Si puissante était la bombe que tout ce qui fut retrouvé de l’un des valets de pied du carrosse étaient ses bottes. Instinctivement, la reine avait fermé les yeux. Incapable de distinguer le roi à travers l’épaisse fumée qui enveloppait le carrosse, elle crut que l’explosion l’avait tué. Miraculeusement, le jeune couple s’en sortit pourtant indemne. La chance avait été de leur côté. Au moment de l’attentat, le roi avait attiré l’attention de la reine en direction de l’église Sainte Marie, qui était visible du côté où il se trouvait. Ce faisant, il a évité à son épouse d’être blessée par la déflagration.
Tandis que dissipaient les fumées de l’attentat, un spectacle terrifiant dévoilait toute son horreur devant les yeux choqués du couple royal. La magnifique robe de mariée de la reine était empourprée d’écarlate. Un des gardes qui cavalait près du carrosse avait été décapité et son sang projeté dans la voiture. Alphonse XIII lui demanda, angoissé : « Es-tu blessée ? ». Victoria-Eugénie répondit rapidement : « Non, non, je ne suis pas blessée, je le jure. » Le roi déclara qu’une bombe avait été lancée, ce à quoi son épouse répondit qu’elle s’en doutait, ajoutant : « Je vais te montrer que je sais être une reine. »
Dehors, la désolation était totale et la rue ressemblait à un champ de bataille parsemé de corps déchiquetés. Victoria-Eugénie aurait pu se trouver mal ou s’évanouir, mais sur le coup, elle affronta la situation avec courage. Calmement, elle se préoccupa avant tout de la sécurité des autres, disant à un écuyer : « S’il vous plaît, prenez soin de vous, vous êtes blessé. Ne vous en faites pas pour nous. »
Calme en apparence, la jeune reine frisait pourtant l’hystérie en son for intérieur. On l’entendit murmurer : « J’ai vu un homme sans jambes, j’ai vu un homme sans jambes ! » Le choc initial passé, ce pur produit de la cour de Victoria retrouva rapidement ses esprits, agissant avec la dignité qui sied à une reine. Instinctivement, elle mit en pratique les paroles que sa grand-mère lui avait enseignées : « Jeune fille, quand on naît princesse, on ne doit pas se comporter comme les autres. »
Le couple royal fut escorté jusqu’au palais par des Anglais, dont l’ambassadeur Sir Maurice de Bunsen, sous les applaudissements et les cris d’admiration de la foule en délire. Le diplomate fut assailli de questions par les invités royaux, parmi lesquels le Prince de Galles (futur Georges V) et l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche-Este, qui succombera huit ans plus tard à un autre attentat lourd de conséquences géopolitiques…
Au Palais Royal, parmi les invités passablement excités par l’événement, une princesse fit la démonstration d’un sang-froid absolu. C’était la duchesse de Saxe-Cobourg, née grande-duchesse Marie de Russie. Tante de la mariée, elle en avait vu d’autres. Son propre père, le tsar Alexandre II, avait été réduit en charpie par la bombe d’un anarchiste, et l’un de ses frères, le grand-duc Serge, venait de connaître la même fin tragique juste un an auparavant. Alors que tout le monde tentait de se remettre du choc, Marie de Russie haussait les épaules et répétait, en français, à qui voulait l’entendre : « Moi, je suis tellement accoutumée à ces sortes de choses. »
Le calme affiché par la nouvelle reine d’Espagne était exceptionnel. Malheureusement, il ne l’était que trop pour être bien perçu. De façon ironique, la jeune souveraine s’attira dès ce jour la suspicion et l’incompréhension de certaines personnes qui auraient préféré la voir faire une crise d’hystérie. Le flegme britannique de Victoria-Eugénie allait se révéler, avec les années, l’une des causes d’un désamour avec le peuple espagnol sensible à l’extériorisation des émotions. (Merci à Actarus – Source, avec sa traduction libre et adaptation de certains passages : Born to Rule : Five Reigning Consorts, Granddaughters of Queen Victoria, par Julia P. Gelardi, St. Martin’s Griffin, New York, 2005.)
framboiz 07
3 juin 2016 @ 05:31
Merci, je me demande s’ils se sont mis à table, ensuite …C’est peut-être trivial , mais c’est le cours d’un mariage, surtout que les invités sont restés .
Peut-on expliquer pourquoi leur mariage n’a pas fonctionné ? Infidélités ?
Bab
4 juin 2016 @ 09:12
Après l’horreur de cet attentant, je ne sais pas quel a été Len repas servi aux invités.
Par contre ils purent admirer le trousseau de la mariée exposé dans les salons du palais royal.Mannequins d’osier revêtus de toilettes splendides cousues en hâte pour la future reine d’Espagne.La somptueuse corbeille de bijoux fit grande impression.Outre le sautoir de turquoises offert à sa nièce par le roi Édouard,la parure de corail provenant de la mère de la mariée les vitrines renfermaient les scintillants cadeaux du roi Alphonse XIII et ceux de sa mère à savoir une couronne constellée de pierreries un rang de perles aussi gros que des noisettes un collier de six rangs de perles fines formant une parure avec un diadème et une broche en forme de noeud retenant une gigantesque perle noire,deux devants de corsage,un bracelet de diamants et rubis et enfin le très beau diadème à fleurs de lys en platine et diamants commandé par le roi Alphonse XIII au bijoutier madrilène Ansorena.
Ce diadème symbole de la dynastie des Bourbons devint un des joyaux favoris de la reine qui l’emporta en exil et le porta en de nombreuses occasions.Elle le transmis à sa belle-fille la comtesse de Barcelone . Lorsque Juan Carlos fut officiellement choisi comme futur roi et que le comté de Barcelone avalisa cette décision en 1977 le diadème échut à la reine Sofia qui attendit de nombreuses années avant de porter ce bijou.
jul
3 juin 2016 @ 05:57
Cette histoire est terrifiante ! Mais quelle grande reine !
Merci beaucoup Actarus
Severina
3 juin 2016 @ 06:21
Merci Actarus, un magnifique travaille.
Pauline
3 juin 2016 @ 06:31
Merci beaucoup
clementine1
3 juin 2016 @ 06:33
rien de nouveau en ce qui concerne le comportement de la foule !
Encore merci Actarus pour la narration de cet évènement.
l'Alsacienne
3 juin 2016 @ 07:25
Actarus,
Merci pour ces 3 épisodes et la documentation. Encore une suite sur ce règne ?
J’en redemanderais bien.
Claudia
4 juin 2016 @ 13:12
Moi aussi !
Robespierre
3 juin 2016 @ 08:36
Au risque de me répéter, je dis qu’un mariage qui débute sous de si mauvais auspices ne peut être heureux. Je suis superstitieux, je le sais…
J’aimerais que quelqu’un ici nous parle de la personnalité du roi. S’est-il tout de suite détaché de sa femme ou bien est-ce après avoir découvert qu’elle avait transmis l’hémophilie à leurs enfants ? La jeune Patricia de Connaught avait eu raison de se méfier, roi ou pas roi.
DEB
3 juin 2016 @ 11:28
Robespierre,
Vous n’êtes pas si superstitieux puisque vous avez osé prendre ce pseudo.
J’en ai froid dans le cou !
Actarus
3 juin 2016 @ 12:22
Cela commençait mal. Selon la pratique en vigueur, les garçons étaient circoncis. Comme le prince des Asturies était hémophile, Alphonse XIII en conçut un profond dépit. Finalement, le couple eut quand même six enfants, quatre garçons et deux filles, et ce sont seulement l’aîné et le benjamin qui ont hérité de ce gène gênant. Respectivement deuxième et troisième fils, l’infant Jacques et l’infant Jean étaient normaux. Jacques (« don Jaime » pour nos amis hispanisants ou hispanophiles ^^) eut vers l’âge de 3 ou 4 ans une grave maladie infantile qui n’avait rien à voir l’hémophilie, mais qui eut pour conséquence d’entraîner une sévère perte d’audition. Alphonse XIII s’estima maudit, en quelque sorte, mais il n’en demeure pas moins qu’au début de leur mariage, il était passionnément épris de sa jeune épouse.
Quant à Patsy, je ne suis pas convaincu qu’elle se soit méfiée. Elle ne manifestait aucune inclination pour son bref soupirant et lui fit simplement comprendre qu’il devait aller voir ailleurs, ce qu’il fit diligemment.
Robespierre
4 juin 2016 @ 09:17
Merci Actarurs. Patsy en effet comme j’ai compris n’a pas trouvé le jeune roi séduisant et l’a rejeté. J’ai eu tort de dire « méfiée ».
Mayg
3 juin 2016 @ 13:21
La version officielle c’est qu’en apprenant qu’elle avait transmis l’hémophilie à leurs enfants que le roi s’est détaché d’elle.Ceci dit, sauf erreur de ma part, le premier enfant naturel du roi est né en 1905, donc avant son mariage. Rien ne dit que même sans l’hémophilie, il n’aurait pas eu de relation extra-conjugale…
Corsica
3 juin 2016 @ 08:40
Actarus, encore une fois merci. Avoir la générosité de se préoccuper des blessés est parfois fatal. Ce fut le cas du tsar Alexandre II qui, indemne après une première bombe lancée sur sa voiture, s’attarda auprès des victimes et fut fauché par une deuxième bombe. C’est aussi souvent le cas dans de nombreux attentats actuels où une deuxième bombe fauche les secouristes. La duchesse de Saxe-Cobourg n’avait pas tort, elle était habituée. Avant de mourir, son père avait été visé par onze attentats terroristes, dont un à Paris et un dans son propre palais !
Antoine
3 juin 2016 @ 09:49
Textes et documents très intéressants. Merci à Actarus de nous faire passer un bon moment avec un thème aussi difficile. Nous en espérons d’autres.
Trianon
3 juin 2016 @ 09:51
Merci Actarus!
il me semble qu’il a été reproché également à Elizabeth II sa « grande maitrise d’elle même » lors de la mort de Diana.Elle fut perçue comme de indifférence
framboiz 07
4 juin 2016 @ 00:32
Si les 2 reines avaient été en larmes , la situation aurait été encore plus tragique , il faut se contenir , pour montrer l’exemple au peuple , la reine devait être dégoutée , révoltée & dévastée de voir 2 orphelins , si jeunes …Elle qui a eu une enfance heureuse & sa mère, jusqu’un âge avancé .Mais, elle s’est tenue , pour les enfants aussi !
Robespierre
4 juin 2016 @ 09:19
Moi, mon impression à l’époque, c’est que la Reine et son époux se sont dit « bon débarras ». Ensuite, voyant la réaction du peuple, le chagrin national, ils ont dû prendre le train en marche.
Trianon
5 juin 2016 @ 13:32
Meme impression que vous Robespierre
framboiz 07
5 juin 2016 @ 20:40
Certes , mais elle a du se contenir, car une reine ne pleure pas, surtout dans les pays au Nord de la Loire, disons & si elle avait pleuré , les 2 mômes se seraient effondrés , alors qu’il leur fallait être dignes , devant leurs sujets, lors des obsèques nationales .
COLETTE C.
3 juin 2016 @ 11:27
Merci pour ce récit, et les photos qui l’accompagnent. La robe de mariée est superbe,le diadème aussi (est-il espagnol?)
DEB
3 juin 2016 @ 11:29
Merci à Actarus.
Ce récit m’a plu.
À quand une suite ?
patricio
3 juin 2016 @ 11:49
Encore merci Actarus.
J’ai une affection particulière pour la reine Doña Victoria Eugenia.
Amitiés
Patricio
Bab
4 juin 2016 @ 11:50
Moi aussi.On pourra peut-être évoquer d’autres événements de sa vie ou de sa personnalité
Bab
Philippe Gain d'Enquin
3 juin 2016 @ 12:20
Actarus, merci à vous de nous avoir aussi plaisamment conviés à « faire la bombe » ! Votre « traversé des Pyrénées » n’est jamais dénuée d’intérêt, la preuve en est ici donnée. PGE
Mayg
3 juin 2016 @ 13:18
Merci Actarus pour ce récit très passionnant.
Lady Chatturlante
3 juin 2016 @ 14:28
Quelle belle robe de mariée. Mais avoir du sang dessus, ça fait tache. J’étais vierge à mon premier mariage, et mon mari a voulu m’honorer sur un divan avant notre nuit de noces alors que je portais encore ma robe de mariée et que le dîner venait à peine de commencer. Le résultat étant à peu près le même, je me suis changée et c’est en robe de soirée que j’ai fait mon entrée fracassante dans le grand monde.
Stella
4 juin 2016 @ 13:12
Eh bien! Vous nous en contez de belles chère Lady…
Ceci posé je m’interroge: Est-ce ainsi qu’est né le terme: »passer à la casserole »?
Car, juste entre deux plats…Cela fait beaucoup de vaisselle…
Vous vous êtes, en tout cas, rapidement séparée de ce premier « fait-tout »(avec raison, semble-t-il! )
Au fait, le suivant fut-il plus patient?
Véronick
3 juin 2016 @ 14:40
Actarus,
Encore merci pour la narration de cet événement, riche en documents …..!
Vous avez fait un magnifique travaille !
Quand à la Reine Victoria Eugénie, elle a commencé « son règne », avec beaucoup de courage et de sang froid….!
Véronick
ciboulette
3 juin 2016 @ 15:59
Merci , Actarus , d’avoir reconstitué pour nous ce tragique moment d’histoire .
Vous l’avez fait de manière fort élégante et agréable à lire .
Tatami
4 juin 2016 @ 11:59
J’ai adoré lire votre narration de cet épisode tragique du mariage du couple Royal Espagnol, Actarus, merci à vous.
Yom
4 juin 2016 @ 12:06
Merci Actaris.