conclut François-Joseph.

Ils pénétrèrent tous trois sous le vaste porche voûté de la demeure et s’engagèrent dans le grand escalier de pierre, couvert d’un tapis rouge, menant au premier étage. Des torchères en bois doré, portant les armes des Bourbon-Parme, décoraient la montée. Dédaignant de prendre appui sur la rampe sculptée, l’Empereur gravit les marches de son pas élastique déjeune homme.

La duchesse de Parme et la princesse Zita en tenue de mariée l’atten­daient sur le palier.

Mais il arrêta son geste pour l’embrasser sur les deux joues. La jeune fille rougit, car elle savait le vieil homme avare de manifestations sentimentales. Après avoir salué son cousin le Roi de Saxe et son neveu François-Ferdinand, François-Joseph donna l’ordre du départ. Le cortège se forma alors et redescendit le grand escalier.

Zita murmura quelques paroles à don Jaime, à qui elle donnait le bras, mais il ne lui répondit pas. Dans son uniforme rutilant de colonel russe, il était tellement fier de remplacer le père de sa si jolie cousine qu’il semblait avoir pris quelques centimètres de taille. Ils traversèrent la cour, envahie par tous les gens de maison venus admirer leur jeune princesse et leur Empereur, pour pénétrer sous le porche qui menait à la chapelle. Là se pressaient les invités dans un espace exigu, habitué certes aux hôtes de prestige, mais jamais en si grand nombre. Diadèmes, rivières de diamants et colliers de perles ornaient toutes les femmes. Les hôtes étaient tous liés par un réseau de parenté quasi inextricable.

La duchesse de Parme et sa sœur l’archiduchesse Maria-Teresa, respec­tivement en lilas et blanc et en jaune maïs, avaient fait assaut d’élégance. Lorsque le maître de chapelle Eder attaqua l’hymne nuptial, l’assistance se tut et se leva.

Charles, très ému, donnait le bras à sa mère l’archiduchesse Maria-Antonia. A côté d’eux, François-Joseph était rayonnant.

Zita était menée à l’autel par le duc de Madrid et sa mère. Puis venaient les oncles de Charles, le roi Frédéric-Auguste de Saxe et l’archiduc François-Ferdinand, héritier immédiat du trône.

La mariée portait une magnifique robe de satin ivoire finement brodée d’argent, dont la traîne était ornée des lys des Bourbon, bordée de guir­lande de myrte et garnie en son milieu d’un véritable bouquet de myrte odoriférant (la robe a été donnée à la chapelle du château de Schwarzau pour en faire des habits sacerdotaux que l’on peut encore voir). Au devant, des dentelles de Valenciennes étaient disposées en larges volants. Une délicate couronne de myrte ornait les cheveux que couvrait le long voile de la mariée, tombant sur la traîne et retenu par le magnifique diadème offert par François-Joseph.

Charles prit place devant le prie-Dieu. Zita le rejoignit. La messe servie par Gaétan et Louis, les deux plus jeunes frères de Zita, pouvait commencer.

Dans la chapelle 1

L’empereur François-Joseph, à sa droite debout l’archiduchesse Marie-Thérèse et l’archiduc Franz Ferdinand, dans la première rangée (de gauche à droite) la mère de l’époux , archiduchesse Maria Josefa, puis par la mère de la mariée, duchesse Maria Antonia de Parme, et Alfonso de Bourbon duc de Madrid.

Emus, Charles et Zita échangèrent quelques brefs regards quand arriva l’instant solennel de la célébration.

  • Charles François-Joseph consentez-vous à prendre pour épouse Zita, Marie des Neiges…, ici présente ?
  • Oui répondit Charles à voix basse, très ému.
  • Zita, Marie des Neiges… consentez-vous à prendre pour époux Charles François-Joseph ici présent ?
  • Oui, répondit Zita, à voix si forte qu’elle se fit entendre jusqu’au fond de la petite chapelle.

Après un moment d’étonnement, un léger sourire se répandit dans la petite nef, allégeant la charge d’émotion trop forte.

Les deux nouveaux mariés échangèrent leurs anneaux. Charles y avait fait graver leurs noms « Charles d’Autriche – Zita de Bourbon-Parme ».

Dans la chapelle 2

–  Franz pourrait s’asseoir, glissa Maria-Teresa dans l’oreille de sa sœur Maria-Antonia.

Les deux femmes commençaient à ressentir un peu de fatigue. Mais même à l’église, le protocole impérial s’imposait. François-Joseph restait debout, parfois agenouillé en même temps que les mariés. Tous se devaient de le suivre.

La cérémonie s’achevait. Le cardinal Bisletti donna au jeune couple la bénédiction du pape Pie X.

–  Que le Seigneur accorde toutes ses grâces aux futurs souverains de la bienheureuse Autriche, conclut le prélat.

Un nouveau murmure emplit la chapelle. François-Ferdinand eut un mouvement d’énervement qui n’échappa à personne. Chacun connaissait sa susceptibilité et craignait un esclandre.

La duchesse de Hohenberg, en posant la main sur le bras de son mari, le calma aussitôt. François-Joseph, abîmé dans ses pensées, ne sembla rien remarquer. Le vœu bien innocent du prélat n’avait pas dû lui déplaire, car que souhaiter de mieux à l’Autriche qu’une jeune impératrice, digne de succéder à sa chère Sissi ? Et Charles lui-même, n’était-il pas pour lui l’héritier idéal, au lieu de ce turbulent François-Ferdinand, toujours prêt à le contredire ?

L’orgue tonnait à nouveau. Zita, radieuse, se tourna vers Charles qui lui tendit son bras. Elle fit la révérence à François-Joseph en lui adressant son plus beau sourire. Encore ému, il écrasa une larme au coin de l’œil. Puis le jeune couple descendit la courte allée de la chapelle, suivi de l’Empereur donnant le bras à la duchesse de Parme, du duc de Madrid avec l’archiduchesse Maria-Josefa, et du roi de Saxe et François-Ferdinand.

Toute la noce, de la manière la plus bourgeoise qui soit, sortit du château, gagna la façade sud au pied de la terrasse et s’installa devant l’objectif du photographe. Puis le groupe se dispersa et chacun fit quelques pas. Quand Sophie de Hohenberg s’approcha de Zita pour la féliciter et l’embrasser, elle esquissa une révérence que Zita arrêta tout de suite.

–  Non, tante Sophie, pas de révérence entre nous, lui murmura-t-elle à l’oreille en l’embrassant.

Charles, apercevant la scène, se rapprocha de Zita.

  • Merci, ma chérie, murmura-t-il à son tour.Zita lui renvoya son plus beau sourire.

Le cortège se reforma pour entrer dans la maison et gagner la salle à manger, nouvellement décorée pour la circonstance, dans un style moderne tranchant avec l’aménagement de tout le reste du château.

Il était une heure de l’après-midi ; le soleil inondait la pièce, mettant en valeur le portait du Roi Louis XIV, leur Grand Ancêtre commun à tous.

Salle a¦Ç manger la veille du mariage

La salle à manger su château de Schwarzau, la veille du mariage

Les invités se répartirent entre les quatre tables entourant la table des mariés, placée au centre ; chacune était abondamment fleurie, en son milieu, de pyramides de rosés et de dahlias blancs.

Table d'honneur

 

L’archiduc Frédéric et l’archiduchesse Isabelle, trop lointains par le sang et par le cœur, n’étaient pas de la noce. Personne ne s’en plaignait.

Zita s’installa avec François-Joseph à sa droite et Charles à sa gauche. Les autres se placèrent suivant le protocole rigoureux de la Cour, ce qui était le mieux pour éviter de froisser qui que ce soit.

Le repas servi dans la vaisselle d’or des Parme fut relativement frugal, ne comportant que deux viandes et un crustacé.

Les conversations allaient bon train.

  • Si tu savais ce que Zita m’a dit quand je l’ai conduite à l’autel, dit le duc de Madrid à sa voisine,l’archiduchesse Maria-Annunziata.
  • Tu m’en vois fort curieuse, lui répliqua-t-elle
  • « Tu vois, Jaime, tu me conduis à l’autel comme tu l’avais souhaité. »répéta le prince avec humour.

Maria-Annunziata éclata de rire. Son autre voisin lui demanda la raison de son hilarité. Elle ne sut si elle devait répéter ou non la gentille moquerie de sa cousine. Elle choisit d’éluder, d’autant que cette conversation la gênait un peu. Don Jaime ne savait sans doute pas que, s’ils étaient tous là autour de Charles et de Zita aujourd’hui, c’était grâce à elle et à sa mère, Maria-Teresa. Elle espérait que son cousin n’apprît jamais le complot qu’elles avaient fomenté pour décider Charles à se prononcer.

–  Je ne regrette rien, pensait-elle, en jetant un regard vers Charles puis vers son cousin. Puis, jetant de nouveau un regard vers une Zita rayon­nante, elle se redit à elle-même : « nous avons très bien fait ».

De son côté, François-Joseph ne boudait pas son plaisir. Tout lui conve­nait : l’excellence de la chère, la qualité des vins, la beauté du lieu. Mais son véritable plaisir était de voir sa proche famille réunie dans l’harmonie et la bonne humeur. Pour une fois, il n’expédia pas le repas. Il goûtait le bonheur de les voir tous autour de lui et semblait vouloir le prolonger.

Il se leva et le silence se fit dans l’assemblée.

–  Ce mariage qui nous réjouit tous m’est une grande joie et me satisfait au plus haut point, commença l’Empereur ; l’archiduc Charles a choisi la princesse Zita comme compagne de sa vie. Je le félicite pour le choix de son cœur et accueille avec une joie profonde l’archiduchesse Zita comme membre de ma Maison.

Charles baisa galamment la main de Zita, qu’il tenait dans la sienne depuis que le toast avait commencé.

Puis, se tournant vers la duchesse de Parme, l’Empereur reprit :

–   Je remercie Votre Majesté Royale, Madame la duchesse, pour le splendide accueil que vous nous faites aujourd’hui.

En remerciement, la duchesse inclina la tête avec grâce. François-Joseph continua :

–   Que Dieu protège l’archiduc Charles et l’archiduchesse Zita. Vivent les mariés !

L’ensemble des convives applaudit le discours de l’Empereur. Certains même osèrent des vivats. Mais François-Joseph était trop heureux ce jour pour s’en formaliser.

Sophie et François-Ferdinand échangèrent un long regard.

Comme dans toutes les noces, le Maestro Dostal, Maître de Chapelle de la Cour, joua la « Marche nuptiale » de Mendelssohn, pour le plus grand plaisir de tous et surtout des enfants, pour qui cet hymne présentait l’avan­tage d’être connu, puis la « Zita Walzer » qu’il avait composé pour la circonstance.

Puis ce furent des valses de Lehar et de Strauss, de la vraie musique de noces.

Le repas terminé, ils se retrouvèrent, tous, à admirer les cadeaux de mariage qui trônaient dans deux vastes salons attenants : diadème en diamant, collier de perles à vingt-deux rangs, statues en bronze, un canari, une planète nouvellement découverte et dénommée « Zita » et mille autres objets pittoresques ou somptueux.

Avec Franc¦ºois-Joseph

Les mariés, l’empereur, la duchesse de Parme

 Les badauds dans le parc

Les pelouses devant le château furent envahies par la population qui était restée jusqu’à ce moment massée devant les grilles. La noce traversa à nouveau la bibliothèque pour gagner la grande galerie du premier étage, qui occupait toute l’aile sud du château. De là elle accéda à la terrasse du premier étage, dont les piliers de fonte, entourés de glycines fleuries, supportaient un auvent en cuivre verdi par le temps.

La foule réclamait son Empereur. Elle avait envahi le « jardin de palmiers », qui s’étendait sous la terrasse et dans lequel s’épanouissaient, entre autres, des bananiers, incongrus dans cette partie de l’Europe. Elle lui fit une ovation quand il apparut. François-Joseph fit signe à Charles et à Zita de le rejoindre. L’ovation reprit de plus belle. Ensuite ce fut toute la noce qui se présenta. Le photographe était encore là pour immortaliser le moment.

Tout le monde à Schwarzau connaissait la petite princesse. Que de fois ne l’avait-on vue, avec la princesse Franziska, portant des paniers de provisions et de médicaments pour les plus pauvres ? Que de chemises ou de vêtements de laine, cousus ou reprisés par elles, n’avait-on porté et ne portait-on pas encore ?

Bien sûr, tous connaissaient Charles, qu’ils avaient vu en photo ou traversant les rues du village. Mais c’était leur Zita qui se mariait aujour­d’hui.

L’ovation ne se divisait pas. Elle était non seulement pour les trois héros de la fête, mais aussi pour les deux dynasties, les Bourbon de Parme qui avaient si bien su s’intégrer à eux et les Habsbourg, sous la houlette desquels il avait toujours fait bon vivre.

Personne n’ignorait la maxime de la Maison Impériale : « Quand les autres font la guerre, toi heureuse Autriche tu te maries. »

Les invite¦üs

Les invités au mariage

Sont assis au premier rang à côté des mariés, l’archiduchesse Maria Josefa, la mère du marié, juste à côté de l’empereur Franz Joseph, Maria Antonia duchesse de Parme, la mère Zita, avec ses enfants Henrietta et Gaëtan, le roi Friedrich Auguste III de Saxe, le frère de l’ archiduchesse Marie Josefa et oncle de Charles, l’archiduchesse Marie-Valérie, la plus jeune fille de l’empereur François-Joseph et l’archiduchesse Marie-Thérèse, la troisième épouse de l’archiduc Karl Ludwig, belle-garnd-mère de Charles et tante de Zita,

Mais la fête finissait et François-Joseph donna le signal du départ. (Merci à Cosmo pour cet article- Sources : Patrick Germain “Charles et Zita, derniers souverains d’Autriche-Hongrie” – Photos : Droits réservés.)

armoiries des Bourbons de Parme

 

                          Les armes des Bourbons de Parme