Le 23 mars, Christie’s Paris mettra en vente la bibliothèque du baron Pierre de Crombrugghe invitant gourmands et collectionneurs à arpenter cinq siècles d’histoire de la gastronomie.
« La passion du baron de Crombrugghe tant pour l’art culinaire que pour la bibliophilie – conjonction du goût et du savoir – est à l’origine de la plus fameuse collection gastronomique de langue française en mains privées. Elle a été constituée durant un demi-siècle par l’amateur belge et aborde toutes les thématiques liées à l’imaginaire culinaire et son évolution à travers l’histoire.
Les rayonnages de la bibliothèque proposent ainsi un très riche menu de traités sur la découpe des viandes, volailles et poissons, agrémentés de textes sur les truffes, les huîtres ou la boulangerie, sans oublier bien sûr la confection de desserts glacés, le thé, le café et le chocolat ni le dressage des tables ou l’art de plier les serviettes.
L’ensemble de près de 200 ouvrages, estimé autour d’1,5 million d’euros, s’impose comme le rendez-vous à ne pas manquer avec la gastronomie et son histoire en forme de festin !
Pièce phare de la bibliothèque du baron Pierre de Crombrugghe, le Cuisinier Taillevant, ou le Viandier, est non seulement le premier livre de cuisine en français, mais cette édition incunable imprimée à Lyon vers 1495 est la première illustrée : elle est ornée d’un grand bois gravé représentant un cuisinier au fourneau. Il s’agit du seul exemplaire complet qui soit parvenu jusqu’à nous.
Véritable best-seller culinaire avant l’heure, le Livre fort excellent de Cuysine tresutille paraît un demi-siècle plus tard. Riche de plus de trois cents recettes, son influence est considérable durant toute la Renaissance. L’exemplaire proposé aux enchères est l’un des trois répertoriés de l’édition donnée à Lyon en 1542. Il est le seul en mains privées.
Le Platine en françois imprimé en 1505 est la version française d’un traité de cuisine et de diététique publié à Rome en 1474 par l’humaniste Bartolomeo Sacchi, dit Platine. L’œuvre connut, à son époque, un très large retentissement et révolutionna la cuisine en accordant plaisirs du palais et règles diététiques. Le plus redoutable concurrent du Taillevent était né : son règne s’étendra sur plus d’un siècle.
La cuisine française moderne naît au siècle suivant grâce au Cuisinier François de La Varenne : l’édition de 1656, parue aux Pays-Bas, est ici reliée avec un exemplaire du Pastissier françois, son pendant. Merveilleux recueil conservé en vélin de l’époque.
Cuisine et médecine cohabitent fréquemment dans les traités d’art de bien vivre. La bibliothèque du baron Pierre de Crombrugghe comprend ainsi un exemplaire du Tacuini sanitatis d’Ibn Butlan, médecin badgadi, dans une édition de 1531. Richement illustré, le volume comprend près de 300 bois gravés, représentant des scènes familières de gloutonnerie ou d’ébriété, des mets ou encore des ustensiles de cuisine.
En 1687, dans Le bon usage du thé, du caffé et du chocolat, pour la preservation & pour la guerison des maladies, Nicolas de Blégny vante les vertus thérapeutiques de boissons “exotiques” alors récemment introduites en France. Le traité est publié au moment même où s’ouvrent à Paris les premiers cafés.
L’une des pièces les plus extraordinaires de la collection est l’imposant manuscrit de travail, en cinq volumes, de la deuxième édition du Guide culinaire d’Escoffier. Après l’édition originale, parue en 1903, Escoffier s’attelle à une édition enrichie de son ouvrage pionnier, toujours considéré comme l’essai fondateur de la haute cuisine, tant sur le plan des recettes que sur celui de l’organisation des cuisines ou des brigades.
Sauces, entremets, hors-d’œuvre, potages, terrines, rôtis : rien n’est oublié au fil des milliers de recettes, nourries de ses expériences au Savoy et au Ritz. Pour Auguste Escoffier, la cuisine, « sans cesser d’être un art, deviendra scientifique et devra soumettre ses formules, empiriques trop souvent encore, à une méthode et à une précision qui ne laisseront rien au hasard ».
Si aux XVIIe et XVIIIe siècles, les ouvrages et les traités culinaires s’adressaient à une élite, royale, princière ou aristocratique, les publications au XIXe siècle s’adressent progressivement à un public plus vaste. On assiste notamment à l’émergence de traités de cuisine bourgeoise ou paysanne, c’est-à-dire une cuisine de terroir à l’encontre d’une gastronomie essentiellement parisienne.
Le baron Pierre de Crombrugghe s’est ingénié à les traquer mettant ainsi face aux traités de haute cuisine Le Cuisinier Durand, “le Carême de la cuisine provençale” (Nîmes, 1830), La Cuisinière genevoise (1798 : édition originale, un des trois exemplaires connus) ou La Cuisinière du Haut-Rhin de Mme Spoerlin (1829).
Ainsi, tous ces traités de gastronomie fût-elle aristocratique ou bourgeoise, parisienne ou régionale, fruits de la grande richesse des territoires, illustrent une autre histoire du patrimoine. » (Merci à Pistounette)
Régine ⋅ Actualité 2023, Belgique, Gastronomie, Livres 12 Comments
😀Pistounette
17 mars 2023 @ 00:32
Si vous voulez voir le catalogue de cette vente intitulée « Le Festin de Pierre », voici le lien (merci Régine) :
https://www.christies.com/en/auction/le-festin-de-pierre-biblioth-que-du-baron-pierre-de-crombrugghe-30186/
Caroline
17 mars 2023 @ 11:35
Pistounette,
Merciii !!!
Pelikan du Danube
17 mars 2023 @ 12:58
Catalogue très bien fait et qui témoigne d’un certain éclectisme.
Si je pouvais choisir un livre ce serait celui de Columelle .
Merci Pistounette !
Pelikan du Danube
17 mars 2023 @ 13:50
Plusieurs livre de Louis Auguste de Bourbon, prince de Dombes (et duc du Maine) fils de Louis XIV et de madame de Montespan , un personnage qui semble très intéressant.
La carte du lot 45 a été reprise (pompée aurait-on dit jadis) dans le lot 62 !
Mais j’étais loin du compte, la bibliothèque du Baron (sur lequel je n’ai pas pu découvrir grand chose sinon qu’il est d’une très ancienne famille belge ) regroupait environ 15 000 volumes consacrés à l’alimentation, la cuisine et au vin.
Catherine
18 mars 2023 @ 21:47
Très élégant même si à mon goût les livres réglés ont quelque chose d’excessif. De mon coté je ne saurais pas me séparer d’un Estienne de ‘43 mais je reconnais volontiers être un peu parti pris là-dessus.
Il est toujours un gâchis que de disperser des collections si remarquables et que cela soit permis. Que c’est que les propriétaires vont faire du reste?
J’espère que la BnF va acheter le manuscrit d’Escoffier…
Campagne
17 mars 2023 @ 07:09
Espérons que cette collection exceptionnelle devienne un héritage français à la disposition de nos grandes écoles culinaires.
Marnie
17 mars 2023 @ 11:55
A disposition matérielle, certainement pas, ce sont des oeuvres fragiles avant tout, c’est plutôt une institution muséale ou bibliothèque qui devrait les acquérir. Les grandes écoles culinaires doivent de toutes façons déjà disposer de ces ouvrages dans leur édition actuelle.
Marnie
17 mars 2023 @ 08:29
Passionnant, mille mercis pour cette découverte ! j’apprends hélas l’existence de cette collection fabuleuse au moment où elle va être dispersée… elle mériterait d’être achetée d’une pièce par une institution comme la BNF !
Une petite recherche sur le net nous apprend que les oeuvres seront exposées du 17 au 22 mars chez Christie’s au 9 avenue Matignon, info pour les parisiens ou franciliens !
Danielle
17 mars 2023 @ 14:27
Marnie, comme vous je pense que ces livres auraient pu être légués à la BNF.
Catherine
18 mars 2023 @ 21:50
En effet leur propriétaire étant belge ce serait plutôt à la Bibliothèque nationale de Belgique qu’ils auraient pu être légués, même si pour les ouvrages que l’on peut voir ils reviennent pour la plupart à la culture et/ou à l’édition française.
Pelikan du Danube
17 mars 2023 @ 10:06
De l’amateur au collectionneur, de l’esthète au compulsif ,de l’amoureux fervent au savant austère il est bien des manières d’aimer les livres .
200 ce n’est pas beaucoup et au vu de l’estimation on peut penser que ce baron a privilégié la qualité (ou la rareté) à la quantité, ce que j’apprécie (sauf à table 🙄) .
Je crois que la planche en bas à droite est tirée de l’atlas des champignons de Rolland, ce n’est pas l’un des ouvrages les plus estimés en matière de gastronomie mycologique, on citera plutôt l’” Histoire des champignons ” du Dr Roques (avec recettes de Grimod de la Reynière ) ou plus récente la ”Mycogasronomie” du Dr Ramain .
Un libraire mycologue et gastronome m’avait conseillé ” Les meilleures recettes de champignons ” de Roland Durand , plus abordable financièrement.
Bien que ne cuisinant pratiquement jamais j’ai quand même une vingtaine de livres de cuisine le dernier acquis étant celui que nous avait recommandé Louise K à l’occasion d’un sujet sur le gratin dauphinois.
Pelikan du Danube
17 mars 2023 @ 12:54
Et bien non c’est le livre du Dr Cordier et pas celui de Rolland mais le livre de Roques y est dans la première édition, il y en a eu 3.